BCE, Notation, Confiance : du chaud et du froid (E&S n°86)

L’humeur :

Les agences de notation notées DDD.

Comme vous le savez, il n’est pas dans nos habitudes de chercher des boucs émissaires ou de tirer sur les ambulances. C’est dans ce cadre que nous avons toujours soutenu que la crise dans laquelle nous vivons depuis bientôt deux ans n’a absolument pas été un crime organisé, mais la succession d’accidents, d’erreurs, de malchances ou encore de malversations qui, mis bout à bout, ont finalement entraîné la planète économico-financière dans sa crise la plus grave depuis 1929.

De la même façon, la sortie de crise et l’évitement d’une période comparable au marasme des années 1930 ne tomberont pas du ciel et ne seront que les produits des nombreuses décisions de politiques économiques (tant budgétaires que monétaires) prises à travers la planète, auxquelles s’ajouteront ou non les comportements positifs des différents acteurs privés, qu’il s’agisse des entreprises ou des ménages. Dans cette chaîne pour la reprise, pas un maillon ne doit manquer sous peine d’amoindrir l’amélioration de l’activité voire de transformer le rebond en un simple intermède entre deux tunnels. C’est pourquoi, en refusant d’abaisser au maximum son taux refi et en maintenant par là même un euro trop fort, la BCE fait courir un risque énorme à la zone euro qui pourrait donc bien être le parent pauvre de cette crise, c’est-à-dire l’une des zones les plus touchées du monde développé.

Autrement dit, après s’être fait remarquer négativement en augmentant son taux refi en juillet 2008 alors que la zone euro était déjà entrée dans la récession, la BCE ne s’est pas excusée et n’a pas modifié son comportement vers plus de réactivité et de pragmatisme. Mais dans le registre des erreurs à ne pas commettre, la BCE n’a pas le monopole et pourrait être rapidement rattrapée par les agences de notations. Même si elles ne sont évidemment pas les seules coupables, ces dernières ont effectivement joué un rôle important dans le développement de la crise financière, notamment en notant AAA des titres issus des dettes subprimes et en donnant un blanc seing à de nombreuses institutions financières qui avaient oublié la corrélation positive qui existe structurellement entre le rendement et le risque.

Non contentes de n’avoir pas vu l’évidence ou peut-être même pour essayer de se racheter de leurs erreurs du passé, ces mêmes agences de notation font aujourd’hui une erreur similaire, mais dans l’autre sens, c’est-à-dire en voulant dégrader excessivement les notes de certaines dettes publiques quitte à engager le monde dans une nouvelle crise, celle des Etats.

Bien entendu, des risques existent et on ne peut pas blâmer les agences de rating de les mettre en exergue. Pourtant, de la même façon qu’une certaine retenue aurait été souhaitable lors de l’engouement pour les titres basés sur des dettes subprimes et pour tous les produits complexes présentés comme sans risque, une retenue au moins aussi importante serait également souhaitable dans la dégradation de certaines notations. Et ce d’autant que la fragilité ou plutôt la convalescence dans laquelle se trouvent la sphère économico-financière requiert la plus grand prudence pour éviter de sombrer à nouveau dans un pessimisme destructeur.

Voilà pourquoi, nous estimons que la mise sous surveillance négative de la dette publique britannique, ainsi que les rumeurs d’un traitement identique de la dette publique américaine sont déplacées, déontologiquement discutables et finalement dangereuses.

En effet, comment peut-on annoncer que la dette publique britannique se dirige vers les 100 % du PIB alors qu’elle n’est actuellement que de 53 % ? Quand bien même le déficit public atteindrait-il 7 % du PIB cette année, voire l’an prochain, dans la mesure où cette relance suscitera un retour, même limité, de la croissance, la spirale de la dette sera forcément stoppée. Et ce, surtout lorsque l’on sait que les dépenses publiques ne représentent que 45 % du PIB britannique. De même, si les plans de relance américains Bush et Obama pourraient atteindre au total 10 % du PIB, la dépense publique et la dette publique ne représentant que respectivement 35 % et 60 % du PIB avant la crise, il n’y a pas de quoi s’alarmer. Et ce d’autant plus que cette relance devrait permettre de retrouver une croissance américaine d’environ 2,5 % dès 2010.

Mais le plus choquant réside dans le fait que l’agence de notation qui a fait courir ces bruits n’a absolument pas évoqué le cas des pays de la zone euro et en particulier de l’Allemagne et de la France. Or, dans ces deux pays, la dépense publique représente respectivement 50 % et 54 % du PIB. Pis, la dette publique avoisine déjà les 70 % et se dirige tranquillement vers les 80 % dès 2010-2011. De plus, si les gouvernements américain et britannique ont quasiment terminé le « ménage » dans les banques de leur pays, il est loin d’en être le cas dans la zone euro, en particulier en Allemagne où les déboires des pays d’Europe de l’Est risquent de coûter très cher aux banques germaniques. Enfin, compte tenu du faible impact de la relance sur l’économie, la croissance devrait difficilement atteindre 0,8 % en 2010 des deux côtés du Rhin, ce qui serait hautement insuffisant pour inverser la spirale de la dette publique.

Autrement dit, s’il y a une dette publique à mettre sous surveillance négative, c’est plutôt celles de l’Allemagne et de la France qui paraissent bien mieux positionnées que leurs homologues britanniques et américaines. Pourtant, tel n’a pas été le cas, ce qui a entraîné une augmentation des taux d’intérêt à dix ans et une nouvelle dépréciation du dollar, notamment contre l’euro, dont la cherté va encore amoindrir et différer la reprise eurolandaise. De la sorte, après avoir joué un rôle clé dans la crise financière, les agences de notation risquent d’enfoncer le clou, en particulier dans la zone euro. A l’évidence, elles méritent donc un bon « triple D » : D comme Défaillant, Destructeur et Désuet.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Les ménages plus forts que la crise.


Qu’ils soient Français ou Américains, les consommateurs refusent de sombrer dans la crise et dans la déprime.

Aux Etats-Unis, après un coup de blues historique fin 2008-début 2009, les ménages ont finalement décidé de sortir du carcan du pessimisme et de retrouver non seulement l’espoir mais aussi une certaine dose d’optimisme.

Ainsi, après une première augmentation de 0,6 % en mars, puis un bond de 51,2 % en avril, l’indice de confiance des ménages américains calculé par le Conference Board a encore flambé de 34,6 % en mai.

Avec un niveau de 54,9, il atteint désormais un plus haut depuis septembre 2008, c’est-à-dire avant que la faillite de Lehman Brothers et tutti quanti ne génèrent une panique généralisée… De quoi couper le sifflet une nouvelle fois à pas mal de mauvaises langues qui comptaient sur une nouvelle déprime des ménages pour relancer le Bear Market.

En outre, même si l’euphorie n’est évidemment pas encore de mise, il faut noter que ce sont principalement les perspectives d’activité et d’emploi des ménages qui ont le plus progressé en mai.

Autrement dit, les particuliers américains veulent absolument tourner la page de la crise et revenir sur le chemin de la consommation.

Comme le montre le graphique ci-dessous, la corrélation entre cette dernière et l’indice de confiance indique d’ailleurs que les dépenses des ménages devraient nettement rebondir au cours des prochains trimestres, sachant qu’elles ont déjà progressé de 1.5 % au premier trimestre.

Consommation aux Etats-Unis : vers des lendemains qui chantent…

Sources : BEA, Conference Board

Dans la mesure où la consommation privée représente 70 % du PIB américain, il y a donc fort à parier que l’évolution de ce dernier nous surprendra positivement au moins jusqu’à la fin 2009.

Si cette embellie est malheureusement beaucoup moins probable dans la zone euro, il y a néanmoins un pays qui continue de se démarquer favorablement sur le front de la consommation et non des moindres puisqu’il s’agit de la France.

Ainsi, en dépit de l’augmentation du chômage et malgré un environnement médiatique angoissant qui leur annonce le pire, les Français continuent d’augmenter leurs dépenses de consommation. Certes, la progression de ces dernières au mois de mars a été révisée à 0,6 %, contre + 1,1 % en première estimation. De quoi remettre sur la table le problème de la fiabilité des statistiques de l’INSEE.

Néanmoins, en supposant que les chiffres publiés aujourd’hui ne soient pas faux, la consommation en produits manufacturés a augmenté de 0,7 % en avril

 Depuis son point bas de décembre dernier et malgré la correction baissière de février, sa progression atteint 0,9 %. Rien de flamboyant mais une performance tout de même très honorable dans le contexte de déprime actuelle.

Bien entendu, cette résistance s’explique principalement par la vigueur retrouvée du secteur automobile. Les dépenses de consommation en la matière ont ainsi flambé de 3,7 % sur le seul mois d’avril et de 5,8 % sur un an. Autrement dit, la prime de l’Etat et les promotions des différents constructeurs ont porté des fruits aussi juteux qu’inespérés. Histoire de rappeler que lorsqu’on leur donne un petit coup de pouce, les Français n’hésitent pas à casser leur tirelire.

Mais ce comportement positif n’est pas seulement observable dans l’automobile. Ainsi, après deux mois de baisse, les dépenses dans l’équipement du logement ont progressé de 0,8 %. De même, après une flambée de 3,8 % lors des soldes de janvier, puis une baisse corrective de 7,5 % en janvier, la consommation en textile-cuir a non seulement rebondi de 3,6 % en mars mais a aussi continué de croître de 0,3 % en avril.

Si l’euphorie de la fièvre acheteuse du début des années 2000 n’est évidemment pas d’actualité, cette résistance confirme néanmoins que les consommateurs français n’ont toujours pas déposé les armes.

Une question demeure alors : est-ce durable ? Si l’augmentation du chômage et la légère remontée des prix du pétrole amoindriront inévitablement les dépenses des ménages, il est clair que la baisse des taux d’intérêt, la poursuite de la faiblesse de l’inflation et un taux d’épargne à quasiment 16 % empêcheront la consommation de s’effondrer.


Consommation : l’exception française.

Source : INSEE

Si certains l’ont oublié, les ménages français nous rappellent simplement que les crises sont toujours des phases d’opportunités. En matière de consommation, ces opportunités résident à la fois dans la baisse des prix et dans l’utilisation d’une épargne pléthorique et faiblement rémunérée.

Dans la mesure où la plupart des entreprises n’ont pas anticipé cette bonne tenue et ont déstocké massivement, un retour de bâton positif pourrait s’enclencher assez rapidement, notamment en matière de stocks mais aussi d’investissements, voire d’emplois.

Même si deux points (mars et avril en l’occurrence) ne font pas une tendance et même si une correction pourrait s’observer en mai, la consommation devrait permettre au PIB français d’éviter une nouvelle forte baisse au deuxième trimestre.

Le bout du tunnel n’est donc plus très loin. Il ne reste plus qu’à espérer que la BCE continuera de baisser son taux refi et que, ce faisant, l’euro rebaissera rapidement. Sinon, nous risquons de sortir de ce tunnel pour très vite entrer dans un autre…

Marc Touati

 




Et les marchés dans tout ça ?

BCE : Bad Birthday


Nous allons fêter un triste anniversaire la semaine prochaine à Francfort : cela fera effectivement un an que Jean-Claude Trichet a annoncé que la BCE allait augmenter son taux refi (ce qui fut effectif début juillet) en pleine récession de la zone euro.

Depuis, la BCE n’a évidemment fait aucun mea culpa et s’est même enferrée dans ses certitudes. Ainsi, en septembre dernier, alors que la baisse du PIB eurolandais du deuxième trimestre avait déjà été publiée, la BCE a annoncé fièrement qu’elle n’avait aucunement l’intention de baisser son taux refi avant longtemps.

La faillite de Lehman Brothers et la panique financière qui en a suivi l’ont contrainte à revoir sa position. Néanmoins, sans aller aussi loin que ses homologues de la planète, qu’il s’agisse de la Fed, de la BoE, de la Banque Nationale de Suisse ou encore la Banque du Canada. Toutes ont décidé de baisser leurs taux directeur central entre 0 et 0,5 % et ce dès décembre 2008 pour la Fed, janvier 2009 pour la BNS et au plus tard en mars pour les deux autres banques centrales. Mais la BCE a continué de s’y refuser, maintenant encore son taux refi à 1 % en mai dernier.

Cet écart de taux directeurs est d’autant plus troublant que la baisse du PIB est beaucoup plus forte dans la zone euro qu’aux Etats-Unis en Suisse ou encore au Canada, l’écart étant plus faible avec le Royaume-Uni.

Un taux refi qui tranche avec ses homologues internationaux.

D’ailleurs, à l’exception du Japon, la zone euro se paie le luxe d’afficher la plus importante baisse du PIB du monde développé. Et ce, tout en pâtissant du taux directeur le plus élevé.

La réunion de politique monétaire de jeudi prochain constituera donc l’opération de la dernière chance pour la BCE. En l’occurrence, sa dernière chance de montrer qu’elle n’est pas seulement dogmatique, mais qu’elle sait aussi prendre en compte la réalité économique qui l’environne.

A la rigueur, si le mois dernier, la BCE n’a abaissé son taux refi que de 25 points de base, elle pouvait toujours justifier ce nouveau geste de frilosité par le fait qu’elle ne connaissait pas les comptes nationaux du premier trimestre 2009.

Certes, comme nous l’avons souvent répété, toute inflexion de taux directeurs prend de six à neuf mois pour agir sur l’activité. De ce fait, il est parfaitement inefficace d’agir en fonction des chiffres du passé. Pour autant, nous savons qu’à la BCE, cette règle de base n’est pas respectée et que, généralement, la BCE modifie ses taux directeurs en fonction des statistiques du passé.

Compte tenu de cette « stratégie », les dernières statistiques publiées dans la zone euro revêtent donc une importance capitale.

Or, force est de constater qu’elles militent largement pour une nouvelle baisse du taux refi dès jeudi prochain. N’en déplaise au consensus de marché qui annonce un statu quo.

Commençons tout d’abord par les comptes nationaux du quatrième trimestre. Et pour cause : au premier trimestre 2009, le PIB eurolandais a enregistré son quatrième trimestre consécutif de baisse, subissant un plongeon de 4,6 % sur un an. Du jamais vu depuis l’après-guerre.

Certes, l’indice de sentiment économique de la zone euro calculé par la Commission Européenne a de nouveau augmenté en mai, indiquant que la zone euro commence enfin à sortir du gouffre.

Dans la mesure où il s’agit là du meilleur indicateur avancé de l’activité économique de la zone euro, il est donc possible de dire que le plus dur de la récession est passé.

Zone euro : le pire est passé mais la récession perdure.