Etats-Unis, Europe, Asie : le match de la reprise.

L’humeur :

La mode va-t-elle passer de la crise à la reprise ?

Tout a commencé il y a une vingtaine de jours avec quelques déclarations de Barack Obama faisant état du proche redémarrage de l’économie américaine. Ainsi, après avoir noirci volontairement le tableau pour faire voter sans tarder son plan de relance par le Congrès, le nouveau Président des Etats-Unis a vite retrouvé son rôle de tribun de grand talent pour appeler à la reprise, conscient que cette dernière ne pourra se produire qu’en sortant de la crise de confiance qui s’est installée outre-Atlantique depuis la calamiteuse faillite de Lehman Brothers. Ensuite, il y a eu les premières questions de certains clients et journalistes qui, après n’avoir juré que par la crise et le « bear market », commencent à en avoir assez de ces funestes desseins et préfèrent nous demander «  et la reprise c’est pour quand ? ». Nous devons avouer que, les premières fois, nous avons eu un choc et avons dû nous pincer pour vérifier que nous ne rêvions pas.

Puis, ce fut au tour de Christine Lagarde de retrouver l’espoir, tout en annonçant néanmoins comme nous l’annoncions dans cette même rubrique il y a déjà trois mois une reprise en « tôle ondulée ». Mieux, en dépit de la révision baissière des prévisions de la BCE pour la croissance de la zone euro en 2009 (désormais comprises entre -2,2 % et -3,2 %, il s’agit donc plutôt d’une décroissance), Jean-Claude Trichet a osé annoncer « Nous disposons d’un certain nombre d’éléments qui laissent penser que nous approchons du moment où il y aura une reprise ». Si le phrasé est digne de Coluche et du fameux « on s’autorise à penser dans les milieux autorisés… », le ton est néanmoins donné : l’heure n’est plus au pessimisme mais à la reprise.

Et ce, d’autant que, confirmant les dires de son collègue d’outre-Atlantique, Ben Bernanke, le Président de la Réserve fédérale américaine, a fait preuve d’un enthousiasme inconnu. Et pour cause, le « pauvre » Benny est arrivé à la tête de la Fed début 2006 c’est-à-dire au début du dégonflement de la bulle immobilière américaine. Ce fut ensuite l’éclatement de la crise des subprimes à l’été 2007, la panique boursière du début 2008, puis la quasi-faillite de Bear Stearns, la totale faillite de Lehman Brothers et enfin la récession. Autant dire que Ben Bernanke, qui n’est déjà pas d’un naturel très enjoué, n’a pas vraiment eu l’occasion de sourire. Dès lors, lorsque ce dernier retrouve l’optimisme avec une verve digne d’un Alan Greenspan en pleine forme, il y a de quoi sursauter.

Enfin, au-delà de ces effets de manche et d’annonce, les investisseurs et les observateurs de la chose économico-financière vont être marqués par trois évolutions majeures. La première réside dans l’arrestation de Bernard Madoff. Aussi, surprenant que cela puisse paraître, les aveux de ce dernier et son arrestation menottes aux poings ont agi comme un excipient. Ca y est, le bouc émissaire (qui dans le cas présent était évidemment loin d’être blanc comme neige) a été trouvé et mis hors d’état de nuire. On peut donc tourner la page… C’est triste à dire mais, comme nous Keynes aimait le souligner, les marchés sont mus par les « animal spirits » et ont besoin d’exemples ou encore de leçons pour réagir. La leçon que voulait donner Henri Paulson avec la faillite de la Lehman Brothers a été dévastatrice et restera comme l’une des plus graves erreurs de politique économique de ces trente dernières années. En revanche, l’exemple Madoff semble produire ses fruits en assouvissant la soif de vengeance des marchés.

Bien plus concrète et constructive, la deuxième évolution rassurante des dernières semaines réside dans la réunion préparatoire du sommet du G20 du 2 avril. En effet, contre toute attente et bien loin des querelles de clochers traditionnelles dans ce type de réunion, les ministres de l’économie et des finances des 20 sont parvenus à une déclaration commune prometteuse. Au-delà de la confirmation du refus du protectionnisme, celle-ci stipule effectivement que les dirigeants politiques et monétaires du G20 agiront de concert, y compris avec des moyens non conventionnels pour relancer l’activité. A l’évidence, nous sommes très loin du repli sur soi et du manque de réactivité des années 30. Autrement dit, tout sera fait pour éviter un prolongement de cette crise et pour sortir de cette dernière par le haut, via un capitalisme moins débridé, plus transparent et mieux sécurisé. Ainsi, le fonctionnement des « hedge funds », des agences de notation, ainsi que les normes comptables du « mark to market » (valorisation aux prix de marchés) seront modifiés. Mieux, pour éviter de figurer dans une liste noire, de nombreux paradis fiscaux ont annoncé leur engagement vers plus de transparence et de coopération. De quoi couper l’herbe sous le pied aux extrémistes révolutionnaires : non seulement le capitalisme n’est pas mort mais il sortira grandi et assaini de cette crise.

Last but not least, les dernières statistiques économiques publiées aux Etats-Unis (réduction du déficit extérieur, de l’augmentation des ventes au détail, ou encore du rebond des mises en chantier et des permis de construire en février) ont confirmé que le plus dur était bien derrière nous. Autrement dit, avant même que le plan de relance n’ait été lancé et de facto ne produise ses effets, l’économie américaine est déjà sur la voie du redressement.

Bien entendu, celle-ci ne sera pas rectiligne. Des efforts devront encore être réalisés pour restaurer la confiance. Cette dernière est effectivement une alchimie extrêmement difficile à réaliser mais indispensable à la bonne marche de nos économies. Pour autant, au fur et à mesure des bonnes nouvelles, la mode pourrait bien changer et passer du noir absolu au rose pâle puis incandescent. De quoi rappeler que nous sommes tous des fashion victims

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La France et la zone euro touchent le fond, les Etats-Unis sortent du tunnel.


Comme nous l’évoquions depuis la fin 2008, les Etats-Unis sont bien en train de surprendre l’écrasante majorité des prévisionnistes et de sortir du tunnel, alors que France et la zone euro ne sont encore qu’au milieu de ce tunnel qui devrait néanmoins se terminer fin 2009.

L’Oncle Sam sort la tête de l’eau.

Ainsi, aux Etats-Unis, après la réduction du déficit extérieur, l’augmentation des ventes au détail et le fort rebond des mises en chantier, c’est au tour des commandes de biens durables de redonner le sourire.

Et pour cause : après quatre mois de chute et alors que le consensus s’attendant à un nouveau plongeon de 2,5 % pour février, les commandes de biens durables ont finalement augmenté de 3,4 % et même de 3,9 % hors transport. Et ce notamment grâce au secteur informatique (+ 5,6 %) et des machines outils (+ 13,5 %).

Si ces progressions n’effacent évidemment pas les baisses des quatre mois précédent, elles montrent néanmoins que le plus dur a été atteint et que l’heure du ré-investissement a sonné.

En effet, comme le montre le graphique ci-dessous, l’investissement a été abaissé excessivement comparativement à la réalité des carnets de commandes. Aussi, à présent que ces derniers retrouvent le chemin de la hausse et que l’optimisme retrouve droit de cité, l’investissement va pouvoir s’ajuster à la hausse.

Investissement aux Etats-Unis : le plus dur est passé.

Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, le secteur immobilier américain a poursuivi sur la lancée des mises en chantier de la semaine dernière, confirmant que, là aussi, le plus dur était bien passé.

Ainsi, en janvier, l’indice des prix des logements a augmenté de 1,7 % sur un mois, un record depuis que cette série existe, c’est-à-dire 1990. Parallèlement, les ventes de logements anciens ont augmenté de 5,1 % en février, leur plus forte hausse depuis juillet 2003. Enfin, les ventes de logements neufs ont également répondu « présentes » à l’appel, avec une progression de 4,7 % en février, un plus haut depuis avril 2007.

En conclusion, même si le chômage devrait encore augmenter pendant quelques mois, la reprise a déjà commencé outre-Atlantique.

La zone euro toujours malade.

Malheureusement, tel n’est pas le cas dans la zone euro, notamment en France et en Allemagne.

Ainsi, outre-Rhin, après une petite hausse en janvier et une rechute en février, l’indice IFO du climat des affaires a poursuivi son plongeon en mars. En atteignant désormais un niveau de 82,1, il se situe même sur un nouveau plancher historique.

L’Allemagne souffre encore mais s’accroche…

Seul petite lueur d’espoir, cette baisse est exclusivement due à un repli marqué de l’indice décrivant la perception de la situation présente. A l’inverse, et pour le troisième mois consécutif, l’indice IFO relatif aux perspectives d’activité a progressé en mars.

Avec un niveau de 81,6, il affiche ainsi une augmentation de 4,7 points par rapport à décembre dernier. Cela montre bien que le plan de relance allemand, la baisse du taux refi de la BCE et le repli de l’euro sont arrivés trop tard.

France : les profits reculent…

Même son de cloche du côté français. Ainsi, sans surprise, la version détaillée des comptes nationaux français du quatrième trimestre a confirmé à 0,1 point près la chute du PIB hexagonal. Ainsi, ce dernier a reculé de 1,1 % contre une baisse de 1,2 % annoncée initialement. Cette petite révision n’empêche cependant pas la croissance annuelle d’atteindre 0,7 % sur l’ensemble de l’année 2008 et de commencer l’année 2009 avec un « acquis » de – 0,8 %.

La seule relativement bonne nouvelle de ces chiffres réside dans le fait que la baisse du PIB au quatrième trimestre est essentiellement due à un déstockage massif. Hors stocks, le recul du PIB n’est ainsi « que » de 0,3 %. On se réconforte comme on peut.

Mais, au-delà de ces chiffres du passé et même si le premier trimestre risque d’être presque aussi mauvais (confirmant que la baisse du PIB français devrait avoisiner les 1 % sur l’ensemble de l’année 2009), la véritable nouveauté de ces comptes nationaux réside dans le compte des entreprises non-financières. En effet, focalisée sur les entreprises du Cac 40, l’opinion publique s’applique à s’offusquer des profits encore élevés des entreprises. Les chiffres publiés aujourd’hui nous rappellent que ces profits proviennent surtout des activités réalisées à l’étranger.

Ainsi, dans l’Hexagone, l’excédent brut d’exploitation (dit EBE, c’est-à-dire les profits en langage simple) des sociétés non-financières a baissé de 1,9 % au deuxième trimestre, puis stagné au troisième et enfin chuté de 4,5 % au quatrième. Sur l’ensemble de l’année, ces profits faits en France n’ont ainsi progressé que de 0,7 % A l’évidence, nous sommes loin des entreprises multinationales du Cac 40.

En 2008, le taux de marge (c’est-à-dire l’EBE rapportée à la valeur ajoutée créée) a même baissé d’un point comparativement à 2007, soit un niveau de 30,3 %. Dans le même temps, la part des charges salariales sur la valeur ajoutée est passée de 65,1 % à 65,9 % et la pression fiscale de 26,3 % à 26,9 % (contre encore 25,2 % en 2006).

Autrement dit, même s’il est très pratique de stigmatiser les entreprises et même si, dans certains cas, le comportement de certains dirigeants dépasse les bornes, il ne faut pas oublier que pour la grande majorité des entreprises françaises (rappelons d’ailleurs que 93 % des PME françaises ont moins de dix salariés), les temps sont également difficiles. Et si une telle situation s’éternise, le chômage continuera de flamber.

Pour éviter ce scénario du pire, seul la puissance publique peut intervenir, non pas en critiquant à l’envi les entreprises, mais surtout en baissant la pression fiscale qui pèse non seulement sur ces dernières, mais aussi sur les ménages. Pour ce faire, elle doit tout simplement réduire ses dépenses de fonctionnement (en particulier les salaires et les frais de fonctionnement) qui augmentent de 11,3 milliards d’euros par an depuis 2002 (toutes administrations publiques confondues). Une somme presque aussi choquante que les bonus et les stocks options dont on parle tant aujourd’hui. Car n’oublions pas qu’il s’agit là aussi de l’argent du contribuable…

La consommation française repart à la baisse.

Enfin, cette semaine statistique a aussi indiqué que le printemps n’avait malheureusement duré qu’un mois sur le front de la consommation française. Ainsi, après la bonne performance de janvier liée aux soldes qui permettait à la France d’être le seul pays développés où la consommation augmentait sur un an, le mois de février a sonné le glas de la résistance française. En reculant de 2 % en février, la consommation en produits manufacturés affiche un glissement annuel de – 2 %. L’exception française n’aura donc duré que quelques mois, la consommation rentrant désormais dans le rang de la morosité internationale.

Pour autant, deux facteurs de relativisation de cette contre-performance doivent être mis en avant. Premièrement, la baisse de la consommation de février est surtout le produit d’un effet de correction de la « fièvre acheteuse » de janvier. Ainsi, après avoir flambé de 4,3 % en janvier, les dépenses en textile-cuir ont chuté de 8,7 % en février.

De même, après avoir augmenté de 2,7 % en janvier, la consommation dans l’équipement du logement a reculé de 1,2 %% en février. Ces évolutions en dents de scie rappellent que le prix reste l’argument décisif pour enclencher ou non l’acte de consommation. Ainsi, en phase de soldes ou de promotion, les consommateurs répondent présents et s’absentent des rayons dès que les bonnes affaires ont disparu.

D’ailleurs et deuxièmement, le seul secteur où la consommation continue d’augmenter est l’automobile, c’est-à-dire le seul secteur qui, une fois les soldes passés, continue de profiter de réduction de prix, notamment au travers de la prime gouvernementale.

France : une consommation en dents de scie.

Dans ce cadre, après avoir déjà augmenté de 2,1 % en décembre, puis de 2,6 % en janvier, les dépenses en automobiles ont encore progressé de 0,2 % en février. Si cette dernière augmentation est modeste, elle confirme néanmoins que la baisse des prix proposée par certains constructeurs, la prime de l’Etat et la baisse des taux d’intérêt produisent bien des effets positifs sur le secteur automobile, qui pourrait donc progressivement passer de l’enfer au purgatoire avant de retrouver le paradis en 2010.

C’est d’ailleurs ce qui ressort de la dernière enquête INSEE dans l’industrie également publiée la semaine dernière. En effet, les perspectives de production dans le secteur automobile sont passées de – 91 en janvier à – 52 en février et à – 16 en mars. Si l’euphorie n’est évidemment pas de mise, l’activité automobile est néanmoins en train de retrouver un plus haut depuis juillet 2008.

Malheureusement, cette embellie automobile n’est pas généralisée à l’ensemble des secteurs. Et pour cause : qu’il s’agisse des biens de consommation, des biens intermédiaires ou des biens d’équipement, les perspectives de production continuent de se dégrader. Seule lueur d’espoir : cette dégradation s’opère à un rythme beaucoup plus modéré que sur les derniers mois.

C’est d’ailleurs ce qui explique la stabilisation du climat des affaires dans l’industrie totale en février. En fait, à l’instar de la consommation des ménages, l’industrie française est en train de toucher le fond aujourd’hui et commencera progressivement à redémarrer à partir de l’été prochain et surtout fin 2009.

Il faut donc se préparer à vivre encore six mois difficiles clairsemés de quelques bonnes nouvelles tout de même avant de retrouver le chemin d’une croissance significative à partir de la fin 2009.

Marc Touati