Marchés, Zone euro, Energie : une nouvelle donne ? (E&S n°94)

Humeur :

Nous partîmes cinq cents…


Nous partîmes cinq cents; mais par un prompt renfort

Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port,

Tant, à nous voir marcher avec un tel visage,

Les plus épouvantés reprenaient leur courage !

Qui mieux que ces quelques mots de Pierre Corneille dans le Cid (Acte IV, Scène 3) pourraient résumer l’évolution récente des marchés et des discours des observateurs économico-financiers. En effet, il y a encore quelques mois, pour ne pas dire quelques semaines, la quasi-totalité de ces derniers était formelle : la crise de 2007-2008 n’était qu’un hors-d’œuvre avant une grande dépression au moins aussi grave que celle des années 30. Ainsi, lorsque le Cac 40 atteignait 2500 points le 9 mars dernier, la prévision consensuelle faisait état de l’imminence d’un Cac à 1 500.

Parallèlement, le FMI n’hésitait pas à faire de la surenchère et à revoir constamment en baisse ses prévisions de croissance pour 2009 et 2010. A en croire ses dirigeants, la récession allait durer au moins jusqu’à la fin 2010. Quant aux banques, toujours à en croire le FMI et le fameux consensus de marchés, elles ne renoueraient pas avec les profits avant plusieurs années. Le capitalisme était donc en train de mourir et devait donner naissance à un nouveau monde, avec plus d’Etat et moins d’initiatives privées.

A l’époque, il fallait donc littéralement se battre pour annoncer que le pire était évitable et que, grâce à une relance monétaire et budgétaire historique, la reprise était possible tant d’un point de vue boursier qu’économique. Nous écrivions alors que 2009 n’était pas 1929, que l’économie américaine allait progressivement repartir, que la Chine allait nous surprendre par sa résistance et que les années à venir ne seraient pas similaires aux années 30. Il faut reconnaître qu’à l’époque, nous prêchions dans le désert, tant le pire paraissait certain et que même la simple annonce d’un possible rebond technique était quasiment honnie.

Aujourd’hui, la donne a bien changé à tel point que les journaux font leur une sur la reprise et que les analystes les plus pessimistes d’il y a si peu de temps affirment qu’ils étaient parmi les rares à annoncer un rebond pour l’été. Même Alan Greenspan ou encore Paul Krugman font leur mea culpa et déclarent qu’ils ont exagéré en prédisant la « Great Depression » Version 2.0. Il ne manque plus qu’au FMI de réviser à la hausse ses prévisions, et il faudra alors peut-être s’inquiéter…

Car c’est là que le bât blesse : dès qu’un consensus s’installe, la probabilité de voir l’inverse se réaliser augmente. La tirade du Cid citée plus haut se termine d’ailleurs par le fameux « Et le combat cessa faute de combattants ». Autrement dit, à partir du moment où tous les pessimistes d’hier seront devenus optimistes, le consensus commencera à réclamer une augmentation des taux d’intérêt des banques centrales, avec retour de la croissance molle à la clé. Or, si on baisse la garde en matière de soutien à l’activité, le risque de rechute s’accroît dangereusement.

C’est ce contexte mi-figue mi-raisin qui devrait prévaloir en 2010. En effet, après la récession historique du second semestre 2008 et du premier semestre 2009, l’économie mondiale connaîtra une reprise de rattrapage presque automatique. Néanmoins, cette reprise ne sera pas homogène et établira une césure entre, d’un côté, l’Asie émergente, le Brésil et les Etats-Unis qui retrouveront une croissance soutenue, et, de l’autre côté, une Europe émergente et une zone euro qui reprendront certes le chemin de la croissance, mais d’une croissance durablement molle.

Et pour cause : une fois l’effet de rattrapage passé et la petite relance budgétaire épuisée, l’Europe occidentale et en particulier la zone euro, manqueront de relais de croissance. Et ce d’autant que la BCE n’hésitera pas à remonter son taux refi dès le début 2010, aux premiers signes d’une inflation supérieure à 1 %. En outre, les taux longs continueront de pâtir du creusement des déficits publics, les taux des obligations d’Etat à dix ans retrouvant même la barre des 4,5 % d’ici l’été 2010.

Enfin et d’ores et déjà, la vigueur excessive de l’euro limite la reprise et risque même de l’étouffer dans l’œuf. Dans ce cadre, après avoir baissé d’environ 4 % en 2009, le PIB eurolandais devrait péniblement croître de 1,5 % en 2010.

Dans le même temps, la variation du PIB américain devrait passer de – 2,3 % en 2009 à + 2,7 % l’an prochain. En effet, l’essentiel du plan de relance Obama n’aura lieu qu’en 2010, via une impulsion de 450 milliards de dollars, contre environ 250 milliards en 2009. En outre, si la Fed augmente également ses taux directeurs, elle ne le fera que très progressivement, consacrant un taux des federal funds d’environ 1 % à l’horizon de l’été 2010, ce qui restera encore très accommodant. Cette différence de croissance entre les deux côtés de l’Atlantique devrait permettre de faire repartir l’euro à la baisse, vers des niveaux de 1,20 dollar d’ici l’automne 2010.

Quant à la Chine, forte d’un plan de relance pharaonique et de réserves de changes qui dépassent désormais les 2 100 milliards de dollars, elle retrouvera progressivement une croissance de 9 % en 2010.

Au total, la croissance mondiale devrait avoisiner les 3 % en 2010. Nous resterons donc loin des 5 % d’avant crise, mais comparativement aux scenarii consensuels d’il y a encore quelques semaines, ce ne sera déjà pas si mal…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

L’Allemagne et la France sortent de la récession, la zone euro pas encore.


C’est LA bonne surprise économique de l’été. Après quatre trimestres consécutifs de baisse, les PIB français et allemand ont augmenté de 0,3 % au deuxième trimestre 2009.

Dans l’Hexagone, au-delà du fait que le consensus anticipait une baisse de 0,3 %, la surprise est d’autant plus grande que, sur la même période, la production industrielle française a reculé de 0,8 % et que les exportations (certes mesurées en valeur) ont baissé de 1,7 %.

Dans ce cadre, l’augmentation de 1 % des exportations en volume a de quoi surprendre, sachant que l’appréciation de l’euro sur la période aurait du générer un meilleur résultat en valeur qu’en volume. Aussi, il faut noter que si l’on retire la contribution positive du commerce extérieur, la demande intérieure a baissé de 0,5 % au deuxième trimestre.

Et pour cause : en dehors de la consommation des ménages qui a continué de croître (+ 0,3 %) soutenant toujours à bout de bras l’économie nationale, l’investissement a poursuivi sa chute : – 0,9 % pour l’investissement des entreprises et – 1,8 % pour l’investissement logement des ménages.

Autrement dit, le PIB français doit son salut à la résistance de la consommation des ménages, à une contribution positive anormalement forte du commerce extérieur et à l’augmentation de 0,5 % de la consommation publique.

 France : une bonne surprise, mais…

En outre, n’oublions pas qu’après quatre trimestres consécutifs de baisse, la progression du deuxième trimestre 2009 constitue avant tout un rattrapage modeste de la faiblesse passée. Il ne constitue donc malheureusement pas le signe du retour durable de la croissance forte.

D’ailleurs, en dépit du rebond du deuxième trimestre, le glissement annuel du PIB reste largement négatif à -2,6%. De même, l’acquis de décroissance pour 2009 reste particulièrement élevé à – 2,4 %, indiquant que la variation annuelle du PIB oscillera autour des – 2,2 % en 2009. Et ce d’autant que les relais de croissance risquent de manquer dans les prochains mois. En effet, à présent que l’euro remonte, que les taux d’intérêt ne baissent plus et que les effets de la relance budgétaire sont en train de s’estomper, les résultats des prochains trimestres risquent de surprendre, mais négativement.

En conclusion, la véritable bonne nouvelle de ces comptes nationaux réside dans le fait qu’à l’inverse des prévisions consensuelles d’il y a encore quelques semaines, la bérézina type « années 30 » a été évitée. En revanche, la convalescence de l’économie française reste fragile et ne résistera pas à un euro trop fort et/ou à une augmentation des taux d’intérêt. En d’autres termes, il ne faut surtout pas crier victoire trop vite et baisser la garde en matière de soutien à l’activité.

Et ce d’autant que la France reste engoncée dans la déflation. En effet, pour le troisième mois consécutif, le glissement annuel des prix à la consommation est négatif et a même atteint un nouveau plancher historique en juillet à – 0,7 %, un niveau identique à la déflation enregistrée dans l’ensemble de la zone euro (puisque les – 0,6 % annoncés initialement sont devenus – 0,7 %, là aussi un niveau historique).

La déflation est toujours là tant en France que dans la zone euro.

Certes, comme chaque mois de juillet, la baisse des prix s’explique notamment par un effet soldes, les prix des biens manufacturés ayant baissé de 8,5 % sur un mois. Certes, le glissement annuel des prix à la consommation hors tarifs publics et prix volatils, atteint 2,2 % en juillet.

Pour autant, les faits sont là : à l’inverse des prévisions consensuelles d’il y a encore quelques semaines qui annonçaient que la déflation ne durerait qu’un mois dans l’Hexagone et dans la zone euro, celle-ci s’est finalement installée. Et ce pour encore deux mois au minimum. En effet, même si les prix augmentent de 0,2 % en août et septembre 2009, notamment via un mouvement de correction de l’effet soldes, leur glissement annuel restera négatif.

En outre, en supposant que les prix pétroliers continueront d’augmenter jusqu’à la fin de l’année et en 2010, suscitant une progression mensuelle moyenne de 0,2 % des prix à la consommation, le glissement annuel de ces derniers ne sera que de 1,3 % en décembre 2009 et ne dépassera les 2 % qu’à partir de l’été 2010.

Autrement dit, il est clair que la France n’est absolument pas menacée par un risque d’hyperinflation mais bien au contraire par un mouvement de faiblesses des prix et de récession durable. Car s’il est vrai qu’à court terme, la déflation est bonne pour le pouvoir d’achat, à moyen terme, elle devient un véritable cadeau empoisonné, dans la mesure où elle impose aux entreprises de réduire leurs coûts, notamment en réduisant leur masse salariale, via une baisse de l’emploi et/ou une stagnation des salaires. Les revenus des ménages s’en trouvent alors diminués et leur dépenses de consommation avec, d’où un nouveau mouvement de baisse des prix, donc de l’emploi… et le cercle pernicieux continue.

Dans ce cadre, il faut donc souligner que la politique monétaire reste toujours inappropriée au regard de la déflation actuelle et des risques à venir et qu’à fortiori augmenter trop rapidement le taux refi de la BCE reviendrait à étouffer dans l’œuf la reprise et à revigorer les pressions déflationnistes.

Baisse du PIB dans la zone euro : et de cinq !

La nouvelle baisse du PIB dans la zone euro montre d’ailleurs que la prudence reste de mise. Ainsi, en dépit des bonnes surprises liées à l’augmentation de 0,3 % du PIB en Allemagne et en France, le PIB de la zone euro a bien enregistré un cinquième trimestre consécutif de baisse. Certes, le recul du deuxième trimestre n’a été que de 0,1 %, contre – 0,5 % attendu. Pour autant, ces cinq trimestres consécutifs de repli se traduisent par une baisse totale de 4,9 % du PIB eurolandais. Avec un niveau actuel de 1862 milliards d’euros (aux prix de 2000), ce dernier atteint ainsi un plus bas depuis le premier trimestre 2006. Autrement dit, la récession actuelle a plongé la zone euro plus de trois ans en arrière.

Dans ces conditions, la marge de rattrapage technique reste conséquente. C’est d’ailleurs l’une des raisons principales pour laquelle les PIB allemand, français, grecque et portugais ont augmenté de 0,3 % dès le deuxième trimestre. Malheureusement, tel n’a pas été le cas des autres pays de la zone. A commencer par les Pays-Bas qui enregistrent une baisse de 0,9 % de leur PIB, après déjà – 2,7 % au premier trimestre. L’Italie, Chypre, la Belgique et l’Autriche ne sont pas en reste avec des baisses de 0,5 % pour les deux premiers et de 0,4 % pour les deux derniers. Pour ces pays là, l’effet de correction de la baisse passée n’a donc pas encore commencé. Cette disparité d’évolution du PIB au sein de la même zone montre non seulement que cette dernière est loin d’être une zone monétaire optimale (c’est-à-dire homogène), mais surtout que l’économie eurolandaise reste très fragile.

Bien entendu, les évolutions récentes confirment que nous sommes loin de la situation cataclysmique prédite de façon consensuelle il y a encore quelques semaines. Pour autant, la reprise qui se met en place dans la zone euro (cette dernière est d’ailleurs toujours en récession, ne l’oublions pas) est avant tout technique et liée à la baisse des taux d’intérêt, de l’euro et des cours pétroliers du début d’année, à laquelle il faut ajouter les efforts de relance budgétaire.

Or, aujourd’hui, ces éléments favorables s’estompent, ont disparu ou ont été inversés. Ainsi, les taux d’intérêt ne baissent plus, les plans de relance ont déjà produit une grande partie de leurs effets, l’euro s’est renchéri et les cours du baril ont augmenté. En d’autres termes, la zone euro va forcément manquer de relais de croissance à partir de l’automne prochain, c’est-à-dire justement au moment où elle aura besoin de soutiens pour transformer le rebond technique en reprise durable.

Dans ce cadre, il est inévitable que la reprise que connaîtra la zone euro sera une reprise molle et fragile. Pis, si la BCE s’amuse à remonter son taux refi avant la fin de l’année, si l’euro continue de s’apprécier, entraînant le dollar à la baisse, et pesant à la hausse sur le prix du baril, alors l’économie eurolandaise pourrait bien rechuter.

Ainsi, après avoir baissé d’environ 4 % cette année, le PIB de la zone euro progressera d’à peine 1,5 % en 2010. Ce qui est encore loin d’être satisfaisant et suffisant, notamment en matière de créations d’emplois.

Voilà pourquoi, si l’évolution récente du PIB eurolandais constitue une nouvelle relativement appréciable et infirme les scenarii noirs de 95 % des économistes, il ne faut surtout pas crier victoire trop vite. Il faut au contraire continuer de soutenir l’activité, au travers d’un taux refi durablement bas, d’un euro moins cher et d’une relance concertée au niveau eurolandais. Sinon, il faudra composer avec une relance… de la récession.

Marc Touati



 

La météo économique de la semaine écoulée :

 

 

 Cf. document .pdf Merci.  


 

Les Marchés :

Power Generation : une opportunité ?