G20, reprise, euro/dollar… (E&S n°97)

Humeur :

G20 de Pittsburgh : succès de façade ou échec cuisant ?


Ah qu’elle semble loin l’harmonie du sommet du G20 de Londres du 2 avril 2009 ! A l’époque, les pays les plus puissants de la planète n’avaient pas le droit à l’échec. La crise avait atteint son paroxysme si bien que la grande majorité des prévisionnistes et des institutions officielles, et notamment le FMI, annonçaient le pire, laissant croire au monde entier qu’il était en train de s’engager dans une dépression au moins aussi forte que celle de 1929.

Dans ces conditions, le G20 devait absolument afficher une réussite, même de façade, de manière à sauver le système. Pour ce faire, il décida principalement de refuser tout mouvement protectionniste et d’augmenter les dotations du FMI et de la Banque Mondiale, notamment en augmentant la quote-part acquittée par la Chine, qui renforçait ainsi son statut de puissance de premier rang et devenait à la fois l’un des principaux sauveurs et le grand gagnant de cette crise. Parallèlement, le G20 annonçait toute une série de mesures visant à mieux réguler les marchés, notamment le renforcement du contrôle de la Fed sur les banques américaines, ainsi que la fin du mark to market.

Enfin, pour faire plaisir aux Européens et notamment aux Français, le G20 décidait de publier deux listes de paradis fiscaux : l’une noire, avec seulement quatre, puis trois, puis zéro pays et l’autre grise avec 42 pays. C’est d’ailleurs sur ce point que le risque de « couac » fût le plus grand, faisant par exemple dire au Président français qu’en cas de désaccord, il pratiquerait la politique de la chaise vide. Pourtant, bien loin d’avoir gain de cause et sous la pression des Chinois qui menaçaient également de briser cette cohésion apparente, la liste grise initiale fut amputée de Macao et de Hong Kong. Mais pour assurer la réussite du G20 et de manière à éviter d’engager une nouvelle crise économico-financière qui aurait certainement été fatale, la France et l’Europe finirent par accepter cette liste à minima, dont la publication leur permettait néanmoins de sortir la tête haute et de laisser croire au grand public que le monde s’était plié à leurs exigences. Ah les apparences…

Aujourd’hui, le monde a déjà bien changé : la croissance est de retour et s’annonce même assez forte outre-Atlantique, la Chine n’a pas connu la moindre récession et affichent même des performances économiques insolentes (+ 15,3 % pour les ventes au détail et + 12,4 % pour la production industrielle en août), sans parler de la remontée tout aussi impressionnante des marchés boursiers.

En d’autres termes, la répétition de la crise de 1929 a été évitée. Et c’est peut-être justement là le problème : la pression qui imposait un accord lors du G20 de Londres n’est plus aussi forte aujourd’hui. De plus, la cohésion d’avril dernier a été entachée par quelques couacs. A commencer par le refus de la Chine d’apprécier le yuan, l’augmentation des droits de douane américains sur certains produits chinois, le maintien d’un différentiel de taux d’intérêt directeurs notable entre la BCE et la Réserve fédérale et même une différence majeure d’appréciation de l’avenir entre ces deux institutions, la première craignant le retour d’une forte inflation et la seconde décidant de poursuivre sa politique monétaire exceptionnellement accommodante au moins jusqu’au printemps prochain.

Enfin et peut-être surtout, les Américains et les Européens semblent prêts à s’affronter sur un détail mais qui pourrait bien faire capoter le G20 de Pittsburgh, en l’occurrence le plafonnement des bonus des dirigeants et des cadres supérieurs des banques. En effet, après la liste des paradis fiscaux qui n’a évidemment rien changé à la face du monde, les Européens, et en particulier les Français, ont trouvé leur nouveau bouc émissaire : les méchants traders et leur vilains bonus. Ainsi, plutôt que de penser à la gestion de la sortie de crise et notamment et à la limitation de leur dette publique, les Européens préfèrent se focaliser sur un détail qui ne changera pas non plus la face du monde mais qui, comme pour la liste des paradis fiscaux, permettra à l’Europe de se mettre en avant, pour masquer son manque de poids dans le déroulement du G20 qui, comme en avril, sera surtout un G2 entre les Etats-Unis et la Chine.

Le « hic » c’est que si les Américains étaient prêts à céder aux caprices des Européens en avril sans pour autant froisser les susceptibilités chinoises, ils n’ont plus l’air de l’être aujourd’hui. Certes, l’administration Obama est d’accord pour favoriser la transparence sur les salaires, voire sur l’étalement du paiement des bonus. Néanmoins, conscients que le cœur du problème n’est pas là et que la limitation des salaires du privé reste une atteinte aux libertés contraire à la Constitution américaine, les Etats-Unis refusent d’aller trop loin en la matière.

Si les Européens s’obstinent, il est d’ores et déjà acquis que le G20 de Pittsburgh sera un échec. Face à ce risque et à l’image des concessions sur la liste des paradis fiscaux, les Européens sont donc en train de mettre de l’eau dans leur vin, en revenant sur leurs exigences. L’accord signé par les 27 le 17 septembre ne demande donc plus de limitation chiffrée des bonus. Même si les Européens et les Français vont évidemment pavoiser en criant haut et fort qu’ils ont fait plier les Etats-Unis, cette position sur une plus grande transparence des rémunérations des financiers sans plafonnement chiffré des salaires ne fait finalement que reprendre la position défendue par Barack Obama depuis des mois. Mais encore une fois, l’essentiel, pour nos dirigeants, réside dans la forme et non sur le fond.

Reste à savoir si, une fois le succès de façade du G20 de Pittsburgh passé, la France ira bien jusqu’au bout et limitera de manière chiffrée les bonus par la loi comme elle l’a promis. Dans ce cas, il faut malheureusement être clair : si la France est le seul, ou l’un des seuls, à plafonner et/ou à surtaxer les bonus des opérateurs financiers et à sur-réglementer les marchés financiers, la place de Paris risque alors de souffrir fortement dans les prochaines années. Si cela satisfera certains, une question demeure : le jeu en vaut-il vraiment la chandelle, lorsque l’on sait que les activités financières de la France comptent 890 000 salariés et constituent par là même une forte réserve de consommation, mais aussi d’épargne, sans oublier qu’elle représente également une part non-négligeable des recettes fiscale de la France ?

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

La reprise américaine va encore surprendre.


Qu’il est amusant d’observer tous les « bearish » d’hier qui annonçaient que la récession durerait au moins jusqu’à la fin 2010, faire preuve aujourd’hui d’ingéniosité artistique pour expliquer que la reprise américaine actuelle est normale. Certains soulignent qu’elle ne va évidemment pas durer. D’autres vont même encore plus loin et annoncent qu’ils l’avaient prédit. D’autres enfin, ignorant ou faisant semblant d’oublier que nous étions parmi les très rares à annoncer au printemps dernier que la reprise aurait lieu aux Etats-Unis dès le troisième trimestre 2009, n’hésitent pas à dire que nous avons eu de la chance. Que de mauvaise foi et de faux semblants…

Mais l’essentiel n’est pas là. Le plus important réside dans le fait que, bien loin du scénario consensuel d’il y a encore quelques mois, la courbe en L a été évitée. Autrement dit, la grande dépression n’a pas eu lieu. Certes, le rebond reste fragile et un mouvement de légère correction temporaire reste possible. Néanmoins, les chiffres sont sans appel : le rebond est fort et n’est pas encore terminé.

Tout d’abord, après trois mois d’amélioration, au cours desquels elles ont progressé de 1,2 %, les ventes au détail ont bondi de 2,7 % en août, notamment tirées par la prime automobile américaine. Mais ce n’est pas tout, car, même hors automobile, les ventes au détail ont progressé de 1,1 % en août, après une augmentation de 0,4 % sur les trois mois précédents. Si l’euphorie n’est donc pas encore de mise, il est néanmoins clair que les ménages ont retrouvé le chemin de la dépense et ne paraissent pas près de le quitter précipitamment.

Le rebond de la consommation est conséquent.

En attendant la poursuite de ce rebond, la production industrielle est déjà passée un cran au-dessus sur l’échelle de la reprise. En effet, après avoir déjà augmenté de 1 % en juillet (chiffre révisé en hausse de 0,5 point par rapport à son estimation précédente), cette production a progressé de 0,8 % en août. Et si cette hausse s’explique en grande partie par un effet de correction et par le rebond de la production automobile (+ 20,1 % en juillet et + 5,5 % en août), il faut également noter que la totalité des secteurs ont progressé sur les deux ou sur au moins un des deux derniers mois. A commencer par les biens d’équipement : + 1,1 % en juillet et + 0,6 % en août et les biens de consommation : respectivement + 0,8 % et + 1,3 %. En d’autres termes, la reprise américaine n’est pas le seul fait de la relance budgétaire mais est déjà soutenue par les moteurs privés que sont la consommation des ménages et les investissements des entreprises.

Et ce n’est pas terminé, car la forte hausse des indices des dernières enquêtes ISM dans l’industrie indique que le glissement annuel de la production industrielle devrait atteindre 4 % d’ici le début 2010 (cf. graphique ci-dessus), alors que, malgré la reprise des deux derniers mois, il est encore actuellement de – 10,7 %. C’est dire l’ampleur de la reprise qui attend l’industrie américaine.

La reprise industrielle ne fait que commencer.

Pour le seul troisième trimestre, il faut savoir que la production industrielle affiche déjà un acquis de croissance de 0,7 %. Au cours de ce même trimestre, la progression du PIB américain pourrait donc bien surprendre et avoisiner les 3 % en rythme annualisé. En outre, la nouvelle augmentation du taux d’utilisation des capacités de production à 69,6 %, un plus haut depuis février 2009, confirme que les entreprises américaines ont arrêté de désinvestir et vont désormais être « contraintes » de réinvestir conséquemment.

Enfin, la nouvelle augmentation des mises en chantier sur un plus haut depuis novembre 2008 indique que la reprise est aussi sur les rails en matière d’investissement logement des ménages.

En d’autres termes, le cercle vertueux de croissance investissement-emploi-consommation est bien en train de renaître outre-Atlantique. Et ce d’autant que les autorités monétaires et budgétaires américaines feront tout pour pérenniser ce retour en grâce. Ainsi, la Fed a indiqué qu’elle ne resserrerait pas son étreinte tant que le chômage ne baissera pas durablement, donc pas avant le printemps 2010. Quant à la relance budgétaire, elle ne fait également que commencer, puisqu’elle se traduira par des investissements de 450 milliards de dollars en 2010.

En conclusion, n’en déplaise à beaucoup de monde, la reprise est non seulement bien présente aux Etats-Unis mais elle devrait surtout s’installer durablement.

Marc Touati



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 

Les Marchés :

La malédiction de l’euro/dollar.


Il n’est pas possible d’avoir raison sur tout. Voilà pourquoi, chaque année depuis dix ans, nous publions le bilan de nos prévisions, en soulignant nos réussites et nos erreurs. Une leçon annuelle de transparence et d’humilité qui est indispensable mais qui est malheureusement très peu pratiquée par la profession des économistes et des prévisionnistes en particulier en France.

Ainsi, cette année encore, notre bilan devrait être particulièrement positif, dans la mesure où nous étions les très rares à anticiper le rebond des marchés boursiers et de la croissance mondiale, l’avènement de la déflation en Europe, la résistance de la Chine ou encore la remontée limitée des prix des matières premières (après avoir été les rares également à anticiper leur baisse sur le second semestre 2008).

Malheureusement, ce bilan sera entaché par notre « bête noire » depuis des années : l’euro/dollar. Certes, conformément à nos prévisions, l’euro a bien baissé vers 1,25 dollar entre octobre 2008 et mars 2009. Pourtant, alors que l’on tenait le bon bout, la tendance va s’inverser et l’euro va de nouveau flamber, d’abord modérément, puis beaucoup plus massivement depuis les quinze derniers jours.

Que se passe-t-il ? Et surtout, pour reprendre une remarque d’Alan Greenspan d’il y a quelques années, n’est-il pas tout simplement impossible de prévoir l’évolution des devises?

En fait, il existe actuellement deux principales raisons à cette flambée intempestive de l’euro. La première réside dans le différentiel de taux d’intérêt directeurs entre les Etats-Unis et la zone euro.

L’observation parallèle de l’évolution du différentiel de taux monétaires BCE/Fed et de celle de l’euro/dollar est d’ailleurs édifiante.

Un euro/dollar intimement lié au spread de taux directeurs BCE/Fed.

En effet, depuis la fin de l’été 2007, la Réserve fédérale américaine, soucieuse d’éviter le pire, n’a pas cessé de baisser ses taux directeurs. A l’inverse, la BCE les a augmentés, se payant même le luxe de resserrer une dernière fois son étreinte début juillet 2008 à 4,25 %, alors que la récession avait déjà commencé dans la zone euro.

En dépit du marasme économique qui sévissait sur le Vieux Continent, l’euro s’est alors hissé au niveau historique de 1,60 dollar.

Ensuite, les investisseurs se sont rendu compte du drame économique que revêtait un tel niveau. Aidé par la baisse du taux refi qui a suivi, l’euro s’est alors logiquement replié vers les 1,25 dollar.

Mais, en décembre 2008 lorsque la Fed décide d’engager une politique de taux zéro, la BCE indique qu’elle n’ira jamais aussi loin. L’euro rebondit alors vers 1,45 dollar fin 2008, avant de reculer de nouveau vers les 1,25 dans le sillage de la confirmation d’une récession eurolandaise encore plus grave que celle enregistrée aux Etats-Unis.

Devant cet écroulement économique, les investisseurs s’étaient effectivement mis à rêver que la BCE baisserait son taux refi vers les 0,5 %, comme d’ailleurs toutes les banques centrales des pays développés.

Ces espoirs ont bien entendu été vains, puisqu’en avril, la BCE indique que sa phase d’assouplissement monétaire est terminée, avec un taux refi à 1 %. Une nouvelle vague d’appréciation de l’euro s’engage alors, en dépit de la publication du PIB eurolandais du premier trimestre qui affiche une baisse de 2,5 % sur le trimestre et de quasiment 5 % sur un an.

Pour autant, l’euro semble se stabiliser autour des 1,40, niveau économiquement difficile à supporter mais encore gérable.

C’était sans compter les frasques des dirigeants de la BCE qui, depuis le début septembre, laissent entendre qu’ils n’attendront pas le retour d’une inflation positive pour augmenter le taux refi. Sachant que le glissement annuel des prix à la consommation devrait avoisiner les 1,5 % dès novembre et les 2 % dès janvier 2010, la sentence est claire : la BCE