Le gouverneur de
En fait, le projet d’une véritable monnaie internationale n’est pas nouveau. C’est Lord Keynes lui même, qui à la veille de la conférence de Bretton-Woods, en 1944, avait préconisé la mise en place d’une nouvelle monnaie, le Bancor, à la place d’un dollar dominant à la fin de la seconde guerre mondiale, ou, antérieurement, de l’or, désormais traité par le même Keynes « de relique barbare ».Pourtant c’est le Plan White (du nom de son « concurrent »américain) qui allait être adopté, à l’issue des travaux de la conférence de Bretton-Woods . Abandonnée l’idée d’une monnaie nouvelle, à dimension internationale, au profit du seul dollar adossé à l’or, à travers une relation censée être définitive de « un trente-cinquième d’once d’or égale un dollar » (celui-ci étant considéré « as good as gold »).
Cette configuration fonctionna relativement bien jusqu’à la fin des années 60. Mais la guerre du Vietnam, par le coût qu’elle occasionnait, provoqua une suspicion croissante à l’égard du dollar, qui déboucha sur l’inconvertibilité de celui-ci en or et donc la suspension du lien qui garantissait la toute- puissance de cette devise.
De dévaluations en dépréciations, entrecoupées de périodes d’appréciation fortes, comme sous Reagan, le dollar a perdu de son prestige, tout en gardant quand même la première place, en tant que monnaie d’émission, de transaction et de financement. Cependant, la baisse subie par le dollar durant le second mandat de Georges W. Bush, a amené plusieurs pays détenteurs de stocks importants de devise américaine à se poser la question d’un substitut au dollar.
Il faut néanmoins savoir qu’il existe déjà une monnaie internationale : « les Droits de Tirage Spéciaux » (ou D.T.S). Emis par le F.M.I, cette devise est en fait une monnaie « composite », dont le panier est composé de 4 éléments : dollar, euro, yen et livre sterling. Malheureusement, il ne s’agit que d’une « monnaie de compte », car, d’une part, elle n’a pas d’existence matérielle (ni pièces, ni billets, contrairement à l’euro, par exemple) et, d’autre part, elle ne peut être gérée comme une autre monnaie, puisque le FMI n’est ni une Banque Centrale, ni même un véritable Institut d’émission: il ne peut créer de nouveaux D.T.S qu’avec l’accord de son Conseil d’Administration décidant à la majorité des membres, avec la possibilité d’un véto au-delà de 15% des droits de vote ( ce qui permet aux Etats-Unis de s’opposer à toute initiative qui leur déplairait).
On comprend donc la hantise des chinois, qui détiennent presque la moitié de leurs réserves en Bons du Trésor américains (environ 800 milliards de dollars). Confrontée à un risque de dépréciation du dollar à moyen terme (suite à une politique monétaire très laxiste, pour sortir de la crise, menée par les autorités US),
L’euro qui représente déjà plus de 25% des réserves mondiales pourrait être une solution. C’est une monnaie solide, gérée par une Banque Centrale indépendante et plutôt « conservatrice » (souci de la stabilité, à travers une lutte constante contre l’inflation). Mais, c’est aussi une devise récente, adoptée par 16 Etats à profils fort différents et pour laquelle la crise actuelle représente un défi (certains Etats sont en grande difficulté, tels l’Irlande ou
Pour les chinois, une autre solution consisterait à créer une « monnaie régionale », sur le modèle de l’euro.
Mais cet objectif ne peut être atteint qu’à moyen ou long terme : en effet, l’Europe a mis 40 ans à se constituer une monnaie commune !
Par conséquent, il ne reste qu’une solution, en dehors d’un retour à l’or (qui apparait bien utopique, compte-tenu des efforts de notre époque en faveur de « l’immatériel »), c’est le développement des D.T.S.
Dans la mesure où la réunion récente du G20 préconise un renforcement du F.M.I, en termes de moyens financiers, l’occasion se présente de reposer la question de la monnaie internationale sous un nouveau jour.
Le seul inconvénient, et il est de taille, c’est que ce n’est pas l’intérêt des Etats-Unis de laisser la première place au D.T.S. Les USA bénéficient, en effet, d’un « droit de seigneuriage » (la liberté de créer des dollars comme ils le souhaitent, tout en étant sûrs que ceux-ci seront acceptés par les créanciers). Il faudra donc du temps et probablement d’autres crises, avant que le rêve d’une monnaie internationale qu’avait formulé Lord Keynes, ne se réalise.
Bernard MAROIS
Professeur Emérite à HEC-Paris
Président du Club Finance HEC