Emploi US, matières premières, déficit public… (E&S n°99)

Humeur :

France : la fuite en avant s’accélère.


Avant toute chose, ayons une pensée émue pour « le » François Fillon de 2007 qui vilipendait avec force le dérapage des comptes publics et qui annonçait que, compte tenu de sa dette explosive, la France était au bord de la faillite. Aujourd’hui, la donne a bien changé puisque le même homme au même poste a présenté un budget 2010 prolongeant le déficit abyssal et historique de 2009. Les chiffres sont malheureusement sans appel : le déficit public devrait atteindre 140 milliards d’euros en 2009, soit 8,5 % du PIB, puis 8,2 % en 2010, soit « seulement » 116 milliards, du moins selon les dires du gouvernement.

Mieux, cette stabilisation est présentée comme une grande victoire censée confirmer la volonté de la France de ne pas tomber dans le laxisme budgétaire. D’ailleurs, pour masquer la réalité, ce budget est aussi « marketé » comme à la fois « en faveur de la croissance » et « vert », grâce à la fameuse taxe carbone. On croit rêver : faut-il rappeler que le budget 2009, établi il y a un an, faisait état d’un déficit prévisionnel de 52 milliards, soit presque trois fois moins que la réalité ? Comment peut-on oublier que la dette publique avoisine d’ores et déjà 80 % du PIB et qu’elle devrait largement les dépasser en 2010, alors qu’elle n’était « que » de 64 % en 2007 ? Et ce, sans intégrer le hors-bilan, c’est-à-dire le paiement des retraites des fonctionnaires, qui ferait monter la dette publique à 120 % du PIB.

Mais non. Plutôt que d’asséner ces tristes vérités et de prendre les mesures pour les corriger dans le bon sens, il ne faut pas faire de vagues. La crise étant encore présente, surtout dans les esprits d’ailleurs, il faut au contraire apaiser la situation et montrer aux Français qu’une dépense publique encore plus importante est la seule solution à la crise. S’il est bien entendu louable voire indispensable de rechercher la paix sociale, cette stratégie risque de s’avérer contre-productive. Car, en voulant ne faire de peine à personne ou, ce qui revient au même, faire plaisir à tout le monde, le budget 2010 risque de ne faire que des mécontents.

Ainsi, il se veut « vert », mais les écologistes et partisans de la décroissance le trouveront évidemment insuffisamment ambitieux, tandis que les autres (donc la grande majorité des Français) devront payer une taxe carbone forcée, car, pour l’instant les alternatives énergétiques au pétrole, gaz et dérivés sont souvent inexistantes. Ensuite, de manière à apparaître raisonnable, il prévoit vraisemblablement de poursuivre le non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite. Certains y verront une atteinte à la bonne marche de la fonction publique. D’autres rappelleront qu’il y a actuellement chaque année 80 000 départs de fonctionnaires à la retraite, ce qui représente une occasion historique d’améliorer l’efficacité de la dépense publique. Pourtant, les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 9,5 milliards d’euros par an depuis 2002…

Enfin, le budget 2010 est présenté comme égalitaire dans la mesure où il contient des mesures sociales (élargissement du RSA aux plus jeunes, prolongement des avantages fiscaux pour les moins favorisés…). Les uns trouveront cela insuffisant et souligneront qu’il n’y en a que pour les entreprises et les personnes aisées. Les autres souligneront que trop d’aides tue l’aide, avec à l’appui le fait que depuis cinq ans, le taux de pauvreté ne cesse de croître en France alors que la dépense publique n’a jamais été aussi élevée. N’oublions pas le proverbe chinois : si on donne un poisson à un pauvre, il mangera un jour, si on lui apprend à pêcher il mangera toute sa vie.

C’est d’ailleurs là qu’est le principal problème du budget 2010 comme des précédents depuis trente ans : les différents gouvernements veulent croire ou veulent faire croire qu’en augmentant la dépense publique, on résoudra les problèmes économiques et sociaux de la France. Si tel est le cas, alors soyons clairs : le modèle français est le meilleur du monde. Nos parents ou nos grands-parents en ont bénéficié de 1960 à 1973 : à l’époque, on payait déjà beaucoup d’impôts en France, la dépense publique y était déjà très élevée, mais en échange c’était « open bar ». Tout était pris en charge : l’éducation, la santé, la vieillesse, le chômage.

Malheureusement, ce modèle ne fonctionne plus depuis déjà de nombreuses années. Ainsi, la pression fiscale, les dépenses publiques et la dette ne cessent d’augmenter, mais la croissance structurelle de notre économie ne cesse de reculer (elle est aujourd’hui de 1,3 %, contre 2,5 % en 1990), les inégalités se creusent et la pauvreté augmente. Pis, à partir de 2012, le financement du système de retraite par répartition ne sera plus assuré, faute d’une population active suffisante. C’est à ce moment là que, déjà exorbitante, la dette publique deviendra explosive et ingérable, suscitant une dégradation de sa note. Cela générera alors une hausse des taux d’intérêt, une fuite des capitaux, puis une croissance encore plus faible, c’est-à-dire plus de chômage, donc moins de recettes fiscales, plus de déficit public, plus de dette et le cercle pernicieux continuera. Mais chut ! Il faut laisser croire aux Français, comme cela est pratiqué depuis trente ans que l’augmentation de la dépense publique est LA solution. Autrement dit, la rupture tant annoncée et qui devait changer la France a donc finalement été remplacée par la continuité.

Pas de panique néanmoins à court terme, car en 2010, la croissance française sera bien soutenue par le grand emprunt qui nous permettra même de vivre encore au-dessus de nos moyens pendant deux ans, c’est-à-dire jusqu’en 2012. Quelle coïncidence ! Et après ? Il faudra se préparer à des lendemains difficiles. Alors que faire ? Certains diront « peu importe » puisque, comme le soulignait Keynes « à long terme, nous serons tous morts ». En ce qui nous concerne, nous préférons souligner que la rupture est encore possible. Même si cela ne sera évidemment pas facile, il faut engager une complète réforme de la dépense publique et de la fiscalité en France, avec un seul objectif : plus d’efficacité économique et sociale. Tant qu’ils n’auront pas le courage d’engager le pays dans cette voie, les gouvernements seront contraints de faire ce qu’ils font depuis plus de trente ans : colmater les brèches en espérant que la maison tiendra jusqu’aux prochaines élections.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Etats-Unis : pas de baisse du chômage avant le printemps 2010.


A l’image d’enfants gâtés qui auraient reçu trop de cadeaux en trop peu de temps, les marchés font la fine bouche. En effet, il y a encore quatre mois, ils n’auraient même pas osé rêver que les destructions d’emplois mensuelles passent sous la barre des 300 000 ou que l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie puisse dépasser la barre des 50 avant 2010. Or, cette barre a été franchie allègrement dès le mois d’août avec l’atteinte d’un niveau de 52,9. Passant d’un extrême à l’autre, le consensus est alors devenu exigeant et s’est mis à prévoir une nouvelle flambée en septembre à 54.

Mais, beaucoup plus logiquement compte tenu de la forte hausse des mois précédents, l’indice ISM de septembre est finalement ressorti à 52,6, confirmant que la reprise industrielle est bien en train de s’installer aux Etats-Unis. Malheureusement, dans la mesure où le consensus s’attendait à mieux de façon un peu abusive disons-le, les investisseurs boursiers ont saisi cette occasion pour prendre leurs bénéfices. Ce qui n’est d’ailleurs pas un mal dans la mesure où cela permet aux marchés de souffler avant de repartir à la hausse dans les prochaines semaines.

Dans le prolongement de cet excès d’optimisme faisant suite à un excès de pessimisme, les marchés s’étaient mis à rêver que les destructions d’emplois seraient inférieures à 200 000 dès septembre. Et là aussi, la déception est de mise. En effet, après avoir atteint 201 000 en août (un plus bas depuis août 2008), les destructions d’emplois sont reparties à la hausse à 263 000 en septembre.

Bien entendu, ce chiffre n’est pas bon. Néanmoins, à l’exception du résultat d’août, il reste la moins mauvaise performance enregistrée depuis août 2008. Faut-il effectivement rappeler que les destructions d’emplois étaient encore de 519 000 en avril dernier et de 741 000 en janvier ?

De même, si le taux de chômage a continué de progresser, sa hausse n’a été que 0,1 point à 9,8 %. La barre des 10 % n’est donc toujours pas atteinte.

La jobless recovery est tout à fait normale.

Mais, plus fondamentalement, il faut rappeler que la poursuite des destructions d’emplois et de la hausse du chômage est malheureusement normale. En effet, les entreprises ne reprendront le chemin des créations d’emplois qu’après deux trimestres de croissance significative, c’est-à-dire à partir du printemps prochain.

En attendant, il faut s’attendre à des destructions d’emplois ralenties mais persistantes et à un taux de chômage qui oscillera autour des 10 %.

La bonne nouvelle réside dans le fait que tant que le chômage ne baissera pas, la Fed ne remontera pas ses taux directeurs, consolidant par là même la reprise qui est en train de s’installer outre-Atlantique.

D’ailleurs, comme le montre le graphique ci-après, la quasi-stabilisation de l’indice ISM au-dessus de 52 n’est absolument pas une mauvaise nouvelle. Elle confirme, au contraire, que le glissement annuel du PIB devrait bien atteindre, voire dépasser, les 2 % dès le début 2010.

Le niveau de l’indice ISM reste en phase avec une croissance d’au moins 2 % dès le début 2010.

En outre, alors que les marchés se focalisaient sur la déception très relative de la légère baisse de l’indice ISM, ils ont complètement occulté deux excellentes nouvelles publiées juste avant, à savoir l’augmentation de 0,2 % des revenus des ménages et de 1,3 % de la consommation en août.

Mieux, grâce à ces évolutions, la consommation en volume (c’est-à-dire hors inflation et donc telle qu’elle apparaît dans les comptes nationaux) affiche une progression de 0,8 % en juillet-août par rapport au deuxième trimestre.

Dans la mesure où les revenus ont encore augmenté en août, la hausse devrait rester au rendez-vous en septembre, ce qui se traduira donc par une augmentation de la consommation d’au moins 0,8 % au troisième trimestre, soit 3,2 % en rythme annualisé.

De plus, si les salaires horaires n’ont augmenté que de 0,1 % en septembre, leur glissement annuel reste appréciable à 2,5 %. Mieux, grâce à une inflation toujours négative, les salaires réels continuent de croître à un rythme annuel proche de 4 %.

La consommation se réveille avec force au troisième trimestre.

Dans ce cadre, les comptes nationaux du troisième trimestre (qui seront publiés le 29 octobre) pourraient bien faire état d’une croissance annualisée du PIB d’environ 3 %, un niveau qui serait d’ailleurs conforté au quatrième trimestre. De quoi rasséréner les marchés boursiers, qui, après avoir été excessivement pessimistes puis trop optimistes vont désormais être plus modérés et plus en phase avec les fondamentaux économiques.

Autrement dit, après une phase logique de prise de bénéfices début octobre, ils permettront aux investisseurs ayant manqué les précédents mouvements de hausse de ne pas rater une nouvelle fois le train de la reprise boursière.

Marc Touati



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

Les Marchés :

Cours des matières premières en 2010 : vers une hausse limitée.


Même s’il ne vaut plus 40 dollars comme en mars dernier, le baril de brut se stabilise autour des 70 dollars depuis juillet. Autrement dit, comme nous l’annoncions dans ces mêmes colonnes au printemps dernier, les scenarii extrêmes d’une chute à 25 dollars et d’une flambée à plus de 100 dollars n’ont pas eu lieu.

La question reste néanmoins de savoir si la relative sagesse des prix pétroliers et plus globalement des cours des matières premières dans leur ensemble va perdurer ou bien laisser place à une flambée identique à celle de 2008.

En ce qui nous concerne, nous restons sur la même longueur d’onde et continuons d’anticiper que la hausse des prix énergétiques et des matières premières sera bien présente en 2010 mais qu’elle restera contenue.

En effet, à l’inverse du mouvement spéculatif du printemps-été 2008, qui faisait cohabiter de façon complètement anormale un baril à 150 dollars et une récession mondiale, la récente remontée des prix pétroliers est logique. Et pour cause : elle est justifiée par la sortie de récession et le retour d’une croissance mondiale qui devrait avoisiner les 3,2 % l’an prochain (selon nos prévisions) contre environ 0 % cette année.

Ce retour de la croissance à l’échelle de la planète est d’ailleurs visible dans l’évolution de la demande mondiale de pétrole qui a non seulement fortement augmenté ces derniers mois mais qui a surtout dépassé le niveau de l’offre mondiale de pétrole depuis juillet dernier. C’est la première fois depuis près de deux ans qu’une telle situation d’excès de demande s’observe.

L’offre et la demande mondiale de pétrole s’équilibrent.

 

En revanche, une flambée durable à plus de 100 dollars ne nous paraît pas justifiée. Tout d’abord, parce que la reprise de l’activité internationale restera limitée Ainsi, si, comme nous l’anticipons, la croissance mondiale rebondit à 3,2 % en 2010, un baril à 80 dollars d’ici la fin 2009 et en 2010 devient tout à fait envisageable. A la rigueur, cette augmentation sera presque salutaire puisqu’elle confirmera que la croissance mondiale est bien installée sur de bons rails. Bien entendu, la barre des 100 dollars pourrait être retrouvée si les 5 % de croissance mondiale sont atteints. Néanmoins, une telle perspective n’est pas encore pour demain mais plutôt pour 2012 au mieux.

Une croissance mondiale à 3,2 % pour un baril à 80 dollars.

Prévisions Global Equities

En attendant, cette reprise économique appréciable  mais non-explosive continuera d’inciter les investisseurs à revenir sur les marchés boursiers, comme cela s’observe d’ailleurs depuis plus de six mois. De quoi alimenter encore la remontée boursière et limiter par là même les flux d’investissement spéculatifs vers les marchés des matières premières comme cela s’était observé au printemps-été 2008.

En outre, la faiblesse du dollar notamment face à l’euro étant actuellement excessive, le billet vert devrait retrouver le chemin de la hausse à partir du printemps 2010, limitant par là même la flambée des cours de l’or noir.