Emploi US, BCE, Pays émergents : dur, dur… (E&S n°80)

L’humeur :

Grandeurs et décadences des pays émergents face à la crise.

Depuis le début des années 2000, les pays émergents se sont illustrés par une croissance forte et un effort de rattrapage considérable. A tel point que, depuis 2002, ils réalisent les deux tiers de la croissance mondiale. Cette part est d’autant plus significative, qu’il y a trente ans, ces pays, qu’on appelait alors des PVD (pays en voie de développement) ne représentaient que 10 à 15 % de la croissance mondiale. C’est dire combien la mondialisation, notamment grâce aux transferts de capitaux et de technologies qu’elle a permis, a été une chance pour le monde émergent. C’est d’ailleurs grâce à (ou à cause de) ce dynamisme que la croissance mondiale a pu atteindre 5 % par an en moyenne de 2002 à 2007 et ce en dépit d’un cours du baril qui est passé sur la même période de 22 à 100 dollars.

Néanmoins, c’est aujourd’hui que commence la véritable épreuve pour les pays émergents. En effet, c’est toujours dans les phases de crise que l’on peut juger de la force ou de la faiblesse d’un acteur économique, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un particulier ou d’un pays. Ainsi, dès 2008 et a fortiori en 2009, de nombreux pays émergents ont pu faire preuve de leur résistance. Si bien que, pour la première fois dans l’histoire contemporaine, la quasi-totalité des pays dits développés enregistrent une baisse de leur PIB, tandis que les PIB de la plupart des pays émergents continuent d’augmenter. Autrement dit, si la croissance mondiale sera positive c’est année c’est presque exclusivement grâce au monde émergent.

Pour autant, il ne faut pas se voiler la face : la crise est difficile et tous les pays émergents souffrent également. Néanmoins, ces difficultés ne font finalement qu’afficher au grand jour les carences et les erreurs de développement de ces dernières années. Voilà pourquoi, malheureusement, les pays émergents qui pâtissent le plus de la crise actuelle sont les pays d’Europe de l’Est. En effet, en intégrant l’Union européenne, la plupart de ces derniers ont crû et/ou laissé croire que l’essentiel était fait. Or, l’essentiel restait à faire. De par cette erreur de jugement, ces pays ont ainsi accueilli massivement les subventions européennes sans trop se soucier de l’efficacité de leur utilisation et en oubliant que celle-ci était avant tout soumise à la mise en place d’un véritable état de droit et d’une économie de marché effective, tant en termes réglementaires que de transparence.

Dès lors, les salaires ont flambé démesurément, c’est-à-dire bien au-delà de l’augmentation des gains de productivité et de la qualité des produits. Les prix des logements et de nombreux biens en ont fait de même, alimentant une bulle immobilière et une inflation dangereuse. Dans le même temps, par souci d’intégrer l’euro au plus vite, les devises des pays d’Europe de l’Est ont suivi l’appréciation excessive de la devise européenne face au dollar, réduisant par là même leur compétitivité et creusant leurs déficits extérieurs.

Face à ces dérapages, ces pays vont alors prendre modèle sur leurs aînés d’Europe de l’Ouest, en augmentant les dépenses publiques, aggravant le déficit et la dette des Etats. Une augmentation des taux d’intérêt à long terme en a découlé, plongeant l’ensemble de ces pays dans un fort ralentissement dès le début 2008, qui s’est évidemment transformé en récession avec la crise financière de l’automne 2008.

Pis, les pays d’Europe de l’Est sont en train d’entrer dans un cercle pernicieux extrêmement dangereux. En effet, désormais conscients des bulles (immobilière, boursière, bancaire et inflationniste) qui s’y sont formées, de plus en plus d’entreprises et d’investisseurs des pays développés, y compris et surtout d’Europe de l’Ouest, commencent à reprendre leurs billes. Dans certains cas, nous assistons même à des mouvements de relocalisation. Ainsi, après avoir délocalisé de bon cœur dans ces pays, de nombreuses entreprises se rendent désormais compte qu’une fois les salaires payés, les « pattes » graissées, les défauts sur les produits réparés et les coûts de transports acquittés, les coûts salariaux unitaires des produits fabriqués à l’Est ne sont finalement pas si bon marché comparativement à ceux de l’Europe de l’Ouest. En outre, le creusement des déficits extérieur et public associé à l’absence de réserves de changes réduisent drastiquement les marges de manœuvre de ces pays qui sont donc contraints de demander l’aide de l’Union Européenne et du FMI.

Cette dérive des pays d’Europe de l’Est est d’autant plus triste qu’elle tranche avec la résistance des autres pays émergents, en particulier en Asie, notamment en Chine et en Inde, ainsi qu’en Amérique Latine, surtout au Brésil. Ces pays ont effectivement su mettre à profit les années de croissance forte pour moderniser leur économie et augmenter leurs réserves de changes, tout en menant une politique économique intelligente, notamment en baissant rapidement leur taux d’intérêt, en limitant l’appréciation de leur devise puis en la dépréciant et enfin en contenant leurs dépenses publiques. Voilà pourquoi, même s’ils souffriront encore quelques mois, les pays asiatiques et le Brésil constitueront les locomotives du monde émergent et par là même de la croissance mondiale.

Cette différence de réaction face à la crise illustre parfaitement le problème de l’aide au développement qui est d’ailleurs synthétisé par le proverbe chinois suivant : si tu donnes un poisson à un pauvre, il mangera une journée, si tu lui apprends à pêcher, il mangera toute sa vie… Ce qui dans le cas présent peut se traduire par : si tu donnes des subventions à un pays émergent, il croîtra temporairement grâce à la formation de bulles, qui finiront par éclater. Si tu lui permets de devenir une véritable économie de marché, réglementée et efficace, il résistera à la crise…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Chômage aux Etats-Unis : Thriller…


A l’instar de l’issue favorable du G20 (cf. L’Humeur), l’augmentation du chômage aux Etats-Unis en mars n’est pas une surprise. A la rigueur, dans la mesure où depuis six mois, les chiffres de l’emploi américain ont toujours été plus mauvais que les anticipations consensuelles, la sortie de chiffres, certes mauvais, mais en ligne avec le consensus, est presque une bonne nouvelle.

Pour autant, la réalité est là : pour le quinzième mois consécutif, la job machine a détruit des emplois : 663 000 en mars, soit un total de 5,133 millions depuis janvier 2008 ! C’est tout simplement du jamais vu en si peu de temps. Parallèlement, le taux de chômage a atteint 8,5 %. Pour retrouver un niveau aussi élevé il faut remonter à l’époque où nous dansions sur Thriller de Michaël Jackson, c’est-à-dire novembre 1983. Cela ne nous rajeunit pas…

Au-delà de cette catastrophe sociale, il y a néanmoins trois éléments de relativisation à apporter à cette triste situation.

Premièrement, ces destructions d’emplois et l’augmentation du chômage à 8,5 % en mars apparaissent excessives par rapport à la baisse de l’activité.

Le chômage au plus haut depuis novembre 1983

En fait, comme nous la calculions déjà le mois dernier, une simple corrélation historique entre l’emploi et le PIB montre qu’actuellement, seule la moitié des destructions d’emplois s’expliquent par une baisse du PIB. L’autre moitié tient à un mouvement de pessimisme généralisé tel que les entreprises peuvent être incités à licencier au-delà de leur besoin, soit par anticipation de lendemains difficiles, soit par peur.

Autrement dit, si le pire se produit, l’ajustement baissier de l’emploi a déjà eu lieu. Et si le futur s’avère meilleur que prévu, la reprise de l’emploi sera particulièrement vigoureuse.

D’ailleurs, le deuxième élément de relativisation réside dans le fait que la Fed a déjà agi en conséquence, préparant par là même le terrain à un rebond de l’emploi, comme le montre le graphique ci-après.

L’action de la Fed finira forcément par agir sur l’emploi.

Dans le prolongement de cette idée, il faut également souligner que les destructions d’emplois dans les services ralentissent, en particulier dans les services aux entreprises.

Enfin, dernier facteur de réconfort, le taux de salaire horaire continue d’augmenter, encore 0,2 % en mars et 3,4 % en glissement annuel. Compte tenu d’une inflation à zéro, cela confirme donc la bonne tenue des salaires réels.

Des salaires réels qui annoncent un rebond de la consommation.

De la sorte, comme le montre le graphique ci-dessus, la consommation des ménages en volume dispose d’une marge de rebond assez nette pour les prochains mois. Et ce, d’autant que ceux-ci vont désormais commencer à bénéficier de la relance fiscale d’Obama.

Même si une partie de ce coup de pouce sera utilisé pour le remboursement des emprunts ou pour l’augmentation de l’épargne, ces évolutions montrent que les Etats-Unis ne sombreront pas dans une déflation durable.

Marc Touati




Et les marchés dans tout ça ?

La BCE joue encore avec le feu.


Alors que la zone euro s’enfonce dans sa pire récession, alors que l’inflation eurolandaise se rapproche des 0 % et alors que le G20 s’emploie à tout faire, au moins sur le papier, pour relancer la confiance et la croissance de la planète, la Banque Centrale Européenne continue sa politique du pire.

Ainsi, en dépit des déclarations de son Président il y a encore quelques jours qui soulignaient que la BCE ferait tout pour sortir la zone euro de la récession, y compris en utilisant des moyens non conventionnels, l’Institut francfortois n’a finalement abaissé son taux refi que de 0,25 point, alors que l’unanimité des prévisionnistes attendaient 0,5 point. Histoire de rappeler que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Une fois encore, la BCE montre donc son obstination à refuser de voir la réalité en face.

Bien entendu, ce n’est pas 0,25 point en plus ou en moins qui va changer la donne économique eurolandaise. Néanmoins, cela suffit pour différer la forte baisse de l’euro indispensable pour relancer la croissance, en particulier pour les pays du Sud qui sont en proie à une grave crise non seulement économique mais aussi sociale. Et ce d’autant que cette stratégie monétaire maintient les taux d’intérêt à long terme à plus de 3 % en Allemagne et autour des 6 % en Grèce, réduisant encore un investissement déjà bien mal en point.

Pis, ce refus d’abaisser davantage le taux refi tranche avec le repli de l’inflation vers les 0 %. Autrement dit, la BCE prend aujourd’hui le risque inutile d’alimenter une déflation dans la zone euro. Or, comme nous le montre l’exemple du Japon, lorsque la déflation commence, elle peut durer quinze ans.

La BCE encore trop rigide.

Enfin, pour bien montrer que cette stratégie n’a aucun sens économique, il nous faut rappeler que le taux monétaire optimal de la zone euro selon la règle de Taylor est actuellement de 0,1 % !

L’inflation se rapproche dangereusement des 0 %.

C’est à croire que la BCE veut donner raison à son maître spirituel, Milton Friedman, qui disait que la zone euro ne survivrait pas à sa première grave récession.

Et pour cause : au bord de la crise sociale, des pays comme la Grèce, l’Espagne et l’Italie ont absolument besoin de sortir la tête de l’eau au plus vite. Mais, pour ce faire, ils n’ont malheureusement plus de marge de manœuvre : la BCE refuse de baisser son taux refi à un niveau en phase avec la réalité économique, leur dette publique pléthorique (même si la situation est un peu moins grave pour l’Espagne) leur interdit un plan de relance budgétaire digne de ce nom. Enfin, compte tenu d’un euro toujours trop cher, ces pays doivent également subir une politique de change restrictive.

Dans ce cadre, à l’instar du Royaume-Uni en 1992 qui a dû sortir du SME pour sortir de la récession, ces pays du Sud risquent d’être contraints de sortir de la zone euro pour éviter l’effondrement économique et social.

Le seul moyen d’éviter cette triste perspective serait de sortir au plus vite de la récession grâce à une forte baisse des taux directeurs de la BCE, un euro à 1,10 dollar et une relance budgétaire concertée au niveau de la zone. Malheureusement, nous n’en prenons pas le chemin… Car, même si la BCE baisse son taux refi à 1 % en mai, dans la mesure où toute inflexion de politique monétaire prend six à neuf mois pour agir sur l’activité, il est déjà trop tard…

Marc Touati



Les évènements à suivre du 6 au 10 avril :

Une semaine plutôt calme.


Cette semaine économico-statistique sera relativement calme aux Etats-Unis où l’on suivra jeudi le chiffre du commerce extérieur.

En France, nous connaîtrons mercredi les chiffres de la balance commerciale et vendredi ceux de l’inflation et de la production industrielle.