Banques, euro/dollar, France : et maintenant ? (E&S n °102)

Humeur :

Mesdames et Messieurs les banquiers, à vous de jouer !


Dire qu’il y a tout juste un an, la plupart des banques de la planète et plus globalement le secteur financier international dans son ensemble étaient à l’agonie. Selon la pensée dominante de l’époque, les faillites de banques allaient se multiplier, modifiant profondément les structures mêmes du capitalisme. L’origine de cette suspicion et de ce marasme présenté trop souvent comme inévitable résidait bien entendu dans la faillite sauvage et soudaine de Lehman Brothers, décidée par le secrétaire d’Etat au Trésor américain Henri Paulson, ancien patron de Goldman Sachs, grand concurrent historique de Lehman. La fin du « too big to fail » ouvrait alors la boîte de pandore des faillites bancaires et faisait naître un doute majeur sur la survie des banques et des institutions financières mondiales. Non seulement parce qu’elles étaient quasiment toutes clientes de Lehman directement ou indirectement, mais aussi parce qu’elles avaient plus ou moins toutes goûté à l’élixir des subprimes titrisés et/ou des produits complexes. Elixir supposé ouvrir les portes du paradis, mais qui était en fait un poison violent. Pis, les grandes banques ne vont pas se contenter de jouer avec le feu pour le compte de leurs clients, mais vont en faire de même avec leurs fonds propres et dans des proportions conséquentes (c’est ce que l’on appelle le prop trading à outrance). Compte tenu de la débâcle des marchés et étant contraintes réglementairement de valoriser leurs actifs aux prix de marchés, les banques vont alors voir leurs fonds propres fondre comme neige au soleil. Or, étant également tenues, toujours d’un point de vue réglementaire (comme quoi trop de règlementation peut être aussi dévastateur), de posséder un minimum de fonds propres au regard de leurs engagements, les banques vont devenir du jour au lendemain « hors la loi » et donc potentiellement en faillite. D’où un mouvement de panique généralisé qui va amener certains clients à retirer l’ensemble de leurs avoirs des comptes bancaires aggravant par là même les risques de banqueroute. Le seul moyen de sortir de cette spirale était donc d’augmenter les fonds propres des banques, ce que ces dernières ne pouvaient pas faire en faisant appel aux marchés, en raison de la suspicion qui pesait sur elles. Les Etats ont donc dû jouer leur rôle de sauveur du système ou de prêteur en dernier ressort en apportant ces fonds propres supplémentaires, soit en montant au capital des banques ou en les nationalisant (comme ce fut le cas au Royaume-Uni), soit sous forme de prêt (comme cela fut décidé en France).

Un an plus tard, la situation a bien changé, non seulement parce que les banques ne sont plus au bord de la faillite, mais surtout parce qu’elles gagnent de l’argent, si bien que leurs cours de bourse ont flambé et qu’elles peuvent désormais rembourser les prêts publics. La situation est tellement favorable que ceux qui vilipendaient l’Etat français d’avoir sauvé les banques grâce à ces prêts il y a un an se plaignent aujourd’hui que ce dernier n’ait pas plutôt acheté des actions. Ce qui, compte tenu de la remontée des cours boursiers des banques, aurait été encore plus lucratif que les intérêts pourtant juteux facturés par l’Etat (8%). Qu’il est amusant de voir les pourfendeurs de la spéculation et des profits se plaindre que l’Etat ne soit pas assez capitaliste… Toujours est-il qu’au regard de cette embellie inattendue pour l’écrasante majorité des prévisionnistes et des observateurs de la sphère économico-financière, une question s’impose : comment les banques ont-elles pu passer en moins d’un an de l’agonie aux profits. Comme disait Louis de Funès dans Rabbi Jacob : « C’est un miracle Salomon !». Mais, en fait, pas du tout. En effet, ce retour en grâce est simplement logique. Tout d’abord, parce que les craintes de faillite généralisée des banques et du système capitaliste au sens large, pourtant unanimement répandues il y a un an, étaient très excessives. Nous n’avons cessé de le souligner à l’époque, mais comme cela n’était pas à la mode, nous n’étions pas très entendus. De plus, compte tenu de la forte baisse des taux directeurs des banques centrales, des reprises de créances bancaires douteuses par ces dernières et des plans de relance pléthoriques, les banques se sont automatiquement refait une santé. Et ce d’autant plus facilement qu’elles ont également bénéficié de l’excès de liquidités qui prévalait déjà il y a un an et qui prévaut encore aujourd’hui, notamment dans les fonds privés et souverains des pays émergents.

Si cette rédemption est évidemment une bonne nouvelle, elle appelle néanmoins à une évolution des banques. Car, si ces dernières se remettent à gagner leur vie sur les marchés (et c’est tant mieux, sachant que les excès des dernières années ne seront heureusement pas renouvelés, compte tenu notamment de la forte réduction du prop trading), elles doivent désormais redévelopper leur vrai métier, en l’occurrence l’irrigation de l’économie via l’octroi de crédits aux entreprises et aux ménages. Et c’est là que le bât blesse, en particulier en France, car déjà frileuses lorsque tout va bien, les banques le sont encore plus aujourd’hui. Ne l’oublions pas la crise financière de 2007-2009 est une crise de mauvaise gestion du risque. Dès lors, les banques veulent à présent réduire au maximum leur risque, et notamment en matière de crédit à l’économie. On en arrive même souvent à des situations proches du ridicule lorsque les banques veulent bien accorder des crédits aux entreprises et aux ménages mais si et seulement si ces derniers apportent une garantie au moins aussi élevée que le montant du prêt ! C’est à se demander à quoi servent les banques et pourquoi facturent-elles des frais et des intérêts, puisque ces derniers sont justement censés rémunérer le risque.

Il ne faut donc pas se tromper de stratégie post-crise : il n’est pas demandé aux banques d’arrêter de prendre des risques, mais simplement de mieux les gérer en tenant compte des vrais potentiels des projets d’investissement et en ne se contentant pas d’octroyer des crédits à ceux qui n’en ont pas besoin. Si elles n’y parviennent pas, il ne faudra pas se plaindre de voir leur image de plus en plus dégradée. Mais au-delà du marketing, il en va également de la bonne santé du système économique en général et bancaire en particulier. Car si les banques n’alimentent pas l’économie avec plus de crédits et d’investissements, la croissance restera molle et de nombreuses LBO ne parviendront pas à se financer, risquant par là même d’engager une nouvelle crise du crédit et fragilisant encore un peu plus les banques. En outre, il faut se souvenir que les banques ne sont pas les seuls financiers du système économique. Pour ce faire, les entreprises peuvent aussi faire appel à des fonds d’investissements indépendants qui débordent de cash actuellement. La part de marché des banques dans le financement de l’économie s’en trouvera donc encore réduite et leurs profits avec. Autrement dit, personne n’a intérêt à une raréfaction du crédit bancaire, à commencer par les banques elles-mêmes. Ces dernières doivent ainsi se souvenir qu’elles augmenteront et fidéliseront leurs clients en étant présentes lorsque ceux-ci ont besoin d’elles. Les banques doivent donc adopter un comportement plus responsable et plus constructif, en abandonnant leur traditionnel « appelez-nous si vous n’avez besoin de rien »…

                                                                                                                                                                   Marc Touati
Quid de l’économie cette semaine ?

France : la consommation et le climat des affaires rebondissent, mais…


+ 1,4 % en juin, – 2,1 % en juillet-août, + 2,3 % en septembre. A l’évidence, la consommation des ménages français aime les montagnes russes. Si cette volatilité n’est pas nouvelle, elle confirme qu’en dépit des tempêtes et des dangers notamment sur le front du chômage, les consommateurs français n’ont pas l’intention d’arrêter de dépenser. Pour ce faire, ils utilisent donc à plein toutes les possibilités mises à leur disposition : prime à la casse, prime de rentrée scolaire, épargne pléthorique: Ainsi, en septembre, la clé de la consommation a encore résidé dans le secteur automobile, vers lequel les dépenses des ménages ont augmenté de 10,2 % sur le mois. Cette forte dépendance signifie néanmoins qu’à partir du moment où le soutien de la prime à la casse s’estompera, la consommation en pâtira fortement.

L’autre grand moteur de cette dernière demeure le textile-cuir qui, après avoir flambé pendant la période des soldes (+ 3,9 % en juin), puis fortement baissé en juillet-août (- 6,6 %), a retrouvé le chemin de la croissance forte, à + 2,9 % en septembre, notamment dans le sillage de la rentrée scolaire et de la prime gouvernementale qui va avec.

Les consommateurs français aiment les montagnes russes.

Autrement dit, si la bonne tenue de la consommation constitue évidemment une nouvelle très appréciable, ses soutiens montrent néanmoins que cette dernière reste sous perfusion publique et demeure par là même très fragile.

Et ce, d’autant que si les ménages puisent massivement dans leur épargne pour maintenir un niveau de consommation appréciable, ils ne pourront le faire éternellement, surtout si le chômage continue d’augmenter. C’est dans ce cadre que la poursuite de la reprise et sa transformation en emplois va devenir déterminante. En effet, étant donné le décalage structurel de six à neuf mois qui existe entre la reprise de l’activité et la reprise de l’emploi, il est indispensable que l’actuel rebond de l’activité se prolonge pendant au moins six mois, de manière à relancer les créations d’emplois à la hausse et instaurer un cercle vertueux croissance-emploi-consommation.

A l’inverse, si la reprise économique dure moins de six mois, elle ne pourra pas se transformer en emplois, le chômage continuera alors d’augmenter et la consommation finira par s’affaisser durablement.

L’arbre de la résistance actuelle de la consommation ne doit donc pas cacher la forêt de la fragilité de l’économie française dans son ensemble. Dès lors, un euro trop cher, des taux d’intérêt augmentés ou des efforts budgétaires inefficaces pourraient bien finir par couper l’arbre de la consommation et nous replonger dans la forêt de la récession.

Industrie française : de mieux en mieux, mais…

Ce décalage entre la bonne santé à court terme et les risques de rechute à moyen terme s’observe également sur le front de l’activité industrielle.

Ainsi, après déjà six mois consécutifs de hausse, l’indice du climat des affaires dans l’industrie française a encore fortement progressé en octobre. En augmentant de trois points sur ce dernier mois, cet indicateur avancé de l’activité industrielle mais aussi du PIB français dans son ensemble, atteint un niveau de 89, soit un plus haut depuis septembre 2008 et une progression totale de 20 points depuis le plancher de mars 2009.

Progressivement, cet indicateur se rapproche donc de la barre des 100, c’est-à-dire de sa moyenne de long terme. Cela signifie donc que l’industrie et l’économie françaises sont non seulement sorties de la récession mais surtout qu’elles se dirigent désormais vers leur rythme de croisière, qui reste néanmoins celui d’une croissance molle. En l’occurrence pas plus de 1,3 % en 2010 pour la progression annuelle moyenne du PIB.

Pour autant, l’essentiel réside dans le fait que les industriels français sont bien sortis du marasme de ces derniers trimestres, tant en terme d’activité que de confiance. L’indice des perspectives personnelles de production, qui constitue généralement le meilleur indicateur avancé de la croissance française, a ainsi progressé de 4 points en octobre et atteint désormais un niveau de – 2, un plus haut depuis juillet 2008.

Ce regain de confiance apparaît notamment justifié par la nette amélioration des carnets de commandes tant étrangers que globaux qui ne dépassent cependant pas encore les niveaux de la fin 2008. En outre, il faut également noter qu’après avoir fortement progressé en septembre, les carnets de commandes dans le secteur automobile ont déjà repris le chemin de la baisse.

C’est bien là que demeure le problème principal de l’industrie hexagonale : la situation s’est certes largement améliorée, mais reste cependant très fragile. En d’autres termes, une fois la reprise technique de rattrapage passée, l’industrie et l’économie françaises au sens large risquent de manquer de relais de croissance. Et ce d’autant que la nouvelle flambée de l’euro renouvelle d’ores et déjà les pressions négatives qui avaient plongé l’industrie française dès le deuxième trimestre 2008 dans sa plus grave récession.

C’est malheureusement triste à dire, mais si l’euro reste sur ses niveaux actuels et que, corrélativement à la baisse du dollar, le baril continue de flamber, une rechute de l’activité française et eurolandaise apparaît très probable pour le début 2010.

Plus que jamais, il faut donc tout faire pour retrouver un niveau normal de l’euro/dollar, tant sur le front des taux d’intérêt que sur celui de la coopération internationale. Sinon, une fois encore, la France et la zone euro seront les parents pauvres de la croissance mondiale.

Marc Touati

 



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 

 

Les Marchés :

Euro/dollar : tordre le cou aux idées reçues.


1,60 dollar pour un euro en juillet 2008, 1,25 six mois plus tard et 1,50 dollar aujourd’hui. A l’évidence, l’euro/dollar aime les montagnes russes. Et ce, depuis des décennies (du moins si l’on remplace l’euro par l’écu avant 1999), puisque l’euro valait 0,83 dollar en 2001-2002, 1,18 en janvier 1999, ou encore 0,68 dollar en 1985. Face à de telles variations, très souvent non prévues par la grande majorité des prévisionnistes, ces derniers essaient de trouver des justifications ad hoc aux variations de change, quitte à dire tout et son contraire à quelques mois d’intervalle. Plutôt que de céder à cette tentation des justifications a posteriori, il nous paraît plus opportun de tordre le cou aux idées reçues que l’on entend actuellement pour justifier la baisse du dollar face à l’euro.

Idée reçue n°1 : l’appréciation de l’euro/dollar est due à la faiblesse de l’économie américaine.

La réalité des chiffres est pourtant sans appel : le PIB de la zone euro va chuter d’environ 4 % cette année, contre une baisse de 2,2 % pour le PIB américain. De plus, selon les indicateurs avancés de l’activité (notamment les indicateurs des directeurs d’achat dans l’industrie et les services), la croissance américaine devrait rebondir à plus de 2 % dès le début 2010, contre 0,5 % pour la croissance de la zone euro. Autrement dit, si la faiblesse de la devise était due à la mollesse économique, l’euro devrait se déprécier bien plus que le dollar.

Idée reçue n°2 : la Banque centrale de Chine convertit ses réserves de change du dollar vers l’euro.

Là aussi, la vérité est tout autre. Et pour cause : comment les Chinois pourraient-ils être aussi naïfs pour ne pas comprendre qu’une telle stratégie reviendrait à aggraver les risques de change et les coûts de transactions ? En effet, à quoi bon convertir ses dollars en euros pour ensuite reconvertir ses derniers pour réaliser des achats à l’étranger libellés en dollar (que ce soit sur les marchés des matières premières ou en matière d’investissements productifs, qui, à l’exception de ceux réalisés dans la zone euro, sont libellés en dollar) ?

Hausse de l’or et baisse du dollar font bon ménage.

En revanche, comme le montre la graphique précédent, il faut reconnaître que la Banque Centrale de Chine alimente la baisse du dollar en convertissant une très mince partie de ses 2273 milliards de dollars de réserves de change pour acheter de l’or.

Idée reçue n°3 : le pétrole va prochainement être facturé en DTS (droits de tirages spéciaux) ou dans un panier de devises.

Là aussi que de décalage avec la réalité. Car, étant déjà particulièrement  difficile de prévoir et de se couvrir contre les variations du baril libellé en une seule devise, comment sera-t-il possible de le faire avec un panier de devises ou avec des DTS, pour lesquels il n’existe pas de marché ?

Idée reçue n°4 : l’appréciation de l’euro/dollar n’est pas si coûteuse qu’on voudrait le croire pour la zone euro, comme le mon