Bourse, euro, pétrole : Oups ! (E&S n°85)

L’humeur :

Qu’est-ce qui fait courir les marchés ?

Un Cac 40 à plus de 3 200 points, un euro à 1,40 dollar, des taux d’intérêt à dix ans à presque 3,5 % aux Etats-Unis, un baril à 60 dollars. Qui l’eut cru ? Ces résultats apparaissent d’autant plus détonants qu’il y a encore quelques semaines, rares étaient ceux qui auraient misé le moindre kopeck sur de telles évolutions. Ainsi, il y a environ trois mois, ces mêmes grandeurs financières atteignaient des niveaux de 2 500 pour le Cac, de 1,24 dollar pour un euro, de 2 % pour le taux dix ans américain ou encore de 39 dollars le baril.

Que s’est-il donc passé en si peu de temps pour justifier une telle volatilité ? En fait, pas grand chose en apparence. Plus troublant encore, certaines évolutions économiques auraient même dû aller à l’encontre des évolutions financières effectivement enregistrées. Ainsi, la forte baisse du PIB observée dans l’ensemble des pays développés au premier trimestre aurait pu déprimer encore davantage des investisseurs déjà très pessimistes, les incitant à vendre encore plus leurs actions. Pourtant, les marchés boursiers ont repris plus de 30 % en neuf semaines, effaçant les pertes et les craintes de capitulation qui sévissaient en janvier-février.

De même, l’effondrement des PIB eurolandais et japonais bien au-delà de la baisse du PIB américain aurait pu justifier une nouvelle vague de dépréciation de l’euro et du yen vis-à-vis du dollar. C’est pourtant exactement le contraire qui s’est produit, l’euro flirtant désormais avec les 1,40 dollar et le yen se stabilisant autour des 94 yens pour un dollar. Parallèlement, la forte augmentation des stocks de brut aux Etats-Unis et le maintien d’un fort excédent d’offre mondiale de pétrole comparativement à la demande mondiale auraient pu stabiliser le baril autour des 50 dollars. Et ce d’autant que la baisse du PIB dans les pays développés a été conséquente au premier trimestre et que la reprise qui s’y dessine apparaît timide. Mais là aussi, les prix de marchés ont été bien au-delà de la réalité économique, les cours du baril remontant à 60 dollars.

Enfin, même si les agences de notations commencent à émettre des doutes sur la dette publique américaine, la poursuite de la déflation aux Etats-Unis devrait agir comme un frein à la hausse des taux d’intérêt à dix ans. D’autant que la Fed a actionné la planche à billets, permettant au Trésor de financer son déficit directement par création monétaire sans faire appel au marché obligataire, ce qui aurait normalement dû éviter une hausse des taux longs. Mais, une fois encore, la recette n’a pas fonctionné, puisque le taux dix ans a flambé de quasiment 150 points de base en cinq mois.

Toutes ces évolutions et tous ces paradoxes sont, selon nous, les témoins ou plutôt les manifestations financières de deux grandes réalités internationales. D’une part, ils montrent que les investisseurs restent particulièrement inquiets et prudents et que, ce faisant, les marchés demeurent fragiles, donc capables de nombreux excès à la hausse ou à la baisse. D’autre part, ils rappellent que les liquidités restent très fortes à travers la planète, justifiant des mouvements massifs et abrupts des variables financières. Ce sont donc, ces deux facteurs (fébrilité des investisseurs et cash pléthorique) qui vont encore faire courir les marchés au moins jusqu’à la fin 2009.

Autrement dit, il est clair que la volatilité des marchés va demeurer très élevée, signifiant par là même que si les prévisionnistes en font de même, ils ne seront que des suiveurs des marchés et seront ainsi assurés d’avoir le plus souvent tort. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore plus qu’hier, il nous paraît opportun de poursuivre la démarche que nous mettons en œuvre depuis toujours, c’est-à-dire de garder le cap et d’établir nos prévisions sur la base des fondamentaux économiques. C’est grâce à cela que nous avons pu annoncer la baisse des prix du baril lorsqu’ils étaient à 150 dollars et leur remontée lorsqu’ils passaient sous les 50 dollars. C’est également grâce à cette stratégie que nous avons pu anticiper la remontée des marchés boursiers il y a trois mois, seuls contre tous, mais en rappelant simplement que la baisse des marchés était excessive par rapport aux fondamentaux économiques. Enfin, c’est aussi à cause de cela que nous n’avons pas réussi à anticiper l’appréciation de l’euro qui nous paraît d’ailleurs toujours autant déconnectée de la réalité économique.

Dans ce cadre, nous maintenons nos scénarii financiers pour les prochains trimestres. Sur les marchés boursiers, après un mouvement de prise de bénéfices logique, la remontée restera au rendez-vous, dans le sillage de l’amélioration de la croissance américaine et mondiale. Ce qui devrait par exemple se traduire par un Dow Jones à 10 500 et un Cac 40 à 4 000 d’ici le début 2010. Sur les marchés obligataires d’Etat, au-delà des atermoiements des agences de notation pour essayer de faire oublier leurs errements passés sur l’appréciation des dettes titrisées, les taux longs devraient continuer d’augmenter mais sans pour autant flamber. Il en sera de même sur les marchés des matières premières, comme nous l’expliquons d’ailleurs dans la partie « Marchés » (cf. page 5).

Enfin, il nous faut reconnaître que nous restons perplexes sur l’évolution de l’euro/dollar. Certes, les déclarations des Chinois pour affaiblir l’hégémonie du dollar sont tout à fait compréhensibles et montrent que la Chine prépare déjà son grand combat contre les Etats-Unis pour la première place de l’économie mondiale, match qui ne se déroulera cependant pas avant une dizaine d’années. Aussi, au-delà de cette démarche politique, il est clair que l’appréciation de l’euro est en train d’asphyxier un peu plus une économie eurolandaise déjà extrêmement anémiée et qui ne pourra pas rebondir durablement tant que l’euro restera aussi cher. Gageons donc que la responsabilité finira par l’emporter que tant les Chinois que les Américains mais aussi les Eurolandais eux-mêmes sauront mettre en place la politique économique, et notamment monétaire, adéquate pour inverser la tendance et reconnecter l’euro/dollar vers sa réalité économique, c’est-à-dire 1,15 dollar pour un euro. Sinon, il faudra se préparer à enterrer très vite une reprise eurolandaise qui n’a d’ailleurs pas encore commencé…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

L’Empire du Soleil Levant s’est couché pour longtemps.


Après avoir reculé de 5,3% au cours des trois derniers trimestres et après avoir chuté de 3,8% au quatrième trimestre 2008 le PIB nippon vient d’enregistrer son quatrième trimestre consécutif de baisse. Et non des moindres puisque le PIB japonais a chuté de 4% au premier trimestre 2009 et de 9,7% en glissement annuel. Du jamais vu !

Pis, à la fin de ce premier trimestre historique, l’acquis de décroissance pour l’année 2009 atteint – 7,3 % !

Le détail des comptes nationaux n’est guère plus reluisant. Et pour cause : à l’exception des investissements publics qui affichent une stabilisation, tous les postes de la demande affichent des baisses importantes. A commencer par les exportations qui s’effondrent de 26% soit davantage que les importations qui plongent de 15% marquant par la même une contribution négative du commerce extérieur. Notons également la forte chute de 10,4% de l’investissement des entreprises et de 5,4% de celui des ménages.

Il ne faut par chercher de relais du côté de la consommation des ménages qui baisse de 1,1% et enfin nous noterons que le PIB a été amputé par un déstockage notable puisque la formation de stocks a enlevé 0,3 point à la croissance alors qu’elle avait contribué positivement au PIB à hauteur de 0,5 point au quatrième trimestre.

La consommation et l’investissement s’effondrent.

Après déjà quinze ans de déflation quasiment ininterrompue, la deuxième économie mondiale s’enfonce donc encore davantage dans ce qui constitue la plus grave crise économique de son histoire. En effet, le modèle de croissance japonais essentiellement basé sur la vigueur des exportations subit de plein fouet l’appréciation du yen et le ralentissement de la demande mondiale, notamment américaine et chinoise.

L’appréciation du yen de février 2007 à début 2009 n’a évidemment pas arrangé les choses. Et même si depuis quelques semaines, le yen a perdu de sa valeur, il reste clair qu’à 95 yens pour un dollar comme c’est le cas en moyenne depuis le début de l’année 2009, le niveau de la devise nippone n’a aucun sens économique et continuera donc de pénaliser mécaniquement les exportations nipponnes et donc la croissance.

Le Yen marque contre son camp

Le choc est violent puisque les exportations japonaises vers la Chine qui représente son premier partenaire commerciale ont chuté de 38% au premier trimestre. De plus le Japon souffre bien sur de la contraction économique américaine puisque les exportations vers l’oncle Sam ont chuté de 54% au premier trimestre 2009 en glissement annuel.

Les exportations plongent.

Enlisé dans la déflation qui constitue le pire des maux pour une économie, les solutions de sortie de crise sont très limitées pour l’Empire du Soleil Levant. En effet, le Japon n’a aujourd’hui aucune marge de manœuvre en termes de relance budgétaire (la dette publique avoisine les 180% du PIB) et encore moins de politique monétaire (les taux de la BoJ étant déjà à 0%). Notons cependant que compte tenue d’une épargne pléthorique le pays peut vivre sur ses acquis et financer sa dette publique.

Les plans de relance se succèdent sans que le Japon ne voit pour l’instant le bout du tunnel et le pays pourrait se faire souffler prochainement par la Chine sa deuxième place au classement des économies mondiales.

Plus structurellement, il ne faut d’ailleurs pas se faire d’illusions. La croissance structurelle du Japon est passée de 5 % dans les années 80 à 1,5 % dans les années 90 et avoisinent désormais les 0,5 %. Et cette triste tendance ne devrait guère s’arranger compte tenu de la baisse de la population totale de l’Empire du Soleil Levant qui est décidemment plus à son couchant qu’autre chose.

Seuls deux lueurs d’espoir persistent néanmoins. La première réside dans le maintien d’un effort massif de dépenses en R&D qui représentent toujours plus de 3 % du PIB. Deuxièmement, au fur et à mesure que la reprise de l’économie américaine va se confirmer, le yen devrait se déprécier vis-à-vis du billet vert pour atteindre 115 yens pour un dollar d’ici la fin 2009. Une évolution qui permettra de redorer le blason des exportations de l’Archipel et par là même l’ensemble de l’économie. Si le PIB japonais devrait chuter en moyenne de 5 % en 2009, il retrouvera cependant le chemin de la petite hausse en 2010, via une croissance de 0,2%.

Marc Touati et Jérôme Boué

 




Et les marchés dans tout ça ?

Cours des matières premières : le rebond oui, la flambée non.


39 dollars le 18 février, 60 dollars trois mois plus tard. Même si nous sommes encore très loin des 150 dollars de juillet 2008, le baril a repris une bonne dose de vitamines depuis quelques semaines. Trois questions s’imposent alors : est-ce normal, durable et jusqu’où ?

A la première question, nous répondons par l’affirmative. En effet, le rebond du cours du baril s’explique notamment par le nouvel accès de faiblesse du dollar, notamment face à l’euro, qui alimente mécaniquement les mouvements haussiers sur le baril.

Le baril reprend des couleurs, l’euro aussi.

En outre, de la même façon que la baisse des prix du baril de juillet 2008 à février 2009 était justifiée par la baisse de la croissance mondiale, l’augmentation des cours pétroliers correspond également à l’anticipation d’une amélioration progressive de l’activité internationale.

Ainsi, si, comme nous l’anticipons, la croissance mondiale rebondit à 3 % en 2010, un baril à 80 dollars d’ici un an devient tout à fait envisageable. A la rigueur, cette augmentation sera presque salutaire puisqu’elle confirmera que la croissance mondiale est bien installée sur de bons rails.

Une remontée du baril de bon augure pour l’évolution de la croissance mondiale.

En revanche, une flambée à plus de 100 dollars ne nous paraît pas justifiée. Non seulement, parce que la reprise de l’activité internationale restera limitée, mais aussi parce que cette reprise s’accompagnera d’une remontée boursière qui limitera les flux d’investissement spéculatifs vers les marchés des matières premières comme cela s’était observé au printemps-été 2008.

En outre, la baisse du dollar notamment face à l’euro étant actuellement excessive, le billet vert devrait rapidement retrouver le chemin de la hausse, limitant par là même la flambée des cours de l’or noir.

De plus, n’oublions pas que les stocks de pétrole restent très élevés, notamment aux Etats-Unis. En effet, en dépit d’une légère diminution depuis deux semaines, les stocks de brut américains atteignent encore 368,5 millions de barils, contre 318 millions en décembre dernier et même 280 millions début 2008. Quant aux réserves stratégiques, elles ont atteint un nouveau sommet historique la semaine dernière à 720,3 millions de barils. Autrement dit, les réserves totales (publiques et privées) de brut aux Etats-Unis dépassent le milliard de barils et restent par là même installées sur des records historiques.

Enfin, soulignons que l’offre mondiale de pétrole demeure encore largement excédentaire comparativement à la demande. En avril, cet excédent d’offre atteignait ainsi 1,7 million de barils/jour (cf. graphique ci-dessous). Avant d’inverser la tendance, il y a donc encore pas mal de marge…

L’offre mondiale de pétrole toujours largement supérieure à la demande.

Plus globalement, il est d’ailleurs illustratifs de noter que l’augmentation de l’ensemble des matières premières reste contenue.

Ainsi, comme le montre le graphique ci-après, l’indice CRB de toutes les matières premières pondéré par leurs poids dans la consommation mondiale n’a progressé que de 17 % depuis le début 2009 et ne fait actuellement que retrouver son niveau de la fin 2006, avant la flambée spéculative des années 2007-2008.

En outre, témoins