Les dirigeants d’entreprise : une nouvelle “classe” socio-économique

L’actualité récente a mis en lumière les divers débordements dont ont fait preuve de nombreux dirigeants peu scrupuleux : stock-options ou actions gratuites accordées généreusement (plus de 2.2 milliards en 2008), indemnités de départ plantureuses (cf le cas Morin, chez Valeo) ou retraites-chapeaux excessives (selon Proxinvest, celles-ci correspondent en moyenne à 1.5% de la rémunération par année d’ancienneté). Ajoutons que Daniel Lebègue, Président de l’Institut Français des Administrateurs (IFA) reconnait que la « rémunération »  des patrons du CAC 40 a augmenté de 15% chaque année depuis 1997, alors que celle de leurs salariés n’a progressé que de 3%.

 

Ces constatations amènent deux séries de commentaires. La première se rattache aux mécanismes de la gouvernance des entreprises. Comme nous l’avons écrit maintes fois, celle-ci, bien qu’en progrès, reste très médiocre. Contrairement à la « théorie de l’agence » (ou « théorie du mandat »), les dirigeants sont relativement peu contrôlés par les administrateurs ; en particulier, les Comités de Rémunération chargés de déterminer les avantages indirects des dirigeants (stock-options, retraites, etc) remplissent mal leurs tâches.

En fait, dans la mesure où ils sont cooptés par les dirigeants et non pas nommés par les actionnaires, qui ne font qu’entériner en assemblées générales des décisions prises ailleurs, ils se sentent surtout redevables envers les dirigeants et renoncent à exercer leur indépendance de jugement. D’ailleurs de nombreux administrateurs sont en même temps dirigeants d’autres sociétés et vice-versa (le fameux syndrome des « barbichettes » est toujours d’actualité !). Enfin ce n’est pas les dernières déclarations timorées du MEDEF et de sa Présidente qui vont améliorer l’image détestable des « patrons » auprès de l’opinion publique.

 

Le second commentaire porte sur les mécanismes d’attribution des stock-options et autres avantages, mais sur leur légitimité. Et là aussi, on peu avoir quelques doutes. Autant de « fortes rémunérations » peuvent se justifier, lorsque l’entreprise concernée réalise de bonnes performances financières, en particulier en comparaison avec le reste de son secteur, autant ces avantages posent problème, lorsque l’entreprise est en difficulté, voire recherche une aide extérieure (l’Etat par exemple) pour s’en sortir. En outre, l’argument de la « rareté des dirigeants compétents » est loin de convaincre, l’efficacité croissante des formations premières (MBA, etc) et des plans de carrière ayant pour effet de créer un vivier assez profond de dirigeants potentiellement efficients.

 

 

En fait, l’augmentation rapide et continue des rémunérations des dirigeants des grandes sociétés, élargit fortement l’écart entre les salariés les moins bien payés (SMIC et approchant) et les patrons. Ceux-ci sont de plus en plus tentés également par un certain vedétariat, qui leur permet de côtoyer les autres catégories « people » (artistes, sportifs, ministres, etc). Certains  d’entre eux profitent également de la fortune acquise en tant que dirigeant pour devenir entrepreneur, voir « capitaine d’industrie » à l’image d’un Ladreit de La Charrière, qui quitta l’Oréal pour se construire un empire industriel (Finalac). D’autres se lancent dans le « private equity ». Il est clair que cette métamorphose d’un dirigeant en créateur d’entreprise est beaucoup plus appréciée par l’opinion publique que le vedétariat et l’appartenance à la « société de connivence ». Là encore, la communication et la « politique de l’image » sont des caractéristiques incontournables de la société post-industrielle (cf. la Société Générale et les diverses annonces de la rémunération des dirigeants).

 

On souhaiterait que de temps en temps au moins, nos patrons y  songent un peu plus. Il y va de l’avenir de nos entreprises et du système capitaliste en général.

 

 

Bernard MAROIS

Professeur Emérite HEC

Président du Club Finance HEC