Mondialisation : Avec du sucre ?

 « Quand le régionalisme se substitue aux vides du multilatéralisme », écrivions-nous en octobre 2007. La crise financière puis économique étant venue ébranler nombre de nos convictions, cette acception a aujourd’hui plus encore de valeur qu’il y a deux ans. C’est l’Amérique Latine qu’il faut une fois de plus remercier : à travers ses unions polymorphes, elle met la lumière sur un multilatéralisme économique – entendu comme une forme coopérative d’organisation des échanges internationaux qui suppose que les pays participants s’astreignent à des règles communes –, qui, après 50 ans de bons et loyaux services, bat de l’aile.

La nouvelle invention : le sucre. Pas de la matière première, mais une nouvelle devise transfrontalière. Les Chinois en rêvaient, les Latino l’on fait. Ou, du moins, annoncé.

Régionalisme oblige, cette nouvelle monnaie ne concerne que quelques pays, emmenés par le bien connu anti-américain Venezuela et le non moins réfractaire à l’influence américaine, Cuba. Tous deux s’étaient d’ailleurs unis dans un bloc justement appelé Alternative bolivarienne pour les Amériques (Alba). Union complétée par l’arrivée de la Bolivie, du Nicaragua, du Honduras, de la Dominique et de Saint-Vincent.

Autant dire que le poids économique de cette union est minime. Il n’y a guère que le Venezuela qui puisse se pavaner sur la scène internationale, lui qui est le cinquième exportateur mondial de pétrole. Caracas a affiché une croissance annuelle moyenne de son PIB de 2,9 % entre 1998 et 2007 et un boom à 5,9 % l’an dernier, aidé par la flambée de l’or noir. La Bolivie n’était pas en reste avec un PIB en hausse de 5,8 % en 2008. + 4,1 % pour le Honduras. Même Dominique et le Nicaragua n’ont pas eu à rougir de leur performance : + 2,9 %.

Cette année sera plus terne, avec, par exemple, 1,3 % de croissance prévu pour le Venezuela. Le ralentissement n’ignore pas l’Amérique Latine, même s’il devrait frapper les économies émergentes de manière moins douloureuse que chez nous. Du moins, dans les chiffres. Et, encore faut-il que ceux-ci soient exacts et publiés. La croissance de Cuba en 2007 a été estimée à 7 %. L’île ne dit mot.

Le front emmené par le charismatique et véhément Hugo Chavez, dans une Amérique Latine en plein virage gauchiste, populiste et anti-américain, veut donc se doter d’un nouvel instrument d’indépendance, avec cette monnaie. Le sucre tire d’ailleurs son nom du maréchal Antonio José Sucre y Alcala, un héros de l’indépendance sud-américaine, un proche de Simón Bolívar.

Cette devise doit servir à comptabiliser les échanges commerciaux entre les pays qui y auront souscrit afin de mettre fin à leur dépendance à l’égard du dollar. Une dépendance toute relative. Cuba compte plus sur ses partenaires latino et son nouvel ami chinois que sur la Maison Blanche. Le Venezuela nationalise son économie, et notamment ses précieuses réserves d’or noir.

Dans un monde idéal, les accords régionaux sont un approfondissement de la sphère commerciale et un facteur d’intégration internationale, en offrant une réponse plus adéquate et rapide aux nouvelles demandes du marché.

Malheureusement, force est de constater que, face au multilatéralisme, le régionalisme se pose davantage en antagoniste qu’en complément. Mercosur, Alba, Banque du Sud, sucre, l’Amérique latine tisse un patchwork nombriliste et isolationniste, qui a de quoi inquiéter les défendeurs du multilatéralisme.

 

Alexandra Voinchet