Fed et BCE enfin réunies ?

Décidément, la Réserve fédérale américaine ne veut laisser aucune chance à la déflation. En effet, non contente d’avoir abaissé son taux objectif des federal funds dans une fourchette comprise entre 0 et 0,25 %, non contente d’avoir repris à son compte une partie conséquente des créances douteuses des banques américaines, non contente d’avoir financer directement les pertes de Freddie Mac et Fannie Mae, la Fed se lance désormais dans la « planche à billet ».

Ainsi, elle vient de commencer à monétiser la dette publique américaine pour un montant 300 milliards de dollars. Ce sera donc la première fois depuis la guerre du Vietnam que la Fed va créer de la monnaie ex-nihilo, c’est-à-dire sans contrepartie de richesses créées.

L’avantage de cette stratégie est triple. Primo, elle permet à l’Etat américain de pratiquer une relance historique sans souci de financement.

Par là même et secundo, elle permet de contrecarrer l’augmentation des taux d’intérêt à long terme. En effet, en temps normal, lorsque le déficit public s’accroît, la demande de fonds prêtables de la part de l’Etat augmente, suscitant une tension notable sur les taux d’intérêt obligataires. Dès lors, l’investissement des entreprises privées se trouve réduit car évincé par les financements publics. C’est ce que l’on appelle l’effet d’éviction. Accompagner le déficit public par une politique monétaire expansionniste et a fortiori en actionnant la planche à billets permet alors d’empêcher l’augmentation des taux longs.

Ainsi, depuis l’annonce de cette nouvelle stratégie fin mars, le taux dix des obligations du Trésor américain est passé de 3 % à 2,6 % début avril pour finalement se stabiliser autour des 2,8 % depuis une quinzaine de jours. Bien différemment, le taux dix ans des obligations de l’Etat allemand a certes légèrement baissé mais reste stabilisé autour des 3,2 %. Le spread de taux (c’est-à-dire le différentiel de taux d’intérêt) atteint même 100 points de base avec la dette publique française, le taux de l’OAT 10 ans avoisinant les 3,8 %. Cela nous rappelle d’ailleurs cruellement que les relances budgétaires française et eurolandaise seront non seulement moins efficaces que leur homologue américaine, mais qu’au surplus, elles coûteront plus cher.

Tertio, dans la mesure où la politique monétaire américaine est beaucoup plus accommodante que celle de la zone euro et où, comme nous venons de l’expliquer les taux longs américains creusent l’écart avec leurs homologues eurolandais, le dollar/euro reste faible (en dépit de sa récente appréciation), redorant par là même la compétitivité des exportations américaines et réduisant les importations redevenues trop chères. Après déjà six mois d’amélioration, le déficit extérieur américain devrait donc poursuivre sa réduction et contribuant par là même positivement à la croissance.

Malheureusement, la stratégie de la Fed recèle deux effets pervers. Le premier réside dans le retour inévitable de l’inflation dans les prochains mois. Néanmoins, une fois le risque déflationniste complètement détruit, la Fed pourra ensuite augmenter ses taux directeurs, de manière à éviter l’avènement d’une inflation trop forte. Ne l’oublions pas : l’inflation s’apparente au feu qu’il est toujours possible d’éteindre en augmentant les taux d’intérêt. En revanche, la déflation ressemble à l’eau et il est impossible de contrôler une inondation, il faut attendre qu’elle produise ses dégâts. Le Japon en sait quelque chose, cela fait quinze ans qu’il subit une déflation contre laquelle il est devenu complètement impuissant.

Autrement dit, ce premier désavantage est à la fois nécessaire pour éviter le pire (c’est-à-dire la déflation) et contrôlable à moyen terme.

Tel n’est malheureusement pas le cas du deuxième effet pervers En effet, en faisant baisser le dollar et augmenter excessivement l’euro, la politique de la Fed, il est vrai non suivie par celle de la BCE, contribue à affaiblir encore plus une économie eurolandaise déjà très fragilisée.

Or, comme l’a d’ailleurs rappelé dernièrement Barack Obama, les Etats-Unis ont aussi besoin d’une Europe en croissance pour se redresser durablement. Il n’est donc pas dans l’intérêt de l’Oncle Sam d’aller trop loin dans la baisse du dollar.

Voilà pourquoi, si nous pensons que les politiques monétaire, budgétaire et de change de la zone euro ne sont pas assez accommodantes, nous estimons que celles des Etats-Unis le sont trop, en particulier sur le volet monétaire.

Nous retrouvons là le syndrome du « fauteur ». En effet, pour s’excuser d’avoir trop augmenté ses taux directeurs en 2006 et de ne pas les avoir baissé dès le début 2007, sans parler d’avoir laissé faire faillite Lehman Brothers sans avoir sécurisé le périmètre (certes sous les ordres d’Henry Paulson), Ben Bernanke va aujourd’hui trop loin dans le sens inverse.

Il faudrait donc vraiment que les dirigeants eurolandais et américains se mettent enfin d’accord sur un véritable policy mix. Ce dernier ne consistera pas uniquement dans une union de la politique monétaire et budgétaire, mais aussi dans un mixe des dosages : un peu de BCE et peu de Fed permettra d’obtenir l’élixir optimal du « ni trop chaud, ni trop froid ».

Dans ce cadre, à l’instar du mouvement qu’il amorcé depuis quelques jours, notamment grâce à l’annonce par la BCE de prochaines baisses de ses taux directeurs (mieux vaut tard que jamais…), le dollar devrait rester sur le chemin de la hausse et revenir d’ici l’automne 2009 vers un niveau optimal de 1,15 dollar pour un euro, qui, rappelons-le, est le niveau idéal pour consolider la croissance américaine sans pénaliser celle de la zone euro.

 

Marc Touati