Pétrole, euro, Chine : quels équilibres ? (E&S n°113)

Humeur :

Et si l’euro disparaissait…


« Je crains que l’euro ne traverse dans les prochaines années une phase très difficile ». Qui a bien pu dire une phrase pareille ? Un eurosceptique invétéré qui, face aux éloges posthumes formulés à l’égard de Philippe Seguin, fervent opposant à l’adhésion à la monnaie unique, se serait senti poussé des ailes ? Un monétariste orthodoxe qui se souvient que son père spirituel, Milton Friedman, n’a eu de cesse de souligner que la zone euro ne survivrait pas à sa première grande crise économique ? Un dirigeant politique tchèque, hongrois ou polonais qui veut dissuader son pays de s’engager trop vite dans la zone euro ? Non, rien de tout ça. Cette phrase à la fois inquiétante mais aussi réaliste a tout simplement été prononcée par Angela Merkel. Passée presque inaperçue il y a dix jours et même retirée du site internet sur lequel elle avait été mentionnée, la déclaration de la Chancelière allemande a pourtant de quoi choquer. Et pour cause : nous sommes très loin des discours des autorités allemandes de juillet dernier lorsque ces dernières soulignaient que, quelles que soient les menaces qui pèsent sur la Grèce et sur sa dette publique, l’Allemagne resterait solidaire de sa petite sœur du Sud. A l’époque, ces déclarations avaient suffi à calmer les esprits et couper l’herbe sous le pied de ceux qui spéculaient sur une sortie de la Grèce de la zone euro. Le taux d’intérêt à dix ans de la dette publique grecque était alors passé de 5,6 % à 4,5 % en cinq semaines.

Seulement voilà, six mois plus tard, la situation grecque ne s’est non seulement pas améliorée mais s’est au contraire dégradée : la récession est toujours là, la stabilité politico-sociale demeure particulièrement fragile et la dette publique a atteint de nouveaux sommets historiques. De plus, la plus grande suspicion pèse sur les statistiques grecques et sur des dérapages des comptes publics, qui seraient donc encore plus graves que ceux déjà annoncés. Résultat : le taux dix ans grec dépasse désormais les 6 %. Pis, les dettes publiques de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal inquiètent de plus en plus, non seulement par leur niveau, mais surtout par la rapidité de leur dégradation. Ainsi, l’Espagne affiche certes un ratio de dette publique/PIB de « seulement » 55 %, mais contre 36,2 % en 2007 et vraisemblablement 67 % dès 2010. Il est clair qu’avec une baisse de 3,5 % de son PIB en 2009, puis une hausse d’au mieux 0,6 % en 2010 (qui sera l’une des plus mauvaises performances de la zone euro) et enfin avec un taux de chômage stabilisé autour des 18 % tant en 2009 qu’en 2010, sans parler de la faible crédibilité de l’équipe Zapatero pour inverser la tendance, l’Espagne commence à faire peur. Que dire alors de l’Italie avec une dette publique de 117 %, du Portugal et même de la France. Car, même si le gouvernement français se veut réconfortant, en annonçant une baisse de son déficit public pour 2010, celui-ci atteindra tout de même 8,2 % du PIB, ce qui se traduira par un ratio dette publique/PIB d’environ 85 %.

Dans ces conditions de haute voltige, l’Allemagne commence donc à s’inquiéter et n’hésite plus à en faire état. Bien entendu, pour le moment, il est exclu d’évoquer une possible remise en question de la zone euro, ni même une sortie d’un ou plusieurs pays. Relayant ce sentiment, Jean-Claude Trichet, Président de la BCE, n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler qu’une sortie de la zone serait une folie pour le pays en question, tout en spécifiant cependant que les autorités eurolandaises, en particulier monétaires, ne prendraient aucune mesure d’exception à l’égard de la Grèce. Cette dernière est donc dos au mur : elle ne peut pas sortir de la zone euro et elle ne peut pas non plus compter sur cette dernière pour l’aider.

Face à ce dilemme, les sourires narquois des monétaristes résonnent : ne disaient-ils pas en 1998, en particulier outre-Rhin, qu’il fallait réaliser une zone euro restreinte, uniquement avec des pays économiquement proches, en excluant les « pays du club Med ». Cette proposition n’était d’ailleurs pas dénuée de bon sens, car elle se basait sur le fait qu’une zone monétaire ne peut fonctionner durablement et efficacement que si elle est optimale, c’est-à-dire si elle réunit des pays identiques, avec une fiscalité unique, une réglementation harmonisée, un marché du travail unifié et une politique budgétaire fédérale. Bien loin de ces évidences, ce fut pourtant la position française qui l’emporta, c’est-à-dire celle d’une zone euro très large qui serait encadrée par un pacte de stabilité, prélude à la réalisation des harmonisations indispensables évoquées ci-avant. Dans un récent talk show français, Lionel Jospin (premier ministre français lors du choix des pays entrant dans l’UEM), a même avancé que ce choix avait été favorisé par la France pour éviter un euro trop fort. Ah ! quand le politique domine l’économique, ça fait forcément des dégâts. Car, bien entendu, les harmonisations tant attendues n’ont jamais été réalisées, la politique de la BCE a été trop restrictive et l’euro trop fort.

Si bien que nous nous trouvons aujourd’hui devant un échec : la zone euro est la terre de croissance la plus faible au monde depuis 2002, la récession y a été bien plus forte qu’aux Etats-Unis en 2009, les déficits et les dettes de ses Etats s’envolent et la cohésion indispensable à son bon fonctionnement commence à s’étioler sérieusement. Certains n’hésitent même plus à souligner que non seulement l’euro ne nous a pas permis de nous protéger contre la récession mais qu’en plus il a joué comme un frein aux réformes et à la modernisation économique dans de nombreux pays eurolandais. En effet, une fois intégrés à la zone euro, ces derniers ont pu bénéficier de taux d’intérêt obligataires durablement bas alors que leurs structures économiques ne le justifiaient pas forcément. Ils se sont alors sentis libérés de toutes contraintes et ont oublié de réformer leur fonctionnement, notamment en termes de dépenses publiques, qui sont devenues pléthoriques et de plus en plus inefficaces. Il est clair que sans la protection de l’euro, donc de l’Allemagne, ils n’auraient pas pu adopter un tel comportement et ne se trouveraient donc pas aujourd’hui dans une situation de « bulle de la dette » et de début de défiance des investisseurs.

Alors que faut-il faire ? Revenir en arrière et sortir certains pays de la zone euro ? Un tel choix serait évidemment désastreux tant en terme technique que financier, économique et politique. Car il paraît évident que si un pays sort de la zone euro, cette dernière ne tardera pas à exploser, ce qui reviendrait à ruiner soixante ans de construction européenne. Selon nous, il n’y a qu’un seul moyen pour éviter d’en arriver là : restaurer une croissance économique durablement supérieure à 2,5 %. C’est en cela que les propos d’Angela Merkel évoqués en début d’article ou encore la nouvelle stratégie plus pragmatique de la BCE en faveur d’un statu quo monétaire durable sont déterminants. En effet, en adoptant un tel discours, Berlin et Francfort indiquent que l’euro doit absolument se déprécier et revenir vers des niveaux plus normaux au regard des fondamentaux économiques. Convenons qu’une telle démarche est historique en provenance d’Allemagne, où la peur de l’inflation et la défense d’une monnaie forte sont ancrés dans les gènes de la population.

En d’autres termes, entre un euro moins fort ou la fin de l’euro, l’Allemagne et la BCE ont fait leur choix : ce sera vraisemblablement et fort heureusement la première solution. Elle est la seule capable de relancer la croissance eurolandaise vers les 3 %, donc d’éviter l’aggravation de la bulle de la dette et d’empêcher l’explosion de la zone euro. Malheureusement, pour valider un mouvement de baisse de l’euro, il faudra attendre une augmentation des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine et une décision du gouvernement chinois d’apprécier le yuan. C’est d’ailleurs là que réside le plus triste de la crise : même si nous le savions déjà, cette dernière a confirmé que la zone euro n’était plus maître de son destin. Espérons simplement qu’une telle prise de conscience nous permettra de réagir et de ne pas rééditer les erreurs du passé.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Chine : la surchauffe est déjà de retour.


La publication des comptes nationaux pour le quatrième trimestre 2009 en Chine nous confirme que l’empire du milieu est non seulement le pays de la planète qui résiste le mieux à la crise mais, de surcroît, bénéficie a la fois d’une demande intérieure soutenue par l’investissement, et d’un commerce extérieur porteur. En effet, alors que le consensus attendait une croissance de 10,5%, le PIB est ressorti en hausse de 10,7% par rapport au quatrième trimestre 2008, soit la plus forte progression depuis le quatrième trimestre 2007. Cette croissance largement au dessus des 10% reflète la montée en puissance de l’économie chinoise au cours de l’année 2009, (chronologiquement +6,1%, +7,9%, +9,1% au cours des trois premiers trimestres). Sur l’ensemble de l’année 2009 tiré par l’investissement en capital fixe et par un plan de relance de 450 milliards d’euros initié en octobre 2008, le PIB Chinois a enregistré une progression de 8,7%, comme nous l’avions annoncé dans nos prévisions de croissance.

Les statistiques publiées cette semaine ont également révélé une hausse de la production industrielle qui bénéficie toujours d’un plan de relance faisant la part belle aux infrastructures. En effet, après avoir augmenté de 19,2% en novembre (un plus haut depuis juin 2007), la production industrielle chinoise a progressé de 18,5% en glissement annuel en décembre et de 11% sur l’ensemble de l’année 2009.

L’insolente santé de l’économie chinoise.

Si la croissance chinoise est essentiellement tirée par l’investissement notamment grâce à un taux d’épargne représentant environ 50% du PIB, le commerce extérieur constitue également un des principaux moteurs de la vigueur de l’économie. En effet la faiblesse entretenue du yuan devenue une véritable devise de combat, renforce considérablement la compétitivité des produits Chinois. De surcroît, les exportations chinoises bénéficient de l’appréciation des principales devises du monde émergent face au dollar.

Qui plus est, la composante domestique a pris une part de plus en plus importante dans le PIB chinois. La croissance des ventes au détail a d’ailleurs fortement accéléré au cours de ces dernières années atteignant 17,5% en glissement annuel au mois de décembre et 15,5% sur l’ensemble de l’année 2009.

Le Yuan véritable devise de combat.

Si l’expansion de la demande domestique alimente la hausse des prix et en particulier des biens alimentaires, il n’y a toutefois pas de quoi s’alarmer puisque le retour de l’inflation n’est qu’un mouvement de correction logique de la baisse des prix observée il y a un an. En effet si après neuf mois consécutifs de déflation, le glissement annuel des prix à la consommation est repassé en territoire positif en novembre à 0,6% pour atteindre 1,9% en décembre, hors prix de l’alimentation l’inflation demeure contenue. Parallèlement, et toujours lié à un effet de base haussier, le glissement annuel des prix à la production qui était en territoire négatif depuis tout juste un an a atteint 1,7% en décembre.

L’inflation chinoise augmente sans danger.

Alors que certains prédisaient le déclin de l’empire du milieu, la surchauffe est donc déjà de retour en Chine. De fait les autorités tentent de contrôler la croissance, à l’image du relèvement du taux de réserves obligatoires pour les grandes banques qui a augmenté de 50 points de base ou de l’augmentation du taux d’intérêt sur les bons du Trésor à un an.

En passe de devenir la deuxième économie mondiale, devant le Japon, la Chine dont la croissance du PIB devrait atteindre 9,7% en 2010 restera le principal le moteur de la croissance mondiale.

Jérôme Boué

 



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 


Les Marchés :

Pétrole : 85 dollars le baril, un prix d’équilibre ?


Mieux que la bourse, mieux que l’euro et mieux que l’or, le baril a démarré l’année sur les chapeaux de roue.

Pourtant, en dépit de la confirmation du redémarrage de la croissance mondiale et de son accélération en 2009, le baril semble avoir du mal à dépasser la barre des 85 dollars. Et si finalement, cette dernière constituait une sorte de nouveau prix d’équilibre de l’or noir ? C’est l’analyse et l’anticipation que nous établissons pour 2010.

En effet, la baisse des prix du baril à moins de 40 dollars le baril correspondait à un juste retour des choses après les excès spéculatifs de 2008, c’est-à-dire à un recul du PIB mondial du second semestre 2008 au premier de 2009.

De la même façon, la remontée des prix du baril autour des 80 dollars est justifiée par une croissance mondiale qui devrait avoisiner les 3,6 % en 2010. Pour dépasser durablement la barre des 90-100 dollars, il faudrait que celle-ci atteigne au moins 4,5 % à 5 %, ce qui paraît pour le moment hors de propos.

Un baril à 85 dollars serait en phase avec une croissance mondiale de 3,6 %.

Sources : FMI, Prévisions Global Equities

En outre, à l’instar d’ailleurs de ce qui s’est observé en 2008 et 2009 et contrairement à tous les discours consensuels sur la question, l’offre mondiale de pétrole reste supérieure à la demande. Et ce, en dépit de l’augmentation de la croissance du PIB planétaire.

En effet, après avoir fortement augmenté depuis 2005-2006, c’est-à-dire depuis le dépassement durable de la barre des 50 dollars le baril, les investissements pétroliers menés à travers le monde commencent aujourd’hui à produire leurs fruits.

Dans la mesure où ces investissements ont encore augmenté ces dernières années, il est clair que la production mondiale de pétrole n’est pas près de baisser significativement. Et ce d’autant que de nombreux producteurs de pétrole, Russie en tête, ont besoin de se refaire une santé, après les déboires de la crise et surtout les manques à gagner liés à la baisse des cours de l’or noir fin 2008-début 2009. Autrement dit, l’offre mondiale de pétrole devrait rester durablement supérieure à la demande, empêchant toute nouvelle dérive haussière du baril.

L’offre a été, est et restera bien supérieure à la demande.

De plus, il faut également noter qu’en dépit d’une baisse normale en fin d’année, les stocks privés de brut dans le monde et en particulier aux Etats-Unis restent sur des sommets à cette période de l’année.

Des stocks privés de brut américains toujours au plus haut.

Sources : Datastream

Mieux, après une petite baisse début 2009, les réserves stratégiques de l’Etat fédéral ont repris le chemin de la hausse, atteignant même un nouveau sommet historique de plus de 730 millions de barils. Si l’on ajoute celles-ci aux stocks privés, les réserves totales des Etats-Unis demeurent donc supérieures au milliard de barils. De quoi, une fois encore limiter les pressions spéculatives sur les cours pétroliers internationaux.

 

Plus d’un milliard de barils de réserves outre-Atlantique.