C’est un dilemme cornélien qui se présente désormais aux banques centrales de la planète et en particulier dans le monde dit développé. En effet, il y a environ un an, au plus fort de la crise financière, elles ont non seulement injecté massivement des liquidités à l’échelle mondiale mais elles ont aussi fortement réduit leurs taux directeurs. Elles n’avaient alors pas le choix. Car, sans ces actions concertées de grande ampleur, le système financier international aurait certainement craqué et l’économie de la planète avec. Elles ont donc tiré les leçons des erreurs du krach de 1929 ou encore de la crise japonaise du début des années 90, au cours desquels les autorités monétaires n’ont pas pris conscience de l’ampleur des dégâts et n’ont pas réagi en conséquence. Autrement dit, il est possible de dire qu’en 2008-2009, les banques centrales ont fait leur « boulot ». Et ce, même si l’on peut néanmoins regretter qu’une fois encore,
Car, après avoir « sauvé » la sphère économico-financière, les banques centrales vont devoir désormais se lancer dans un fine tuning (réglage fin) à haut risque. Et pour cause : si elles remontent trop rapidement et trop fortement leurs taux directeurs, elles risquent d’émousser la reprise actuelle avant qu’elle n’ait pu enclencher le moteur des créations d’emplois. N’oublions effectivement pas que les cycles de reprise économique obéissent toujours au même processus : après avoir été les premiers à dégringoler, les marchés boursiers sont également les premiers à retrouver des couleurs, précédant d’environ six mois la reprise de l’activité économique. Puis, six à neuf mois après, cette dernière se transforme en créations d’emplois, ce qui permet d’instaurer un cycle pérenne croissance-emploi-consommation. Dès lors, si les banques centrales interviennent avant la reprise de l’emploi, elles cassent le processus et suscitent le fameux double dip ou encore « W » tant attendus aujourd’hui par de nombreux prévisionnistes, les mêmes qui, il y a encore quelques mois, prédisaient la courbe en « L » au moins jusqu’en 2011. Pour essayer de faire oublier leur erreur, ils font donc preuve d’une inventivité hors pair pour annoncer que si le « L » a été évité « par chance », le « W » est inévitable. Et pour ce faire, ils comptent notamment sur un resserrement hâtif des taux directeurs qui pourrait effectivement mettre fin prématurément à la reprise.
C’est d’ailleurs en cela que les banques centrales sont coincées entre le marteau et l’enclume. Car, si elles n’augmentent pas leurs taux d’intérêt par souci de prolonger la croissance, elles prennent de ce fait le risque d’alimenter l’inflation dans les trimestres à venir et par là même de perdre en crédibilité. Ce qui générerait une augmentation excessive des taux d’intérêt à long terme et freinerait la reprise économique. Voilà pourquoi, il est possible de dire qu’aujourd’hui, les banques centrales sont prises à leur propre piège et vont devoir manœuvrer habilement pour en sortir sans trop de dégâts. Et ce, d’autant qu’elles n’ont plus le droit à l’erreur : il est clair que si une rechute de l’activité se produisait, la marge de manœuvre pour relancer de nouveau la machine serait particulièrement faible. Pour éviter le scénario du pire, les banques centrales vont donc devoir agir avec parcimonie, pragmatisme et abandonner définitivement le dogmatisme. Or, on ne peut pas dire qu’en la matière, la zone euro soit favorisée, bien au contraire…
Ainsi,
Si nous sommes plutôt sereins sur la reprise américaine (certes non-euphorique mais durable), nous restons malheureusement inquiets pour celle de la zone euro. Car s’il est clair que
D’ici la fin 2010, les taux d’intérêt monétaires et obligataires devraient donc atteindre des niveaux presque identiques des deux côtés de l’Atlantique (soit respectivement 2 % et 4,5 %), mais pas pour les mêmes raisons. Aux Etats-Unis, l’augmentation des taux d’intérêt sera due à une croissance plus forte. Dans la zone euro, elle tiendra principalement à un nouveau dérapage des dettes publiques et à un pseudo-risque inflationniste. Et tout ça pour quoi ? Pour une croissance économique stabilisée à 2,8 % outre-Atlantique et à 1,3 % dans la zone euro. Mais puisque cela semble nous convenir depuis trente ans, il n’y a pas de raison que cela change…
Marc Touati