Inflation, euro/dollar, France : Retour à la réalité ! (E&S n°110)

Humeur :

France : le syndrome du « pouf »…


Le Président a tranché. Alors que de nombreuses personnalités de tous bords politiques et jusqu’à son premier conseiller lui demandaient de lancer un grand emprunt de 100 milliards d’euros, Nicolas Sarkozy s’est finalement rendu à la raison : l’emprunt ne sera pas grand. Il ne portera que sur 35 milliards, dont 22 milliards financés directement par appel aux marchés. Oublié donc le financement par le peuple français qui aurait certes permis un plébiscite en cas de succès, mais qui aurait coûté beaucoup plus cher en termes de rémunération et qui, à en croire les sondages, n’aurait pas suscité un engouement exceptionnel. Là aussi, la raison l’a donc encore emporté.

Dès lors, au-delà des personnes qui hier souhaitaient un emprunt encore plus massif et qui aujourd’hui se plaignent, à juste titre d’ailleurs, que ce grand emprunt va forcément générer un grand impôt ; la grande majorité des observateurs économico-politiques paraît formelle : le petit grand emprunt principalement axé sur les universités et la recherche-développement est une bonne chose, dans la mesure où il ne met pas en péril (du moins apparemment) les finances publiques, tout en permettant de lancer la France sur la route du futur.

En fait de futur, il s’agirait plutôt de « retour vers le futur ». Car, le coup du grand emprunt censé engager la France sur le chemin de l’excellence n’est pas nouveau. MM. Giscard, Maurois, Balladur nous avaient annoncé la même chose lors du lancement des emprunts qui portent leur nom et nous attendons encore les résultats. Du moins les résultats positifs, car les coûts en termes d’aggravation des déficits publics sont bien présents…

Evidemment, le gouvernement actuel demande aux Français de lui faire confiance pour éviter les erreurs des emprunts précédents. D’ailleurs, il pourrait sembler opportun de rappeler que c’est notamment grâce à l’emprunt Pinay de 1952-58 que la France a pu s’engager dès les années 60 dans des programmes à succès, tels que le nucléaire, le TGV, l’Airbus ou Ariane. Mieux, c’est justement dans les domaines des investissements d’avenir fortement coûteux et dont le retour sur investissement est à la fois très lointain et incertain que l’Etat doit jouer un rôle déterminant.

S’il est donc possible de laisser le bénéfice du doute à l’actuel « grand » emprunt, il y a néanmoins des réalités concrètes et mathématiques très différentes de celles des années 1960 et début 1970. Pour commencer, la France évoluait à l’époque dans une phase de croissance exceptionnellement forte appelée les Trente Glorieuses. Le taux de chômage n’était alors que de 2,5 %, si bien que les économistes d’alors estimaient que les chômeurs étaient presque exclusivement volontaires. De plus, la natalité était forte, la pyramide des âges extrêmement favorable et les systèmes de retraite par répartition largement financés. Enfin et surtout, la dette publique ne représentait que 15 à 18 % du PIB. Son coût était donc modique et permettait par là même à l’Etat d’engager de grands chantiers d’avenir.

Aujourd’hui, la situation est malheureusement bien différente. La croissance française est structurellement molle, le taux de chômage est structurellement élevé et les systèmes sociaux de santé et de retraite par répartition sont de plus en plus difficilement financés. Pis, la dette publique avoisine les 80 % du PIB et la charge des intérêts de la dette représente environ 3 % de ce dernier. En d’autres termes, les marges de manœuvre de l’Etat français sont beaucoup plus minces que dans les années 60.

« Et alors ? diront certains, il faut bien faire quelque chose. De plus, ajouteront-ils, l’Etat est justement là pour assurer la paix sociale. D’ailleurs, concluront-ils, c’est bien grâce à son Etat Providence ultradéveloppé et à ses fameux stabilisateurs automatiques que la France peut s’enorgueillir d’être l’un des pays de la zone euro qui a le moins souffert pendant cette crise et a vu son PIB reculer de « seulement » 2,3 % en 2009 ».

Nous y voilà ! Selon eux, il n’y aurait pas trop d’Etat dans l’économie française, il en faudrait même plus, d’où l’idée du grand emprunt. Si cette thèse peut évidemment sembler séduisante, voire irréfutable, elle n’en est pas moins erronée et surtout très dangereuse. C’est ce que nous appelons le « syndrome du pouf ». En effet, il faut reconnaître que, grâce à ses protections et à ses perfusions publiques en tous genres, l’économie française est protégée contre une chute trop violente. Ainsi, lorsqu’elle tombe, elle s’affale sur un pouf qui lui permet donc d’amortir le choc et d’assurer une certaine paix sociale à court terme. En revanche, une fois bien installé dans le pouf, il est généralement très difficile de se relever. C’est là tout le problème des aides et autres stabilisateurs qui permettent certes de limiter les dégâts lors de la chute mais empêchent ensuite l’économie de se redresser rapidement et fortement, notamment à cause de son coût exorbitant qui impose une pression fiscale extrêmement forte.

Mais faisons-nous les avocats du diable en soulignant que finalement c’est peut-être cela le modèle social français : beaucoup d’impôts et de dépenses publiques associées à une croissance molle. Cela fait trente cinq ans que cette situation existe, pourquoi ne pas la prolonger ? Ceux qui tiennent ce discours et surtout ceux qui y croient commettent une erreur tragique. Car, ce que la France a pu se permettre lorsque sa dette publique n’était que de 20 %, 30 % ou même 60 % du PIB, elle ne le peut plus avec un ratio de 80 %. Et ce d’autant que si dans les années 80-90, la croissance structurelle de la France était de 2,5 % par an, elle n’est plus aujourd’hui que de 1,3 %, c’est-à-dire un niveau hautement insuffisant pour assurer le simple paiement annuel des intérêts de la dette publique. Autrement dit, nous avons vécu sur nos acquis depuis 35 ans, et c’est maintenant l’heure de payer la facture. Et oui, à force de s’enfoncer dans le pouf, ce dernier s’est affaissé et ne dispose plus de l’épaisseur suffisante pour amortir les chocs…

Soyez néanmoins rassurés et ne gâchez pas l’ambiance des fêtes de fin d’année : la France s’est octroyé un délai de paiement jusqu’en 2012. Ainsi, en dépit de tous ces dérapages publics, les agences de notation ne prendront certainement pas la responsabilité de dégrader la note de la France avant 2012 pour ne pas peser sur les élections présidentielles, maintenant par là même l’Hexagone et l’ensemble de la zone euro d’ailleurs dans une sorte de coma artificiel. Par contre, une fois ces échéances passées, l’incapacité de financer la retraite par répartition (justement à partir de 2012) et les coûts budgétaires du « grand » emprunt imposeront aux agences de notation d’engager une dégradation de la note de la dette publique française. Mais bon, comme d’ici là, la fonte des glaciers aura détruit la planète, il ne faut pas s’en faire…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Etats-Unis, zone Euro : l’inflation est de retour, et alors ?


Chose promise, chose due. Sans aucune surprise (du moins pour ceux qui suivent nos publications et nos prévisions), l’inflation est de retour des deux côtés de l’Atlantique.

Après huit mois consécutifs de déflation aux Etats-Unis et six mois dans la zone euro, le glissement annuel des prix à la consommation est repassé en territoire positif en novembre 2009. Pas de panique cependant, puisque le retour de l’inflation en novembre n’est qu’un mouvement de correction logique de la baisse des prix observée il y a un an.

Ainsi, pour prendre l’exemple français, en novembre 2008, les prix à la consommation avaient baissé de 0,5 %. Dès lors, en dépit d’une hausse mensuelle de 0,1 % en novembre 2009, le glissement annuel s’est tendu mécaniquement de 0,6 point pour atteindre + 0,4 %. Nous sommes donc toujours très loin de l’hyperinflation. En fait, sauf cataclysme imprévu, cette dernière n’a aucune chance de s’imposer dans les prochains trimestres.

Certes, compte tenu du prolongement de l’effet de base haussier déjà en marche depuis trois mois, l’inflation va encore nettement augmenter en décembre 2009 et janvier 2010. En effet, en décembre 2008 et janvier 2009, sous l’impulsion de la forte baisse des prix énergétiques, les prix à la consommation ont baissé de respectivement de 0,2 % et 0,4 %.

Dès lors, même si les prix n’augmentent que de 0,2 % en décembre 2009 et stagnent en janvier 2010 (notamment à cause des soldes), le glissement annuel des prix à la consommation hexagonaux atteindra 0,8 % en décembre, puis 1,3 % le mois suivant.

Faible inflation et croissance molle s’installent en France.

Un mouvement similaire s’observera dans l’ensemble de la zone euro, avec une inflation qui pourrait même atteindre 1,7 % en janvier 2010. S’il n’y aura donc évidemment rien de dramatique, cette reflation pourrait néanmoins inciter la BCE à changer son fusil d’épaule, dans le meilleur des cas, en adoptant un discours restrictif et, dans le pire des cas, en augmentant son taux refi dès le premier trimestre.

Au-delà des dégâts qu’une telle décision produirait sur la croissance de la zone euro, celle-ci constituerait également une erreur sur le front de l’inflation, car cette dernière ne devrait pas excéder les 1,5 % en moyenne sur l’ensemble de l’année 2010, tant en France que dans la zone euro. La baisse des prix dans de nombreux secteurs d’activité en novembre dans l’Hexagone (- 0,1 % pour l’ensemble des produits manufacturés et – 0,2 % pour les services) montre d’ailleurs que les entreprises n’ont absolument pas les moyens d’augmenter fortement leurs prix.

La concurrence et la faiblesse de la demande sont telles qu’une hausse excessive des prix serait suicidaire pour les entreprises qui la pratiqueraient. De plus, avec un chômage élevé et en progression, les salaires resteront contenus, limitant de facto les pressions inflationnistes.

Autrement dit, il ne faut pas se tromper d’ennemi : en dépit d’une augmentation inévitable, l’inflation restera sous contrôle en 2010. En revanche, la faiblesse de la croissance et la hausse du chômage ne sont absolument pas sous contrôle et pourraient malheureusement réserver de mauvaises surprises en 2010, surtout si les taux d’intérêt augmentent…

Ce qui est d’autant plus troublant réside dans le fait que si c’est aux Etats-Unis que la reflation est la plus forte (le glissement annuel des prix à la consommation a déjà atteint 1,8 % en novembre), c’est également là bas que la Banque Centrale est la plus conciliante et n’hésite pas à annoncer qu’elle maintiendra durablement des taux directeurs très bas.

L’inflation américaine augmente sans danger.

Cette stratégie peut apparaître encore plus détonante pour un monétariste au regard des bons chiffres de l’activité économique américaine. Ainsi, après la forte hausse des ventes au détail en octobre et novembre et la réduction du déficit extérieur (cf. le quid de l’économie de la semaine dernière), c’est au tour des mises en chantier et surtout de la production industrielle de confirmer le fort rebond de l’économie américaine.

Le rebond de la production industrielle ne fait que commencer.

Et pour cause : après avoir déjà nettement augmenté de juillet à septembre (+ 3 %), puis stagné en octobre, la production industrielle de l’Oncle Sam a encore progressé de 0,8 % en novembre. Son acquis de croissance pour le quatrième trimestre atteint déjà 1,2 %, soit 4,8 % en rythme annualisé.

Autrement dit, grâce à la bonne tenue de la consommation, de l’investissement et de l’activité industrielle, le PIB américain pourrait bien surprendre et augmenter de plus de 3 % en rythme annualisé au quatrième trimestre. Alors, même si l’inflation montera mécaniquement à 2,5 % dans les prochains mois, ce n’est pas si grave. Mieux vaut avoir 3 % d’inflation et 3 % de croissance (en volume, donc près de 6 % en valeur), plutôt que de se s’enorgueillir d’une inflation inférieure à 2 % en pâtissant d’une croissance d’au mieux 1,5 %. Suivez mon regard…

Marc Touati

 

 



 

Les Marchés :

L’euro/dollar de 2009 à 2010 : le yoyo continue.


Il s’agit certainement de l’anniversaire qui est passé le plus inaperçu l’an dernier, en l’occurrence, les dix ans de la création de l’euro. Il faut dire qu’avec la récession historique subie par l’Europe et notamment par la zone euro depuis le deuxième trimestre 2008, les esprits n’étaient pas à la fête.

Pourtant, si ce dixième anniversaire ne nous rajeunit évidemment pas, la situation de l’euro n’a quasiment pas changé en dix ans. Ainsi, l’euro n’a pas réussi à s’imposer comme un concurrent sérieux au dollar, ni dans les transactions internationales ou dans les réserves de change. Ainsi, le billet vert représente toujours 50 % des premières et 70 % des secondes.

Pis, l’Union Economique et Monétaire (UEM) est toujours incapable d’influencer le cours de sa devise qui reste donc largement piloté par le bon vouloir des Etats-Unis et depuis quelques années de la Chine.

A cela, il faut aussi ajouter une constante, à savoir le monétarisme orthodoxe de la BCE qui favorise un euro fort au service d’une inflation plus que limitée et au grand dam de la croissance économique eurolandaise.

Pour toutes ces raisons, l’euro reste donc une variable d’ajustement hautement volatile et dont l’évolution ne répond malheureusement pas aux fondamentaux économiques de l’UEM.

L’Euro killer.

Sources : Eurostat et Datastream

Les soubresauts de la monnaie unique en 2009 nous en ont donné une parfaite illustration. Ainsi, après une flambée meurtrière et hautement spéculative en 2008 qui va le propulser jusqu’à 1,60 dollar, l’euro va très logiquement se replier vers les 1,25 dollar fin 2008 et début 2009.

Tout paraissait alors au mieux pour relancer significativement la croissance eurolandaise. Mais la BCE en a décidé autrement en refusant de baisser son taux refi entre 0 et 0,5 %, comme l’ont pourtant fait toutes les banques centrales des pays développés, y compris dans des pays où la récession était moins forte que dans la zone euro (par exemple aux Etats-Unis ou en Suisse).

En maintenant un taux refi à 1 %, la BCE va alors alimenter les mouvements de carry trade, notamment du dollar vers l’euro, d’où une nouvelle flambée de ce dernier jusqu’à 1,50 dollar. Ce niveau sera notamment atteint en en octobre-novembre, lorsque la BCE a commencé à laisser entendre qu’elle n’hésiterait pas à remonter ses taux directeurs lors du retour de l’inflation.

Pour autant, le repli récent de l’euro a confirmé que la base de l’appréciation de l’euro/dollar était principalement spéculative.

Ainsi, à partir du moment où les marchés intègrent que la croissance américaine est bien meilleure que celle de la zone euro, ils commencent à délaisser à juste titre la devise européenne pour revenir logiquement vers le billet vert.

Les écarts de croissance sont en faveur du dollar depuis 2008 et vont continuer de se creuser en 2010.