“La mondialisation” à la croisée des chemins

En cette période de crise financière et économique, la mondialisation est vivement critiquée par beaucoup d’observateurs, dans la mesure où elle serait responsable de nombreuses « délocalisations » vers les pays émergents, source d’un chômage accru.

Rappelons d’abord que la mondialisation est une conséquence directe de la liberté des échanges, généralisée à la suite des grandes négociations internationales en faveur du libre-échange, qui se sont déroulées régulièrement depuis 1945(Kennedy Round, Tokyo Round, Uruguay Round, « Cycle de Doha », etc).

Plus conceptuellement, le libéralisme commercial s’appuie sur la « théorie des  avantages comparatifs » élaborée par David Ricardo, au début du dix-neuvième siècle. Selon cette théorie, un pays à intérêt à  développer la production des biens dans lequel il est comparativement le plus efficace. L’auteur prend un exemple bien connu à l’époque : le Portugal va se spécialiser dans la fabrication du porto et la Grande-Bretagne des draps et vêtements en laine et ils vont s’échanger ces produits, bien que la production soit moins onéreuse pour ces deux biens au Portugal (mais c’est le porto dans lequel le Portugal a le plus grand avantage comparatif et ce pays renoncera à manufacturer des tissus en laine, même si le coût de production y est moins élevé qu’au Royaume- Uni, car il est plus intéressant de se spécialiser dans les biens pour lesquels on est le plus efficace).

La théorie de la spécialisation industrielle (mise en évidence par Ricardo), accompagnée d’une liberté des échanges, qui permet de vendre ses produits nationaux contre d’autres produits importés de l’étranger, a trouvé une application concrète, à la suite des accords de libre-échange signés par les principaux pays industrialisés de l’époque (entre 1850 et 1870) : l’économie mondiale a alors connu une période relativement faste.

Inversement, à la suite de la crise de 1929, les pays développés ont opté pour des politiques protectionnistes qui ont  accéléré la dépression et ont abouti à la Seconde Guerre Mondiale. De la même manière, le retour progressif au libre-échange entre 1945 et 1975 a soutenu une période de croissance exceptionnelle (les « Trente Glorieuses » en France). Sur de longues périodes, le taux de progression du commerce international et des investissements  à l’étranger a largement dépassé le taux de croissance du PIB mondial et contribué fortement à l’augmentation de celui-ci.

 

Cependant la crise a mis en lumière des éléments de « concurrence déloyale » (qui bien sûr, existaient déjà auparavant, mais gênaient moins, lorsqu’on était en période d’expansion).

On peut citer, à titre d’illustration : l’absence de protection sociale dans les pays émergents (normes de sécurité insuffisantes, salaires dérisoires, non-syndicalisation, etc), aggravée par un cadre réglementaire souvent archaïque ; l’interventionnisme des Etats, à travers des dispositifs de subventions (agriculture, par exemple) ou des financements discriminatoires ; un certain « dumping » fiscal. La tentation serait de vouloir y  répondre, à travers des mesures protectionnistes (application de droits de douane dérogatoires, lutte contre les délocalisations, campagne en faveur de l’achat des produits « nationaux », etc). Avec le risque, très réel, de voir apparaître des règlementations équivalentes dans les autres pays, et, donc, progressivement, des surenchères dans l’établissement de barrières protectionnistes et des politiques de représailles, comme en 1933 (à la suite de la conférence de Washington). 

Il est certainement plus constructif de laisser jouer les mécanismes de rééquilibrage automatique et  ainsi la Chine, compte-tenu de l’augmentation de son niveau de vie, va voir ses coûts de production exploser, tout en étant obligée de financer des mesures anti-pollution, d’améliorer les normes de qualité et de construire un véritable système de protection sociale.

De ce fait, on commence à constater des phénomènes de « relocalisation ». On peut évidemment transposer cette analyse à la plupart des pays émergents, réputés être «  à bas salaires » : Inde, Roumanie, Brésil, etc…

Pour conclure, il faut garder en tête que le nombre d’emplois perdus à cause de  délocalisations (d’ailleurs moins importantes que ce que racontent les médias en général) est largement inférieur aux nouveaux emplois créés par la mondialisation (recrutement dans des sociétés exportatrices, expatriation dans des filiales étrangères de sociétés françaises), même s’il est vrai que ce différentiel  tend  à diminuer en période de crise. La mondialisation demeure donc globalement positive pour notre économie.

 

 

Bernard MAROIS

Professeur Emérite à HEC

Président du Club Finance