Mesdames et Messieurs les banquiers, à vous de jouer !

Dire qu’il y a tout juste un an, la plupart des banques de la planète et plus globalement le secteur financier international dans son ensemble étaient à l’agonie. Selon la pensée dominante de l’époque, les faillites de banques allaient se multiplier, modifiant profondément les structures mêmes du capitalisme. L’origine de cette suspicion et de ce marasme présenté trop souvent comme inévitable résidait bien entendu dans la faillite sauvage et soudaine de Lehman Brothers, décidée par le secrétaire d’Etat au Trésor américain Henri Paulson, ancien patron de Goldman Sachs, grand concurrent historique de Lehman. La fin du « too big to fail » ouvrait alors la boîte de pandore des faillites bancaires et faisait naître un doute majeur sur la survie des banques et des institutions financières mondiales. Non seulement parce qu’elles étaient quasiment toutes clientes de Lehman directement ou indirectement, mais aussi parce qu’elles avaient plus ou moins toutes goûté à l’élixir des subprimes titrisés et/ou des produits complexes. Elixir supposé ouvrir les portes du paradis, mais qui était en fait un poison violent.

Pis, les grandes banques ne vont pas se contenter de jouer avec le feu pour le compte de leurs clients, mais vont en faire de même avec leurs fonds propres et dans des proportions conséquentes (c’est ce que l’on appelle le prop trading à outrance). Compte tenu de la débâcle des marchés et étant contraintes réglementairement de valoriser leurs actifs aux prix de marchés, les banques vont alors voir leurs fonds propres fondre comme neige au soleil. Or, étant également tenues, toujours d’un point de vue réglementaire (comme quoi trop de règlementation peut être aussi dévastateur), de posséder un minimum de fonds propres au regard de leurs engagements, les banques vont devenir du jour au lendemain « hors la loi » et donc potentiellement en faillite.

D’où un mouvement de panique généralisé qui va amener certains clients à retirer l’ensemble de leurs avoirs des comptes bancaires aggravant par là même les risques de banqueroute. Le seul moyen de sortir de cette spirale était donc d’augmenter les fonds propres des banques, ce que ces dernières ne pouvaient pas faire en faisant appel aux marchés, en raison de la suspicion qui pesait sur elles. Les Etats ont donc dû jouer leur rôle de sauveur du système ou de prêteur en dernier ressort en apportant ces fonds propres supplémentaires, soit en montant au capital des banques ou en les nationalisant (comme ce fut le cas au Royaume-Uni), soit sous forme de prêt (comme cela fut décidé en France).

Un an plus tard, la situation a bien changé, non seulement parce que les banques ne sont plus au bord de la faillite, mais surtout parce qu’elles gagnent de l’argent, si bien que leurs cours de bourse ont flambé et qu’elles peuvent désormais rembourser les prêts publics. La situation est tellement favorable que ceux qui vilipendaient l’Etat français d’avoir sauvé les banques grâce à ces prêts il y a un an se plaignent aujourd’hui que ce dernier n’ait pas plutôt acheté des actions. Ce qui, compte tenu de la remontée des cours boursiers des banques, aurait été encore plus lucratif que les intérêts pourtant juteux facturés par l’Etat (8%). Qu’il est amusant de voir les pourfendeurs de la spéculation et des profits se plaindre que l’Etat ne soit pas assez capitaliste… Toujours est-il qu’au regard de cette embellie inattendue pour l’écrasante majorité des prévisionnistes et des observateurs de la sphère économico-financière, une question s’impose : comment les banques ont-elles pu passer en moins d’un an de l’agonie aux profits. Comme disait Louis de Funès dans Rabbi Jacob : « C’est un miracle Salomon !». Mais, en fait, pas du tout. En effet, ce retour en grâce est simplement logique. Tout d’abord, parce que les craintes de faillite généralisée des banques et du système capitaliste au sens large, pourtant unanimement répandues il y a un an, étaient très excessives. Nous n’avons cessé de le souligner à l’époque, mais comme cela n’était pas à la mode, nous n’étions pas très entendus. De plus, compte tenu de la forte baisse des taux directeurs des banques centrales, des reprises de créances bancaires douteuses par ces dernières et des plans de relance pléthoriques, les banques se sont automatiquement refait une santé. Et ce d’autant plus facilement qu’elles ont également bénéficié de l’excès de liquidités qui prévalait déjà il y a un an et qui prévaut encore aujourd’hui, notamment dans les fonds privés et souverains des pays émergents.

Si cette rédemption est évidemment une bonne nouvelle, elle appelle néanmoins à une évolution des banques. Car, si ces dernières se remettent à gagner leur vie sur les marchés (et c’est tant mieux, sachant que les excès des dernières années ne seront heureusement pas renouvelés, compte tenu notamment de la forte réduction du prop trading), elles doivent désormais redévelopper leur vrai métier, en l’occurrence l’irrigation de l’économie via l’octroi de crédits aux entreprises et aux ménages. Et c’est là que le bât blesse, en particulier en France, car déjà frileuses lorsque tout va bien, les banques le sont encore plus aujourd’hui. Ne l’oublions pas la crise financière de 2007-2009 est une crise de mauvaise gestion du risque. Dès lors, les banques veulent à présent réduire au maximum leur risque, et notamment en matière de crédit à l’économie. On en arrive même souvent à des situations proches du ridicule lorsque les banques veulent bien accorder des crédits aux entreprises et aux ménages mais si et seulement si ces derniers apportent une garantie au moins aussi élevée que le montant du prêt ! C’est à se demander à quoi servent les banques et pourquoi facturent-elles des frais et des intérêts, puisque ces derniers sont justement censés rémunérer le risque.

Il ne faut donc pas se tromper de stratégie post-crise : il n’est pas demandé aux banques d’arrêter de prendre des risques, mais simplement de mieux les gérer en tenant compte des vrais potentiels des projets d’investissement et en ne se contentant pas d’octroyer des crédits à ceux qui n’en ont pas besoin. Si elles n’y parviennent pas, il ne faudra pas se plaindre de voir leur image de plus en plus dégradée. Mais au-delà du marketing, il en va également de la bonne santé du système économique en général et bancaire en particulier. Car si les banques n’alimentent pas l’économie avec plus de crédits et d’investissements, la croissance restera molle et de nombreuses LBO ne parviendront pas à se financer, risquant par là même d’engager une nouvelle crise du crédit et fragilisant encore un peu plus les banques. En outre, il faut se souvenir que les banques ne sont pas les seuls financiers du système économique. Pour ce faire, les entreprises peuvent aussi faire appel à des fonds d’investissements indépendants qui débordent de cash actuellement. La part de marché des banques dans le financement de l’économie s’en trouvera donc encore réduite et leurs profits avec.

Autrement dit, personne n’a intérêt à une raréfaction du crédit bancaire, à commencer par les banques elles-mêmes. Ces dernières doivent ainsi se souvenir qu’elles augmenteront et fidéliseront leurs clients en étant présentes lorsque ceux-ci ont besoin d’elles. Les banques doivent donc adopter un comportement plus responsable et plus constructif, en abandonnant leur traditionnel « appelez-nous si vous n’avez besoin de rien »…

Marc Touati