Reprise, G20, Bourse… (E&S n°98)

Humeur :

La reprise… et après ?


Une personne ayant pris un congé sabbatique de huit mois sur une île déserte coupée du monde (par exemple, pour ne pas avoir à subir les affres de la catastrophe économique tant annoncée) n’en croirait pas ses yeux. Lors de son départ du « monde moderne » en mars dernier, la crise paraissait inextinguible. Les marchés boursiers s’enfonçaient dans une ampleur oubliée depuis le krach de 1929, les entreprises déstockaient, désinvestissaient et licenciaient massivement, le G20 s’apprêtait à se réunir pour essayer de sauver ce qu’il pouvait. Quant aux économistes et observateurs de la chose économique, ils étaient, dans leur écrasante majorité, formels : la reprise n’aurait pas lieu avant 2012.

Huit mois plus tard, la surprise est donc de taille : non seulement le cataclysme n’a pas eu lieu, mais surtout la reprise est là, notamment en Chine et aux Etats-Unis et même en Europe. Certes, il y a encore quelques cassandres pour annoncer qu’il ne s’agit que d’un feu paille et sont ainsi presque contents lorsque des mauvaises nouvelles sont encore publiées (par exemple la baisse surprise de la consommation en France qui semble avoir fait jubiler certains conjoncturistes qui n’avaient évidemment pas prévu le rebond et qui étaient donc en mal d’annoncer de funestes prévisions). Pour autant les faits sont là : les PIB français et allemands ont augmenté dès le deuxième trimestre et celui des Etats-Unis devrait progresser fortement au troisième trimestre.

Seulement voilà c’est maintenant que les vrais problèmes commencent. En effet, compte tenu de l’écroulement excessif du PIB, lui même lié à un mouvement de peur panique, le rebond était presque inévitable. Il l’était d’autant plus que les efforts de relance déployés à travers le monde ont été pléthoriques. Désormais, il faut donc passer à l’étape suivante : transformer le rebond technique en une reprise durable. Le succès de façade du G20 de Pittsburgh (cf. notre Humeur de la semaine dernière) confirme d’ailleurs que le plus difficile n’a pas été de réagir pendant la crise (à la rigueur, nous n’avions pas le choix), mais va être de gérer la sortie de crise et de pérenniser la reprise.

Ainsi, plutôt que d’aborder les vrais problèmes (reconnexion des taux de changes avec les fondamentaux économiques, harmonisation internationale des politiques monétaires des banques centrales, gestion de la dette publique ou encore révolution des Nouvelles Technologies de l’Energie), le G20 a préféré se focaliser sur les bonus des traders. Si la stratégie du bouc-émissaire est évidemment très pratique pour éviter de résoudre les sujets qui fâchent et pour faire plaisir aux instincts revanchards de certains tout en s’assurant ainsi leur sympathie, elle ne résout absolument rien et pourrait surtout s’avérer très dangereuse à moyen terme. Dans ce cadre, au-delà du satisfecit de circonstance et d’une cohésion apparente, les différents pays et zones de la planète sont d’ores et déjà inégaux devant la reprise.

Comme souvent depuis une vingtaine d’années, les principaux gagnants seront les Etats-Unis et la Chine. Au-delà d’afficher une croissance insolente et qui restera soutenue par des réserves de change de 2130 milliards de dollars et une dette publique très faible de seulement 18 % du PIB, la Chine a effectivement profité de cette crise pour asseoir son statut de deuxième puissance mondiale et renforcer son poids dans les relations économico-politique internationale.

Quant aux Etats-Unis, s’ils sont évidemment fragilisés par la crise et par la puissance galopante de la Chine, ils restent néanmoins le pays développé qui affiche la récession la plus limitée cette année et devrait également enregistrer la croissance la plus forte l’an prochain. Et ce, notamment grâce à la poursuite de la relance budgétaire (qui atteindra 450 milliards de dollars en 2010), au statu quo des taux directeurs de la Fed entre 0 et 0,25 % au moins jusqu’au printemps prochain, sans oublier le nouvel accès de faiblesse du dollar. Autrement dit, non contente de rebondir fortement dès cette année, l’Oncle Sam continue de bénéficier de tous les soutiens de politique économique.

Bien loin de ce soutien certainement excessif, l’Europe reste la grande perdante. Certes, elle pourra s’enorgueillir d’avoir fait publier une liste de paradis fiscaux et d’avoir créé une nouvelle « usine à gaz » pour limiter les bonus des traders. Mais la croissance dans tout ça ? Malheureusement, elle passera comme d’habitude au second plan. Ainsi, la BCE a déjà prévenu qu’elle n’attendra pas la remontée de l’inflation pour augmenter ses taux directeurs. En d’autres termes, nous y aurons droit en décembre 2009 ou au plus tard en janvier 2010. Anticipant ce mouvement, l’euro a donc flambé à 1,48 dollar et pourrait continuer sa course contre la croissance pendant encore quelques mois. Enfin, le déficit public va se creuser à plus de 7 % du PIB, aggravant le poids déjà exorbitant de la dette et suscitant certainement une augmentation des impôts. C’est bien là le problème : augmenter le déficit public n’est pas forcément un mal si le coût de ce dernier et de la dette qui va avec est inférieure aux gains économiques obtenus en matières de croissance et d’emplois. Or, pour reprendre le seul exemple de la France, avec un déficit public qui atteindra 130 milliards d’euros cette année et une charge de la dette qui dépassera les 55 milliards d’euros, il est malheureusement clair que les gains de PIB qui en découleront seront largement inférieurs. Pis, la France veut même s’engager dans un grand emprunt. Ce qui assurera certainement la paix sociale pendant deux ans mais alourdira encore un poids de la dette et des dépenses publiques déjà prohibitif.

Dans ces conditions, il faut donc se préparer à une reprise molle, ainsi qu’à une croissance eurolandaise et française qui oscillera autour des 1,5 %, tandis qu’elle atteindra au moins 2,7 % outre-Atlantique en 2010.

A l’instar des attentats du 11 septembre 2001 qui ont eu lieu à New York mais qui ont eu plus de conséquences négatives sur l’économie européenne, la crise dite des subprimes est née aux Etats-Unis, mais aura plus d’impacts négatifs sur le Vieux Continent que chez l’Oncle Sam. Et alors ? diront certains, l’honneur est sauf puisque l’Europe a brillé au G20…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

France-Allemagne : une reprise très fragile.


Les statistiques publiées ces derniers jours des deux côtés du Rhin confirment deux évolutions : la reprise est bien là, mais elle demeure très fragile.

Ainsi, en France, après une petite euphorie printanière, la consommation des ménages n’a pas résisté à l’été, reculant de 1,2 % en juillet et de 1 % en août. Histoire de rappeler que la situation des ménages reste délicate.

Pour autant, il ne faut pas dramatiser. En effet, après la hausse des mois précédents, la baisse de juillet-août constitue une correction logique. D’ailleurs, avec un niveau de -1,3 %, le glissement annuel de la consommation résiste.

De plus, la poursuite du “cadeau” gouvernemental que constitue la prime à la casse, ainsi que la réallocation de la forte épargne des ménages vers la dépense devraient permettre de maintenir une consommation soutenue jusqu’aux soldes d’hiver.

D’ailleurs, grâce à la baisse des prix des matières premières qui a compensé les effets négatifs de la hausse du chômage, le revenu disponible des ménages français a augmenté de 1,1 % au deuxième trimestre, soit cinq fois plus que la consommation sur la même période.

Conséquence logique de ce décalage entre revenu et consommation, le taux d’épargne a de nouveau flambé, atteignant un niveau historique de 16,7 %. A titre de comparaison, le taux d’épargne n’était « que » de 15 % au troisième trimestre 2008.

Autrement dit, les ménages se sont constitués un matelas de sécurité pour maintenir un niveau de consommation appréciable pour la fin 2009 et le début 2010.

Cette augmentation du taux d’épargne ne correspond donc pas à un mouvement de panique mais au fameux principe de précaution. D’ailleurs, l’indice de confiance des ménages a continué de s’améliorer en septembre. Avec un niveau de – 36, il reste certes très bas, mais réalise une progression de 10 points sur un an et atteint même désormais un plus haut depuis février 2008.

En outre, en dépit de l’augmentation du chômage des deux derniers mois, les ménages se déclarent moins inquiets quant aux risques d’augmentation du chômage et  ce pour le troisième mois consécutif. Certains dirons certainement que les ménages font preuve d’illusion, mais il faut néanmoins reconnaître que la progression du chômage a nettement ralenti depuis trois mois comparativement à la flambée de la fin 2008 et du début 2009, comme l’avait justement annoncé les ménages.

Si l’euphorie n’est évidemment pas de mise, ces évolutions confirment que l’économie française pourra encore compter sur la résistance des dépenses des ménages. Cela sera certes insuffisant pour retrouver le chemin d’une croissance fort mais permettra tout de même d’éviter le retour de la récession.

 

Et ce d’autant que l’amélioration récente de l’activité dans l’industrie et dans les services devrait limiter les destructions d’emplois.

C’est d’ailleurs là que se situe le point réconfortant de la semaine, en l’occurrence la forte augmentation du climat des affaires dans l’industrie en septembre. Celui-ci a effectivement atteint un niveau de 85, un plus haut depuis octobre 2008.

Certes, il se situe toujours quinze points en deçà de sa moyenne de long terme. Néanmoins, cette nouvelle hausse du climat des affaires confirme que la France a non seulement évité la bérézina tant annoncée mais qu’elle se dirige également vers une augmentation du PIB d’environ 0,3 % tant au troisième qu’au quatrième trimestre 2009. Ce qui devrait se traduire par une baisse du PIB de “seulement” 2,1 % sur l’ensemble de l’année 2009.

France : la reprise oui, l’euphorie non.

Mais au-delà de ces relatives bonnes nouvelles, l’économie française va devoir traverser plusieurs obstacles sur le chemin de la reprise : euro trop fort, augmentation des taux directeurs de la BCE au plus tard début 2010, épuisement des soutiens publics à l’activité et surtout augmentation de la pression fiscale, notamment au niveau local sans oublier la taxe carbone.

Autrement dit, si la France a bien évité le scénario catastrophe de la courbe en L, elle ne devrait malheureusement pas rater celui de la “tolle ondulée”, c’est à dire d’une croissance durablement molle autour des 1,5 %. Ce ne sera déjà pas si mal au regard des prévisions consensuelles, mais bien insuffisant pour inverser significativement la courbe du chômage.

Une situation similaire s’observe en Allemagne. En effet, après cinq mois consécutifs de rebond, dont les trois derniers de forte hausse, l’indice du climat des affaires de l’enquête IFO a continué de progresser en septembre. Pour autant, le rythme de croissance s’avère désormais moins soutenu que précédemment, en l’occurrence 0,8 point, contre des augmentations de 1,7 point en juin, 1,4 en juillet et 3,1 en août.

Allemagne : la reprise s’essouffle déjà.

De même, l’indice des perspectives d’activité, très bien corrélé avec le glissement annuel du PIB (cf. graphique ci-dessus), n’a augmenté que de 0,7 point en septembre, contre une hausse mensuelle moyenne de 3 points de juin à août.

Si la reprise de l’économie allemande ne fait donc aucun doute, ces indicateurs montrent néanmoins qu’elle reste limitée et surtout très fragile.

En effet, selon les indicateurs avancés de l’enquête IFO, le glissement annuel du PIB allemand devrait au mieux atteindre + 0,5 % d’ici le premier trimestre 2010. Ce qui sera certes bien supérieur aux – 6,9 % atteint au premier trimestre 2009, mais largement insuffisant pour permettre un retour des fortes créations d’emplois.

En outre, même si l’Allemagne est moins affectée par l’euro fort que ses homologues eurolandais, elle devra affronter la fin de sa prime à la casse, les incertitudes postélectorales qui se traduiront certainement par une vague de rigueur et, enfin, la très probable augmentation des taux d’intérêt d’ici le début 2010. Autant d’évolutions défavorables qui ne manqueront pas d’affaiblir l’actuel rebond de l’activité.

Dans ce cadre, après avoir subi une décroissance de 4,9 % la plaçant lanterne rouge de la zone euro en 2009, l’Allemagne devrait certes retrouver la croissance l’an prochain, mais une croissance molle d’au mieux 1,7 %.

Si Angela Merkel semble s’en satisfaire et demande désormais d’arrêter au plus vite les efforts de relance, la population allemande risque d’apprécier modérément. Elle pourra néanmoins se consoler avec le fait que l’inflation ne devrait pas dépasser les 2,2 % outre-Rhin en 2010. Il est vrai que culturellement, les Allemands ont tendance à préférer une inflation limitée à une croissance forte. Dommage pour le reste de la zone euro…

Marc Touati



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 


Les Marchés :

Qu’est-ce qui fait courir les bourses ?


En dépit de quelques baisses journalières et tout à fait logiques compte tenu de l’envolée de ces derniers mois, les marchés boursiers ont retrouvé le chemin de la hausse durable, déjouant par là même les scénarii consensuels d’écroulement sur l’ensemble de l’année 2009.

Ainsi, pour ne prendre que l’exemple de la place de Paris, le Cac 40 a non seulement dépassé les 3 800 cette année, mais ceci dès le mois de septembre.

Les bourses remontent et disposent encore d’un potentiel conséquent.

Mieux, si l’on observe l’évolution du Dow Jones lors des quatre plus graves crises des 100 dernières années, on observe qu’après avoir subi une dégringolade aussi forte qu’en 1929 jusqu’au mois de mars dernier, l’ampleur de la baisse du Dow Jones lors de la crise actuelle est désormais moins grave que lors de celle du premier choc pétrolier (cf. page suivante).

Si bien que les mêmes prévisionnistes qui annonçaient le pire il y a encore quelques mois et qui nous disaient que le « Bear rally » (c’est-à-dire la reprise des cours au sein d’un marché durablement baissier) du printemps s’arrêterait en juin, se mettent aujourd’hui à annoncer une reprise de plus en plus forte des bourses internationales.

C’est d’ailleurs certainement là le vrai soutien du marché boursier : tous ceux qui ont raté la hausse veulent aussi leur part du gâteau et sont donc prêts à alimenter le rebond.

Cette dynamique demeure aussi soutenue par quatre mouvements plus fondamentaux.

Premièrement, en dépit d’inévitables soubresauts liés à la gravité de la crise passée, la reprise économique est bien là. Et ce notamment en Asie (Chine en tête) et aux Etats-Unis, l’Europe étant également de la partie même si elle en reste la lanterne rouge. Dès lors, après avoir atteint 0 % en 2009, la croissance mondiale devrait avoisiner les 3,2 % en 2010.