Après le W, le N inversé à la sauce Dubaï…

Lorsque la semaine dernière, dans cette même rubrique, nous explicitions les dangers qui menaçaient la planète économico-financière à l’horizon 2012, nous pensions avoir atteint le sommet de l’horreur économique, tout en spécifiant d’ailleurs qu’il ne s’agissait que de risques potentiels encore évitables. Et pourtant, à en croire certains, nous étions encore loin du compte. Ainsi, reprenant le sentiment de nombreux cassandres à travers le monde qui ont décidément la dent dure, une grande banque française a envoyé la semaine dernière à ses clients une lettre catastrophiste digne de Nostradamus version « ultra-Bear ». Selon les spécialistes et docteurs ès « fin du monde » de cette institution financière, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre depuis janvier 2008, le rebond actuel ne serait qu’une accalmie passagère entre deux tempêtes; la seconde s’annonçant encore plus grave que la première. Bref, ce n’est même pas le W qui nous attend mais le N inversé : И (appelé également le « i-huitaine dans l’alphabet cyrillique). Autrement dit, après une rémission temporaire, le système capitaliste va bien finir par mourir et ce dès l’année prochaine. Attention, il ne s’agit pas là de prévisions de marxistes, trotskystes ou autres mayas, mais bien d’économistes qui vivent du système depuis des décennies. Aussi, pour éviter de susciter une vague de dépression nerveuse voire de suicide chez leurs clients, ils s’empressent de leur donner des conseils pour faire face au pire, notamment en achetant des produits proposés par leur banque. A l’évidence, même agonisant, le système capitaliste a encore du bon…

Toujours est-il que ces prévisions, qui avaient été déjà formulées à quelques nuances près par les mêmes analystes il y a quelques mois, ont généré un buzz notable dans le microcosme des marchés qui reste d’ailleurs majoritairement pessimiste. Bien entendu, il serait stupide de masquer la réalité et de peindre un horizon rose par simple volonté d’optimisme. C’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle nous ne cessons de rappeler les dangers qui menacent la croissance mondiale et les marchés financiers internationaux. Néanmoins, il serait tout aussi stupide de défendre une thèse catastrophiste à tout prix pour le seul motif de ne pas avoir anticipé le rebond de 2009, erreur commise par 95 % des prévisionnistes à travers le monde. Voilà pourquoi si nous avions été parmi les très rares à annoncer au plus fort de la crise une reprise boursière puis économique pour le second semestre 2009 et pour 2010, nous soulignons également que cette embellie demeure fragile et qu’elle ne pourra pas supporter trop d’embuches. Et ce, en particulier dans la zone euro, exposée à un euro trop fort, un baril trop cher et peut-être à une hausse trop hâtive des taux d’intérêt. De là à annoncer un W ou un И, il y a un grand pas que nous refusons de franchir. D’ailleurs, il faut se souvenir qu’au cours de chaque crise, les prévisionnistes ont souvent manqué de courage pour annoncer la reprise et ont été plutôt incités à défendre le scénario d’une rechute. Et pour cause : dans la mesure où ils n’avaient souvent pas prévu la crise, ils veulent essayer de se rattraper en déclarant que le pire reste à venir. Seulement voilà, en tentant de faire oublier leur erreur initiale, ils en commettent une nouvelle. On comprend dès lors pourquoi les prévisions des économistes et analystes en tous genres ont si peu de crédit.

Sur les seules quinze dernières années, on distingue ainsi au moins trois erreurs collectives de ce type. Tout d’abord en 1991-92. En effet, après la récession américaine de 1990-91, née de la première guerre du Golfe et de la flambée des cours pétroliers, la reprise qui a suivi dès 1991 était généralement perçue comme temporaire et prélude à une inévitable rechute. C’était sans compter les conséquences positives de la modernisation de l’économie menée sous Reagan et prolongée par Clinton. La révolution des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication allait alors enfoncer le clou et permettre aux Etats-Unis de connaître la phase de croissance la plus longue de leur histoire. Cette vague de fond allait même balayer une seconde tentative des Cassandres en 1995, année qui, selon eux, devait marquer la fin du cycle de croissance américain. Non seulement, cela ne fut pas le cas, mais en plus la croissance s’intensifia jusqu’à l’été 2000.Trois ans plus tard, troisième tentative. Après dix ans de dynamisme exceptionnel, l’économie américaine est effectivement entrée en récession en 2001 pour en sortir dès 2002. Pourtant, début 2003, le scénario du W refait surface, incitant même la Fed à baisser son taux objectif des federal funds à 1 %, ce qui d’avérera une grave erreur. Car s’il est logique d’assouplir la politique monétaire en phase de récession, baisser les taux directeurs lorsque la croissance est déjà là est contre-productif. Cela revient à mettre trop d’essence dans le moteur, ce qui finit par le noyer. D’où l’explosion de la bulle immobilière dès 2006, puis la crise des subprimes en 2007… Autrement dit, pour éviter un W, la Fed a failli générer un L. En fait, depuis l’après-guerre, le seul cas de W avéré outre-Atlantique remonte à 1980-82. A l’époque, le début du second choc pétrolier a généré un écroulement du PIB américain dès le deuxième trimestre 1980, avant un rebond fin 80-début 81, puis une rechute dès le printemps 1981 qui ne sera finalement corrigée qu’en 1983. Cette crise en deux temps était en fait une stagflation, c’est-à-dire une récession doublée d’une forte inflation (à plus de 10 %) qui obligeait la Fed à maintenir des taux d’intérêt très élevés et à empêcher par là même la reprise.

Aujourd’hui, la situation est tout autre : les taux d’intérêt sont sur des plus bas historiques, les plans de relance sont pléthoriques et ne font d’ailleurs que commencer aux Etats-Unis. En outre, l’inflation finira certes par remonter mais sans dérapage durable. Enfin et surtout, l’économie américaine et plus globalement l’ensemble de la planète s’engagent dans une véritable révolution technologique, en l’occurrence celle des Nouvelles Technologies de l’Energie. De la même façon que les NTIC ont sorti les Etats-Unis de la crise dans les années 90, celle des NTE devrait en faire de même pour les années 2010. Aussi, plutôt que de mobiliser les populations sur la peur, il serait donc bien plus opportun et efficace de les mobiliser sur les opportunités à venir. Nous venons d’ailleurs de vivre un exemple désolant de cette peur stérile au travers des craintes de faillite de Dubaï et de son éventuelle répercussion internationale. Craintes tout à fait démesurées, non seulement parce que le grand frère Abu Dhabi permettra d’éviter cette faillite et surtout parce que le PIB de Dubaï ne représente que 0,1 % du PIB mondial. Quant à l’exposition des banques occidentales, elle reste limitée et ne devrait pas générer plus de 8 milliards de pertes. Pas de quoi générer une crise planétaire…

Marc Touati