La reprise… et après ?

Une personne ayant pris un congé sabbatique de huit mois sur une île déserte coupée du monde (par exemple, pour ne pas avoir à subir les affres de la catastrophe économique tant annoncée) n’en croirait pas ses yeux. Lors de son départ du « monde moderne » en mars dernier, la crise paraissait inextinguible. Les marchés boursiers s’enfonçaient dans une ampleur oubliée depuis le krach de 1929, les entreprises déstockaient, désinvestissaient et licenciaient massivement, le G20 s’apprêtait à se réunir pour essayer de sauver ce qu’il pouvait. Quant aux économistes et observateurs de la chose économique, ils étaient, dans leur écrasante majorité, formels : la reprise n’aurait pas lieu avant 2012.

Huit mois plus tard, la surprise est donc de taille : non seulement le cataclysme n’a pas eu lieu, mais surtout la reprise est là, notamment en Chine et aux Etats-Unis et même en Europe. Certes, il y a encore quelques cassandres pour annoncer qu’il ne s’agit que d’un feu paille et sont ainsi presque contents lorsque des mauvaises nouvelles sont encore publiées (par exemple la baisse surprise de la consommation en France qui semble avoir fait jubiler certains conjoncturistes qui n’avaient évidemment pas prévu le rebond et qui étaient donc en mal d’annoncer de funestes prévisions). Pour autant les faits sont là : les PIB français et allemands ont augmenté dès le deuxième trimestre et celui des Etats-Unis devrait progresser fortement au troisième trimestre.

Seulement voilà c’est maintenant que les vrais problèmes commencent. En effet, compte tenu de l’écroulement excessif du PIB, lui même lié à un mouvement de peur panique, le rebond était presque inévitable. Il l’était d’autant plus que les efforts de relance déployés à travers le monde ont été pléthoriques. Désormais, il faut donc passer à l’étape suivante : transformer le rebond technique en une reprise durable. Le succès de façade du G20 de Pittsburgh (cf. notre Humeur de la semaine dernière) confirme d’ailleurs que le plus difficile n’a pas été de réagir pendant la crise (à la rigueur, nous n’avions pas le choix), mais va être de gérer la sortie de crise et de pérenniser la reprise.

Ainsi, plutôt que d’aborder les vrais problèmes (reconnexion des taux de changes avec les fondamentaux économiques, harmonisation internationale des politiques monétaires des banques centrales, gestion de la dette publique ou encore révolution des Nouvelles Technologies de l’Energie), le G20 a préféré se focaliser sur les bonus des traders. Si la stratégie du bouc-émissaire est évidemment très pratique pour éviter de résoudre les sujets qui fâchent et pour faire plaisir aux instincts revanchards de certains tout en s’assurant ainsi leur sympathie, elle ne résout absolument rien et pourrait surtout s’avérer très dangereuse à moyen terme. Dans ce cadre, au-delà du satisfecit de circonstance et d’une cohésion apparente, les différents pays et zones de la planète sont d’ores et déjà inégaux devant la reprise.

Comme souvent depuis une vingtaine d’années, les principaux gagnants seront les Etats-Unis et la Chine. Au-delà d’afficher une croissance insolente et qui restera soutenue par des réserves de change de 2130 milliards de dollars et une dette publique très faible de seulement 18 % du PIB, la Chine a effectivement profité de cette crise pour asseoir son statut de deuxième puissance mondiale et renforcer son poids dans les relations économico-politique internationale.

Quant aux Etats-Unis, s’ils sont évidemment fragilisés par la crise et par la puissance galopante de la Chine, ils restent néanmoins le pays développé qui affiche la récession la plus limitée cette année et devrait également enregistrer la croissance la plus forte l’an prochain. Et ce, notamment grâce à la poursuite de la relance budgétaire (qui atteindra 450 milliards de dollars en 2010), au statu quo des taux directeurs de la Fed entre 0 et 0,25 % au moins jusqu’au printemps prochain, sans oublier le nouvel accès de faiblesse du dollar. Autrement dit, non contente de rebondir fortement dès cette année, l’Oncle Sam continue de bénéficier de tous les soutiens de politique économique.

Bien loin de ce soutien certainement excessif, l’Europe reste la grande perdante. Certes, elle pourra s’enorgueillir d’avoir fait publier une liste de paradis fiscaux et d’avoir créé une nouvelle « usine à gaz » pour limiter les bonus des traders. Mais la croissance dans tout ça ? Malheureusement, elle passera comme d’habitude au second plan. Ainsi, la BCE a déjà prévenu qu’elle n’attendra pas la remontée de l’inflation pour augmenter ses taux directeurs. En d’autres termes, nous y aurons droit en décembre 2009 ou au plus tard en janvier 2010. Anticipant ce mouvement, l’euro a donc flambé à 1,48 dollar et pourrait continuer sa course contre la croissance pendant encore quelques mois. Enfin, le déficit public va se creuser à plus de 7 % du PIB, aggravant le poids déjà exorbitant de la dette et suscitant certainement une augmentation des impôts. C’est bien là le problème : augmenter le déficit public n’est pas forcément un mal si le coût de ce dernier et de la dette qui va avec est inférieure aux gains économiques obtenus en matières de croissance et d’emplois. Or, pour reprendre le seul exemple de la France, avec un déficit public qui atteindra 130 milliards d’euros cette année et une charge de la dette qui dépassera les 55 milliards d’euros, il est malheureusement clair que les gains de PIB qui en découleront seront largement inférieurs. Pis, la France veut même s’engager dans un grand emprunt. Ce qui assurera certainement la paix sociale pendant deux ans mais alourdira encore un poids de la dette et des dépenses publiques déjà prohibitif.

Dans ces conditions, il faut donc se préparer à une reprise molle, ainsi qu’à une croissance eurolandaise et française qui oscillera autour des 1,5 %, tandis qu’elle atteindra au moins 2,7 % outre-Atlantique en 2010.

A l’instar des attentats du 11 septembre 2001 qui ont eu lieu à New York mais qui ont eu plus de conséquences négatives sur l’économie européenne, la crise dite des subprimes est née aux Etats-Unis, mais aura plus d’impacts négatifs sur le Vieux Continent que chez l’Oncle Sam. Et alors ? diront certains, l’honneur est sauf puisque l’Europe a brillé au G20…

Marc Touati