Fin du roi dollar ? Ah! L’or ? (E&S n°101)

Humeur :

La fin du roi dollar ?


Régulièrement depuis une trentaine d’années, la rumeur se répand à tel point qu’elle devient une certitude : l’époque du dollar roi est révolue. A chaque fois, c’est la même rengaine : plombés par des déficits abyssaux, affaiblis par la crise économique, les Etats-Unis n’ont plus le choix et vont devoir abandonner le dollar étalon. Pourtant, à chaque fois, tel le Phénix, le billet vert renaît de ses cendres et ne laisse aucune chance à ses soi-disant concurrents potentiels.

Cette chronique d’une mort annoncée qui n’a finalement pas lieu commence avec la guerre du Vietnam. A l’époque, le dollar constitue l’étalon-or du Système Monétaire International (SMI) dans la mesure où il est complètement et immédiatement convertible en or. Seulement voilà, la planche à billets a été utilisée à plein si bien que la quantité de dollars en circulation à travers le monde dépasse largement la valeur du stock d’or de la Réserve fédérale américaine. La rumeur enfle alors : le dollar va tomber de son piédestal en faveur d’un SMI basé sur l’or et/ou sur les droits de tirages spéciaux du FMI. Coupant l’herbe sous le pied à toutes ses spéculations, l’Oncle Sam va alors se lancer dans un coup de poker calculé, en annonçant la fin de la complète convertibilité du dollar en or. La règle de décision qui s’offre au monde occidental est simple : soit il accepte le dollar comme une réserve de valeur à part entière, préservant ainsi la valeur des réserves de changes des banques centrales et sauvant par là même le SMI, soit il n’accepte pas le « deal », ce qui ruinera les Etats-Unis, mais avec eux l’ensemble des pays détenant des réserves de change en dollars. En pleine guerre froide et étant toujours étroitement liés à la puissance économique, politique et militaire des Etats-Unis, l’Europe et le Japon sont obligés de choisir la première option. Ce qui permettra au secrétaire d’Etat au Trésor américain de l’époque, John Connelly, de lancer sa fameuse sentence : « le dollar c’est notre monnaie et votre problème ».

Une dizaine d’années plus tard, bis repetita. Entre temps, deux chocs pétroliers, une phase de stagflation et l’aggravation des déficits américains ont fait naître les mêmes craintes : les jours de l’étalon dollar sont comptés. Et ce d’autant qu’à la différence de 1971, il existe désormais un concurrent sérieux aux Etats-Unis et au dollar, à savoir le Japon et le yen. Rien ne semble alors pouvoir arrêter la domination galopante des Japonais, si bien que ces derniers, sûrs d’eux et certains qu’ils seront bientôt la première puissance mondiale, n’hésitent pas à apprécier fortement leur devise. Ils commettent ici une erreur fondamentale qui les plongera dans une crise de déflation sans précédent et qui perdure encore de nos jours. A l’inverse, modernisés par l’ère Reagan, les Etats-Unis se lancent dans une phase historiquement longue de croissance soutenue à partir de la fin 1991 et renforce l’hégémonie du dollar.

Seule ombre au tableau dans le ciel azur du billet vert : la création de l’euro en 1999. Certains, votre serviteur y compris, se mettent alors à rêver : et si la monnaie unique européenne était enfin la devise capable de concurrencer le dollar ? Avec un niveau de 1,18 dollar pour un euro à sa naissance, tous les espoirs sont permis. Les Américains en sont également conscients (peut-être encore plus que les Européens d’ailleurs) et se lancent dans un mouvement massif d’appréciation, qui portera le billet vert autour des 0,83 pour un euro et des 135 yens pour un dollar de la fin 2000 au début 2003. La place de ce dernier dans les transactions mondiales et dans les réserves de changes internationales s’en trouve confortée (respectivement 50 % et 70 %, niveaux qui perdurent encore aujourd’hui), permettant aux Etats-Unis de reprendre leur benign neglect (douce négligence) en matière de change dès 2003-2004, c’est-à-dire de laisser de nouveau filer le dollar de manière à consolider leur croissance.

La vie des marchés étant un éternel recommencement, la spéculation autour de la fin de l’hégémonie du dollar va reprendre de plus belle lors du premier semestre 2008 et surtout depuis quelques semaines. Les arguments n’ont pas changé : compte tenu de leur dette publique et de leur soi-disant affaiblissement économique, les Etats-Unis vont devoir abandonner leur dollar-roi. Mais, selon nous et comme d’habitude, il n’en sera rien. Et ce, pour au moins trois raisons. Primo, il n’existe toujours pas de concurrent sérieux au dollar. La création d’un panier de devises serait tellement complexe et peu pratique pour l’organisation du commerce et du système monétaire mondial qu’elle serait vouée à l’échec avant même sa réalisation. Secundo, le seul concurrent potentiel du billet vert s’appelle le yuan, mais les Chinois ne sont pas encore prêts, tant économiquement que financièrement. Ils n’y ont d’ailleurs aucun intérêt pour le moment, car un yuan trop cher pourrait casser leur croissance à l’instar du yen surévalué pour le Japon il y a vingt ans. En outre, n’oublions pas qu’avec 2273 milliards de dollars de réserves de changes et des bons du Trésor américain en quantité pléthorique, une trop forte baisse du dollar serait une catastrophe pour la valorisation des actifs chinois libellés en dollar. Tertio, il est clair que les Etats-Unis ne se laisseront pas voler la vedette sans rien dire et surtout sans rien tenter. C’est pourquoi, dès que la croissance américaine aura nettement redémarré, bien au-delà de ses homologues européennes et japonaises (c’est-à-dire d’ici le printemps prochain), la Réserve fédérale augmentera ses taux directeurs, créant par là même le déclic permettant aux marchés de revenir à l’achat sur le dollar. Une appréciation qui ne manquera évidemment pas de remettre à plus tard la fin du dollar étalon.

Autrement dit, en dépit d’une opposition de façade, les Américains et les Chinois feront tout pour que rien ne change. Du moins à court terme. Car, ne nous leurrons pas : la Chine veut devenir la première puissance économique mondiale et elle est consciente que, pour y parvenir, elle devra aussi disposer de la devise internationale de référence. Ainsi, à partir du moment où son économie sera suffisamment puissante pour supporter une devise durablement forte, elle ouvrira ses marchés financiers, laissera le yuan s’apprécier massivement et pourra imposer aux pays de l’OPEP et à ses partenaires commerciaux de libeller leurs transactions commerciales en yuan. Cette perspective n’aura certainement pas lieu avant une bonne dizaine d’années. Néanmoins, si cela se réalisait, les Etats-Unis deviendraient un « pays émergent », criblés de dettes et ne pouvant plus actionner la planche à billets à l’envi, ni financer leurs déficits grâce au rôle hégémonique de leur devise. La récession s’installerait alors durablement outre-Atlantique, mais aussi sur le vieux continent, qui, comme d’habitude, subirait encore plus de dégâts que les Etats-Unis.

En conclusion, personne n’a aujourd’hui intérêt à la fin du rôle central mais aussi stabilisateur du dollar au sein du SMI. Car lorsque cela se produira, la planète connaîtra une crise bien plus grave et durable que celle que nous avons connue en 2008-2009. Alors, de grâce, chaque crise en son temps, si possible avec un intervalle d’au moins dix ans, histoire de souffler un peu…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Etats-Unis, Zone Euro, France : la déflation est toujours là


Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou pas, c’est un fait : la déflation est toujours présente des deux côtés de l’Atlantique

Ainsi, aux Etats-Unis, en dépit d’une augmentation de 0,2 % en septembre, les prix à la consommation continuent d’afficher un glissement annuel négatif (précisément – 1,3 %) et ce, pour le septième mois consécutif. Quant à la progression annuelle du core CPI, c’est-à-dire à l’inflation hors énergie et produits alimentaire, elle reste des plus sages, avec un niveau de 1,5 %.

Etats-Unis : la déflation globale et la faible inflation sous-jacente perdurent.

Dans la zone euro, la déflation est certes moins marquée mais tout aussi présente. Ainsi, pour le quatrième mois consécutif, le glissement annuel des prix à la consommation est négatif et a atteint – 0,3 % en septembre.

La France ne déroge pas à la règle. En effet, pour le cinquième mois consécutif, l’indice des prix à la consommation enregistre un glissement annuel négatif. En l’occurrence, – 0,4 % en septembre, après – 0,2 % en août.

Certes, il faut souligner encore et toujours qu’hors énergie, l’inflation est toujours présente. Ainsi, le glissement annuel de l’indice des prix sous-jacent (c’est-à-dire hors tarifs publics et prix volatils, en particulier l’énergie) atteint un niveau de + 2 % en septembre. Autrement dit, la déflation généralisée n’est pas d’actualité dans l’Hexagone.

Néanmoins, il faut également noter que sur le mois de septembre, les indices de prix ont identiquement reculé de 0,2 % avec ou sans les prix volatils. Dans les services, secteur habitué à la hausse des prix, ces derniers ont même reculé de 0,8 % en septembre, repli qui serait liée à la fin de la période estivale, les prix s’ajustant à la baisse dans les secteurs touristiques et des transports une fois le rush de l’été passé.

Enfin, la concurrence étant de plus en plus forte dans le secteur automobile et la demande fragile, les prix des voitures continuent de baisser fortement (- 1,9 % sur septembre et – 2,5 % sur un an), pour le plus grand bien des automobilistes mais au grand dam des marges des constructeurs, qui risquent donc de continuer à réduire leurs coûts, notamment sur le front de l’emploi.

C’est d’ailleurs là qu’est le principal problème de la déflation. Car, si elle est positive à court terme sur le pouvoir d’achat des ménages, son prolongement devient à moyen terme destructeur d’emplois, donc de revenus, grevant finalement l’augmentation initiale du pouvoir d’achat.

C’est pourquoi, si la baisse des prix depuis cinq mois a et va mécaniquement favoriser la croissance du PIB au deuxième et au troisième trimestre, ses avantages risquent de s’estomper à moyen terme, via le prolongement des destructions d’emplois.

France : la déflation encore et toujours.

Et ce, d’autant que le mois d’octobre devrait consacrer un sixième mois consécutif de déflation, puisqu’en supposant que les prix augmenteront de 0,2 % sur ce dernier mois, le glissement annuel restera négatif à -0,1%. Par la suite, il devrait néanmoins repasser en territoire positif sans pour autant atteindre la barre fatidique des 2 % avant l’automne 2010. Cela devrait donc se traduire par une inflation annuelle moyenne de 0,1 % en 2009 et de 1,5 % en 2010.

Les résultats de la zone euro devraient être proches, avec des niveaux de 0,3 % cette année et 1,8 % l’an prochain.

Quant aux Etats-Unis, la reprise économique y étant plus forte, la variation annuelle moyenne des prix devrait passer de – 0,4 % en 2009 à + 2,3 % en 2010.

Les risques d’hyperinflation annoncés ici ou là sont donc largement surestimés. A l’inverse, les risques de croissance durablement molle et de faiblesse de l’emploi, en particulier dans l’Hexagone et dans la zone euro, sont sous-estimés.

Marc Touati

 



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 


Les Marchés :

Ah ! L’or ?


Alors qu’il a franchi allégrement la barre fatidique des 1000 dollars l’once le 30 septembre 2009, rien ne semble pouvoir arrêter la flambée de l’or. D’ailleurs, l’or ne serait apparemment pas si cher que ça, puisque, mesuré à dollars constants (c’est-à-dire déflaté des prix), il dépassa les 2000 dollars l’once du 16 au 24 janvier 1980. Utilisant hâtivement cet argument, certains n’hésitent donc plus à annoncer que la ruée vers l’or ne fait que commencer.

Et pourquoi pas 2000 dollars l’once ?

Telle n’est pas notre prévision. Certes, les cours de l’or vont rester chers et peuvent même encore légèrement augmenter. Et ce, tout simplement parce que la demande d’or n’est pas près de baisser. En effet, forte de ses 2273 milliards de dollars de réserves de changes et disposant d’un stock d’or de « seulement » 33 milliards de dollars, la Banque Populaire de Chine (BPC, c’est-à-dire la banque centrale, à ne pas confondre avec les Banques Populaires hexagonales) souhaite ardemment corriger ce déséquilibre qui est d’ailleurs l’un des plus importants de la planète.

La Chine continuera de transformer ses réserves de changes en or.

Sources : FMI, World Gold Council 

Calculs Global Equities, cours au 30/09/09 : 1007 dollars l’once

Comme le montre le tableau précédent, l’or ne représente effectivement que 1,9 % de l’ensemble des réserves de changes de la BPC, contre 77 % pour les Etats-Unis, 60 % pour la zone euro et une moyenne mondiale de 10,3 %.

Dans ce cadre, il est clair que la BPC va continuer de vendre ses dollars non pour acheter de l’euro mais pour augmenter ses réserves d’or. Les cours du métal jaune devraient donc se stabiliser autour des 1200 dollars dans les prochains mois.

L’or et le dollar : je t’aime, moi non plus…

Pour autant, aller durablement au-delà ne nous paraît pas justifié. Tout d’abord, parce qu’à l’instar du Japon (dont le stock d’or représente moins de 5 % des réserves de changes depuis des années, 2,3 % aujourd’hui) et compte tenu de réserves d’or limitées à l’échelle de la planète, la Chine ne pourra pas augmenter trop fortement son stock d’or.

En outre, il ne faut pas oublier que l’or constitue normalement une valeur refuge contre un krach boursier massif et/ou une phase de récession mondiale durable et/ou un mouvement d’hyperinflation généralisée.

Or, ces trois risques ne sont pas ou plus d’actualité. Ainsi, les marchés boursiers ont non seulement retrouvé des couleurs, éloignant le risque d’une réédition du krach de 1929, mais ont, qui plus est, retrouvé le chemin d’une hausse soutenue et vraisemblablement durable.

A titre de comparaison, la remontée du Dow Jones de 120 % de 1996 à 1999 avait été accompagnée d’une baisse de 30 % des cours de l’or. De même, le rebond boursier de 2006 a été de pair avec une stabilisation des cours du métal jaune.

En outre, la récession mondiale est déjà terminée, sans d’ailleurs avoir commencé, et la croissance du PIB de la planète se dirige tranquillement vers les 3,2 % pour 2010.