Bourse, Dubai, taux longs : que croire ? (E&S n°107)

Humeur :

Après le W, le N inversé à la sauce Dubaï…


Lorsque la semaine dernière, dans cette même rubrique, nous explicitions les dangers qui menaçaient la planète économico-financière à l’horizon 2012, nous pensions avoir atteint le sommet de l’horreur économique, tout en spécifiant d’ailleurs qu’il ne s’agissait que de risques potentiels encore évitables. Et pourtant, à en croire certains, nous étions encore loin du compte. Ainsi, reprenant le sentiment de nombreux cassandres à travers le monde qui ont décidément la dent dure, une grande banque française a envoyé la semaine dernière à ses clients une lettre catastrophiste digne de Nostradamus version « ultra-Bear ». Selon les spécialistes et docteurs ès « fin du monde » de cette institution financière, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre depuis janvier 2008, le rebond actuel ne serait qu’une accalmie passagère entre deux tempêtes; la seconde s’annonçant encore plus grave que la première. Bref, ce n’est même pas le W qui nous attend mais le N inversé : И (appelé également le « i-huitaine dans l’alphabet cyrillique). Autrement dit, après une rémission temporaire, le système capitaliste va bien finir par mourir et ce dès l’année prochaine. Attention, il ne s’agit pas là de prévisions de marxistes, trotskystes ou autres mayas, mais bien d’économistes qui vivent du système depuis des décennies. Aussi, pour éviter de susciter une vague de dépression nerveuse voire de suicide chez leurs clients, ils s’empressent de leur donner des conseils pour faire face au pire, notamment en achetant des produits proposés par leur banque. A l’évidence, même agonisant, le système capitaliste a encore du bon…

Toujours est-il que ces prévisions, qui avaient été déjà formulées à quelques nuances près par les mêmes analystes il y a quelques mois, ont généré un buzz notable dans le microcosme des marchés qui reste d’ailleurs majoritairement pessimiste. Bien entendu, il serait stupide de masquer la réalité et de peindre un horizon rose par simple volonté d’optimisme. C’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle nous ne cessons de rappeler les dangers qui menacent la croissance mondiale et les marchés financiers internationaux. Néanmoins, il serait tout aussi stupide de défendre une thèse catastrophiste à tout prix pour le seul motif de ne pas avoir anticipé le rebond de 2009, erreur commise par 95 % des prévisionnistes à travers le monde. Voilà pourquoi si nous avions été parmi les très rares à annoncer au plus fort de la crise une reprise boursière puis économique pour le second semestre 2009 et pour 2010, nous soulignons également que cette embellie demeure fragile et qu’elle ne pourra pas supporter trop d’embuches. Et ce, en particulier dans la zone euro, exposée à un euro trop fort, un baril trop cher et peut-être à une hausse trop hâtive des taux d’intérêt. De là à annoncer un W ou un И, il y a un grand pas que nous refusons de franchir. D’ailleurs, il faut se souvenir qu’au cours de chaque crise, les prévisionnistes ont souvent manqué de courage pour annoncer la reprise et ont été plutôt incités à défendre le scénario d’une rechute. Et pour cause : dans la mesure où ils n’avaient souvent pas prévu la crise, ils veulent essayer de se rattraper en déclarant que le pire reste à venir. Seulement voilà, en tentant de faire oublier leur erreur initiale, ils en commettent une nouvelle. On comprend dès lors pourquoi les prévisions des économistes et analystes en tous genres ont si peu de crédit.

Sur les seules quinze dernières années, on distingue ainsi au moins trois erreurs collectives de ce type. Tout d’abord en 1991-92. En effet, après la récession américaine de 1990-91, née de la première guerre du Golfe et de la flambée des cours pétroliers, la reprise qui a suivi dès 1991 était généralement perçue comme temporaire et prélude à une inévitable rechute. C’était sans compter les conséquences positives de la modernisation de l’économie menée sous Reagan et prolongée par Clinton. La révolution des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication allait alors enfoncer le clou et permettre aux Etats-Unis de connaître la phase de croissance la plus longue de leur histoire. Cette vague de fond allait même balayer une seconde tentative des Cassandres en 1995, année qui, selon eux, devait marquer la fin du cycle de croissance américain. Non seulement, cela ne fut pas le cas, mais en plus la croissance s’intensifia jusqu’à l’été 2000.Trois ans plus tard, troisième tentative. Après dix ans de dynamisme exceptionnel, l’économie américaine est effectivement entrée en récession en 2001 pour en sortir dès 2002. Pourtant, début 2003, le scénario du W refait surface, incitant même la Fed à baisser son taux objectif des federal funds à 1 %, ce qui d’avérera une grave erreur. Car s’il est logique d’assouplir la politique monétaire en phase de récession, baisser les taux directeurs lorsque la croissance est déjà là est contre-productif. Cela revient à mettre trop d’essence dans le moteur, ce qui finit par le noyer. D’où l’explosion de la bulle immobilière dès 2006, puis la crise des subprimes en 2007… Autrement dit, pour éviter un W, la Fed a failli générer un L. En fait, depuis l’après-guerre, le seul cas de W avéré outre-Atlantique remonte à 1980-82. A l’époque, le début du second choc pétrolier a généré un écroulement du PIB américain dès le deuxième trimestre 1980, avant un rebond fin 80-début 81, puis une rechute dès le printemps 1981 qui ne sera finalement corrigée qu’en 1983. Cette crise en deux temps était en fait une stagflation, c’est-à-dire une récession doublée d’une forte inflation (à plus de 10 %) qui obligeait la Fed à maintenir des taux d’intérêt très élevés et à empêcher par là même la reprise.

Aujourd’hui, la situation est tout autre : les taux d’intérêt sont sur des plus bas historiques, les plans de relance sont pléthoriques et ne font d’ailleurs que commencer aux Etats-Unis. En outre, l’inflation finira certes par remonter mais sans dérapage durable. Enfin et surtout, l’économie américaine et plus globalement l’ensemble de la planète s’engagent dans une véritable révolution technologique, en l’occurrence celle des Nouvelles Technologies de l’Energie. De la même façon que les NTIC ont sorti les Etats-Unis de la crise dans les années 90, celle des NTE devrait en faire de même pour les années 2010. Aussi, plutôt que de mobiliser les populations sur la peur, il serait donc bien plus opportun et efficace de les mobiliser sur les opportunités à venir. Nous venons d’ailleurs de vivre un exemple désolant de cette peur stérile au travers des craintes de faillite de Dubaï et de son éventuelle répercussion internationale. Craintes tout à fait démesurées, non seulement parce que le grand frère Abu Dhabi permettra d’éviter cette faillite et surtout parce que le PIB de Dubaï ne représente que 0,1 % du PIB mondial. Quant à l’exposition des banques occidentales, elle reste limitée et ne devrait pas générer plus de 8 milliards de pertes. Pas de quoi générer une crise planétaire…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Etats-Unis, Zone euro : la croissance toujours convalescente.


A l’instar de la volatilité des marchés boursiers, les publications statistiques de la semaine écoulée ont soufflé le chaud et le froid sur le front de la croissance mondiale. Ainsi, des deux côtés de l’Atlantique, le retour de la croissance a été confirmé, mais sans excès. Pour l’euphorie, il faudra donc encore patienter. Mais, au regard des craintes qui prévalaient il y a peu, nous avons tout de même de quoi être satisfaits.

Ainsi, aux Etats-Unis, les commandes de biens durables ont certes reculé de 0,6 %, mais après un rebond de 2 %, revu d’ailleurs en forte hausse par rapport à l’estimation initiale (qui faisait état initialement d’une progression de 1 %). Autrement dit, l’investissement des entreprises reste sur la voie de la reprise, qui a déjà été amorcée dès le troisième trimestre.

C’est d’ailleurs là la seule véritable bonne nouvelle de la deuxième estimation des comptes nationaux également publiée la semaine dernière. La croissance annualisée du troisième trimestre est ainsi passée de 3,5 % en première estimation à désormais 2,8 %. Cette légère révision baissière est principalement imputable à l’investissement des ménages et au déstockage qui ont été revus défavorablement. A l’inverse, l’investissement des entreprises a augmenté de 2,3 % sur la période (contre une hausse annualisée de 1% annoncée en première estimation).

En outre, la progression de 0,2 % des revenus des ménages en octobre indique que la consommation, qui a déjà progressé de 0,7 % en octobre, devrait terminer l’année en beauté. Et ce d’autant que la confiance des ménages a enfin repris des couleurs après deux mois de baisse. L’indice du Conference Board a ainsi gagné 0,8 point en novembre, notamment grâce à la baisse des craintes d’augmentation du chômage pour les prochains mois.

Consommation aux Etats-Unis : la fin d’année se présente bien.

C’est d’ailleurs ici que réside l’autre grande bonne nouvelle de la semaine, à savoir la baisse du nombre de demandes d’allocations chômage à un plus bas depuis septembre 2008. A l’heure où les marchés continuent de se faire des cheveux pour savoir si le chômage va enfin arrêter de flamber, une bonne surprise paraît envisageable dès la semaine prochaine et au plus tard début 2010.

Autrement dit, l’économie américaine est toujours convalescente mais reprend des forces à une allure de plus en plus vive.

Si de ce côté-ci de l’Atlantique, nous n’en sommes pas encore là, nous avons néanmoins également des raisons de garder de l’espoir.

Ainsi, les indicateurs des directeurs d’achat ont encore progressé en novembre, atteignant des niveaux de 51 dans l’industrie et de 53,2 dans les services, soit des plus haut depuis respectivement mars 2008 et novembre 2007. Bien entendu, il n’y a pas de quoi s’emballer surtout en observant que ces niveaux sont en phase avec une croissance économique d’à peine 1 % pour le début 2010 dans la zone euro.

C’est également ce qu’indique la nouvelle remontée de l’indice du climat des affaires de l’enquête IFO. Après sept mois consécutifs de hausse, ce dernier a ainsi progressé de 1,9 point en novembre, soit un plus haut depuis août 2008. Un niveau qui ne permet cependant pas d’annoncer une croissance allemande supérieure à 1 % à l’horizon du printemps 2010. Et ce d’autant que la confiance des ménages s’est encore repliée en novembre outre-Rhin.

L’IFO remonte mais la reprise reste fragile.

Ce sentiment mi-figue mi-raisin prévaut également en France. Certes, une fois encore, la consommation des ménages a permis de sauver les meubles… En effet, en dépit des crises, de la montée chômage, de la faiblesse du pouvoir d’achat ou encore du pessimisme ambiant, les Français continuent de consommer fortement. Ainsi, après avoir déjà augmenté de 2,4 % en septembre, leur consommation de produits manufacturés a encore progressé de 1,1 % en octobre. Mieux, si, en septembre, les dépenses ont surtout été soutenues par la prime à la casse qui a généré une augmentation de 10,2 % de la consommation automobile, en octobre, cette dernière n’a progressé que de 0,6 %. Autrement dit, il y a bien une vie après la prime à la casse et les ménages français l’ont prouvé en octobre, en augmentant massivement leur consommation de biens d’équipement et de textile-cuir (respectivement + 2,2 % et + 2,6 %). Une question lancinante se pose alors : comment font les Français pour consommer autant, malgré le chômage et la faiblesse du pouvoir d’achat ? La réponse est triple : ils bénéficient d’une protection sociale élevée qui permet de contrecarrer en partie les affres de la crise, ils profitent des promotions en tous genres (qu’il s’agisse de la prime à la casse ou des soldes désormais libres et multiples toute l’année) et, enfin, ils puisent dans une épargne conséquente (qui représente 17 % de leur revenu, un record !).

Dans ce cadre, les ménages restent bien les soutiens indéfectibles de la croissance française et continueront de soutenir cette dernière à bout de bras lors des fêtes de fin d’année et des soldes de janvier qui devraient donc être assez favorables en matière de consommation.

Pour autant, ce dynamisme des dépenses des Français présente deux bémols. Le premier a été illustré par les comptes nationaux du troisième trimestre qui ont fait état d’une stagnation de la consommation en biens, mais aussi en services, alors que ces derniers avaient plutôt tendance à faire mieux que la consommation en produits manufacturés. En d’autres termes, alors que les éminents sociologues français n’ont cessé de nous dire que les Français sacrifiaient leur consommation de produits sur l’autel des dépenses de services (téléphonie, TV, loisirs…), c’est exactement le contraire qui est en train de se produire aujourd’hui. Les Français opèrent donc un arbitrage de leurs dépenses vers plus de biens durables et moins de services éphémères. Cela rappelle que l’économie et a fortiori la sociologie sont loin d’être des sciences exactes mais tout simplement des sciences humaines qui évoluent avec le temps.

Le deuxième bémol est malheureusement plus négatif, puisqu’il s’agit du fait qu’à l’instar du gouvernement français qui se lance dans une fuite en avant de dépenses publiques, les ménages français sont en train d’utiliser toutes leurs cartouches disponibles, qu’il s’agisse des aides diverses et variées, des primes et promotions ou encore de leur épargne, il est vrai pléthorique. Aussi, une fois que ces cartouches seront épuisées et si la croissance et l’emploi ne redémarrent pas durablement, la consommation pourrait marquer le pas à partir du printemps prochain.

France : Une consommation dynamique pour une croissance molle

C’est en cela que l’enquête de l’INSEE dans l’industrie de novembre vient assombrir l’horizon. En effet, après sept mois consécutifs de hausse, l’indice du climat des affaires a stagné en novembre. Certes, avec un niveau de 89, il reste supérieur de 21 points à son niveau de mars dernier. Néanmoins, il demeure toujours inférieur de 11 points à son niveau de long terme et de 20 points par rapport au niveau qui prévalait début 2008. Pis, les carnets de commandes globaux stagnent également en novembre à des niveaux toujours bas et les carnets de commandes étrangers repartent déjà à la baisse. Autrement dit, après une récession historiquement longue (du premier trimestre 2007 au premier trimestre 2009), puis un rebond technique de deux trimestres, l’industrie française a déjà mangé son pain blanc. C’est bien là l’image globale de l’économie française : une reprise de rattrapage de la faiblesse passée, une consommation sous perfusion qui fera passer un bon Noël et un bon début d’année à la croissance hexagonale, mais ensuite, une mollesse économique durable, entretenue par un euro trop fort, une pression fiscale trop forte et des dépenses publiques insuffisamment efficaces. Mais finalement, n’est-ce pas ça le modèle social français ?

Marc Touati

 



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 

Les Marchés :

Le rallye obligataire touche à sa fin.


 

Si les années 2008-2009 resteront évidemment marquées par la crise financière qui a failli faire exploser le système capitaliste mondial (du moins c’est ce que l’on veut nous faire croire), elles seront également caractérisées par un rallye obligataire d’envergure. En effet, comme cela s’observe d’ailleurs toujours en phase de déclin boursier, un flight to quality s’est opéré vers les placements dits «sûrs», et en particulier vers les bons du Trésor des Etats notés AAA.

Dans ce cadre, que l’on soit aux Etats-Unis, en Allemagne ou en France, les taux d’intérêt des obligations d’Etat à dix ans se sont stabilisés sur des planchers. Et ce, même si une légère augmentation des taux a eu lieu depuis l’été dernier, confirmant que la planète économico-financière évitait bien le cataclysme tant annoncé par l’écrasante majorité des prévisionnistes et des institutions internationales, à commencer par le FMI.

2008-2009, le rallye obligataire fait des étincelles.

Mais, une fois le pire évité, les investisseurs retrouvent leurs esprits et commencent à regarder les marchés des emprunts d’Etat non pas seulement comme des valeurs refuges mais aussi comme des facteurs de risques. Dès lors, la formation des taux longs va retrouver une marche plus logique et plus en phase avec les fondamentaux économiques. Or, historiquement, les taux longs sont déterminés par les taux courts auxquels sajoutent trois primes de risques principales. La première est rela