Evolution ou Révolution ?

A quinze jours du sommet du G20 de Londres, les spéculations vont bon train. D’aucuns vont même jusqu’à prévoir la fin du capitalisme et l’avènement d’un nouveau monde, où les Etats seraient surpuissants, où les frontières se refermeraient, avec réduction des marchés financiers à peau de chagrin et où le capital serait tellement taxé qu’il imposerait aux entreprises privées encore survivantes de se rallier à la toute puissance publique. Tout un programme…

Au-delà de son aspect utopique et extrêmement dangereux pour la stabilité économique, politique et sociale de la planète, cette opinion surprend surtout parce qu’elle réussit à se diffuser à la vitesse de l’éclair et est même parfois présentée comme une solution crédible. Cela nous rappelle les ravages que peut causer la faiblesse de la culture économique dans l’Hexagone. En effet, devant l’inconnu ou la méconnaissance, la peur et les idées fausses se généralisent avec une extrême facilité. Or, lorsque l’Homme est habité par la peur et le mensonge, il est capable du pire.

C’est dire la responsabilité qui incombe actuellement aux dirigeants politiques, aux économistes et aux journalistes. Si par facilité, par cupidité ou encore par simple suivisme, ceux-ci continuent de diffuser des contrevérités, alors ils risquent de transformer la crise en un chaos duquel nous mettrons des années à sortir. En revanche, s’ils retrouvent leurs esprits et arrêtent de véhiculer du pessimisme et de la peur à outrance, alors le monde peut s’en sortir.

C’est dans ce cadre que le sommet du G20 du 2 avril prochain sera déterminant. Et pour cause : celui-ci doit absolument montrer à tous que le capitalisme n’est pas mort et qu’il vit une crise, certes grave, mais qui lui permettra de se reconstruire sur des bases plus saines.

Bien entendu, il ne faut pas rêver. L’enfer de la crise financière ne va pas se transformer en un paradis fraternel en un seul sommet. Néanmoins, de nombreuses données doivent changer et/ou être améliorées. Selon nous, ce sommet devrait ainsi déboucher sur cinq grands types de mesures.

Premièrement, il doit renforcer la coopération entre les pays, tant du côté de la politique budgétaire que monétaire ou encore de la politique de change. Dans le prolongement de cette entraide, les pays du G20 doivent également s’engager à refuser le protectionnisme. Les plus grands perdants de la fermeture des frontières ne seraient d’ailleurs pas forcément les pays émergents, mais plutôt les pays développés qui, de par leurs choix stratégiques, ont désormais structurellement besoin des importations.

Deuxièmement, le G20 doit engager un assainissement du système bancaire et financier. Cela ne signifie évidemment pas de mettre un gendarme derrière chaque trader ou encore de nationaliser toutes les banques, mais plutôt d’améliorer la supervision et la transparence sur les marchés de dérivés, notamment de crédit. Parallèlement, il faudra s’engager à mieux encadrer les systèmes de rémunération, tout en renforçant la supervision et la régulation des fonds spéculatifs.

Un excès de réglementation ne serait cependant pas le bienvenu. Car n’oublions que c’est justement pour contourner une réglementation trop tatillonne que de nombreuses institutions financières ont franchi le Rubicon pour développer des stratégies d’investissement complexe et de hors bilan. Elles ont ainsi pris des risques démesurés qu’ils les ont amenées dans la situation cataclysmique actuelle. En outre, il ne servirait à rien d’aller trop loin pour brimer les banques et autres acteurs financiers car la crise les a déjà obligés à changer leur fusil d’épaule et à se repositionner sur des produits et des stratégies plus simples, avec certes moins de profit mais plus de transparence et de sécurité. Autrement dit, le système financier est déjà en train de s’autoréguler.

Troisièmement, même s’il sera impossible de les fermer ou de les réformer tous, les paradis fiscaux doivent être officiellement identifiés et sanctionnés s’ils refusent de jouer le jeu d’un minimum de transparence, notamment dans le cadre de l’argent sale. Il ne s’agit évidemment pas de supprimer le secret bancaire, mais surtout de permettre de limiter des mouvements financiers incontrôlés et incontrôlables

Quatrièmement, pierre angulaire de la crise des subprimes, le fonctionnement des agences de notation doit également être revu. Il ne faut évidemment pas jeter l’opprobre sur cette profession difficile et en faire un bouc émissaire idéal. Néanmoins, il est absolument anormal qu’une agence de notation soit payée par l’entreprise qu’elle note.

Cinquièmement, les normes comptables internationales doivent être revues et harmonisées, en particulier la valorisation des actifs aux prix de marché, dit « Mark to Market » ou encore normes IFRS. Il est clair que ce système comptable a joué un rôle accélérateur de la crise financière, en particulier pour les banques, dans la mesure où la dépréciation des actifs a eu un effet auto-entretenu et destructeur lors du krach boursier. Un système de valorisation par actualisation serait ainsi beaucoup plus efficace et surtout beaucoup moins déformant tant à la hausse qu’à la baisse.

Si le G20 parvient à adopter ce type de mesures de manière coordonnée, alors le système capitaliste sera non seulement sauvé mais surtout amélioré. A l’inverse, si le G20 ne débouche sur aucune mesure concrète d’envergure, alors la crise risque de durer, avec les conséquences économiques et sociales que l’on peut imaginer. Gageons que la responsabilité finira par l’emporter et que les dirigeants du G20 ne rateront pas cette chance historique d’engager une évolution salutaire pour éviter une révolution destructrice. Si tel est le cas, il faut alors se préparer à une reprise qui nous surprendra positivement par son ampleur.

 

Marc Touati