« Je crains que l’euro ne traverse dans les prochaines années une phase très difficile ». Qui a bien pu dire une phrase pareille ? Un eurosceptique invétéré qui, face aux éloges posthumes formulés à l’égard de Philippe Seguin, fervent opposant à l’adhésion à la monnaie unique, se serait senti poussé des ailes ? Un monétariste orthodoxe qui se souvient que son père spirituel, Milton Friedman, n’a eu de cesse de souligner que la zone euro ne survivrait pas à sa première grande crise économique ? Un dirigeant politique tchèque, hongrois ou polonais qui veut dissuader son pays de s’engager trop vite dans la zone euro ? Non, rien de tout ça. Cette phrase à la fois inquiétante mais aussi réaliste a tout simplement été prononcée par Angela Merkel. Passée presque inaperçue il y a dix jours et même retirée du site internet sur lequel elle avait été mentionnée, la déclaration de
Seulement voilà, six mois plus tard, la situation grecque ne s’est non seulement pas améliorée mais s’est au contraire dégradée : la récession est toujours là, la stabilité politico-sociale demeure particulièrement fragile et la dette publique a atteint de nouveaux sommets historiques. De plus, la plus grande suspicion pèse sur les statistiques grecques et sur des dérapages des comptes publics, qui seraient donc encore plus graves que ceux déjà annoncés. Résultat : le taux dix ans grec dépasse désormais les 6 %. Pis, les dettes publiques de l’Espagne, de l’Italie et du Portugal inquiètent de plus en plus, non seulement par leur niveau, mais surtout par la rapidité de leur dégradation. Ainsi, l’Espagne affiche certes un ratio de dette publique/PIB de « seulement » 55 %, mais contre 36,2 % en 2007 et vraisemblablement 67 % dès 2010. Il est clair qu’avec une baisse de 3,5 % de son PIB en 2009, puis une hausse d’au mieux 0,6 % en 2010 (qui sera l’une des plus mauvaises performances de la zone euro) et enfin avec un taux de chômage stabilisé autour des 18 % tant en 2009 qu’en 2010, sans parler de la faible crédibilité de l’équipe Zapatero pour inverser la tendance, l’Espagne commence à faire peur. Que dire alors de l’Italie avec une dette publique de 117 %, du Portugal et même de
Dans ces conditions de haute voltige, l’Allemagne commence donc à s’inquiéter et n’hésite plus à en faire état. Bien entendu, pour le moment, il est exclu d’évoquer une possible remise en question de la zone euro, ni même une sortie d’un ou plusieurs pays. Relayant ce sentiment, Jean-Claude Trichet, Président de
Face à ce dilemme, les sourires narquois des monétaristes résonnent : ne disaient-ils pas en 1998, en particulier outre-Rhin, qu’il fallait réaliser une zone euro restreinte, uniquement avec des pays économiquement proches, en excluant les « pays du club Med ». Cette proposition n’était d’ailleurs pas dénuée de bon sens, car elle se basait sur le fait qu’une zone monétaire ne peut fonctionner durablement et efficacement que si elle est optimale, c’est-à-dire si elle réunit des pays identiques, avec une fiscalité unique, une réglementation harmonisée, un marché du travail unifié et une politique budgétaire fédérale. Bien loin de ces évidences, ce fut pourtant la position française qui l’emporta, c’est-à-dire celle d’une zone euro très large qui serait encadrée par un pacte de stabilité, prélude à la réalisation des harmonisations indispensables évoquées ci-avant. Dans un récent talk show français, Lionel Jospin (premier ministre français lors du choix des pays entrant dans l’UEM), a même avancé que ce choix avait été favorisé par
Si bien que nous nous trouvons aujourd’hui devant un échec : la zone euro est la terre de croissance la plus faible au monde depuis 2002, la récession y a été bien plus forte qu’aux Etats-Unis en 2009, les déficits et les dettes de ses Etats s’envolent et la cohésion indispensable à son bon fonctionnement commence à s’étioler sérieusement. Certains n’hésitent même plus à souligner que non seulement l’euro ne nous a pas permis de nous protéger contre la récession mais qu’en plus il a joué comme un frein aux réformes et à la modernisation économique dans de nombreux pays eurolandais. En effet, une fois intégrés à la zone euro, ces derniers ont pu bénéficier de taux d’intérêt obligataires durablement bas alors que leurs structures économiques ne le justifiaient pas forcément. Ils se sont alors sentis libérés de toutes contraintes et ont oublié de réformer leur fonctionnement, notamment en termes de dépenses publiques, qui sont devenues pléthoriques et de plus en plus inefficaces. Il est clair que sans la protection de l’euro, donc de l’Allemagne, ils n’auraient pas pu adopter un tel comportement et ne se trouveraient donc pas aujourd’hui dans une situation de « bulle de la dette » et de début de défiance des investisseurs.
Alors que faut-il faire ? Revenir en arrière et sortir certains pays de la zone euro ? Un tel choix serait évidemment désastreux tant en terme technique que financier, économique et politique. Car il paraît évident que si un pays sort de la zone euro, cette dernière ne tardera pas à exploser, ce qui reviendrait à ruiner soixante ans de construction européenne. Selon nous, il n’y a qu’un seul moyen pour éviter d’en arriver là : restaurer une croissance économique durablement supérieure à 2,5 %. C’est en cela que les propos d’Angela Merkel évoqués en début d’article ou encore la nouvelle stratégie plus pragmatique de
En d’autres termes, entre un euro moins fort ou la fin de l’euro, l’Allemagne et
Marc Touati