Chômage, BCE, Liberté (E&S n°76)

L’humeur :

LIBERTÉ.

En ces temps de crise où tout paraît sombre, où les acteurs économiques perdent un à un tous leurs repères, la tentation de la capitulation est forte. Et bien oui : pourquoi se fatiguer à oser garder l’espoir, autant suivre le troupeau comme tout le monde, acheter de l’or ou des terres arables et attendre que la fin du monde arrive. D’ailleurs, à en croire les meilleurs « experts », le monde dans lequel nous vivons depuis la naissance du capitalisme au XVIIème siècle est en train de disparaître. Dès lors, il ne sert à rien de suivre les indicateurs économiques, d’établir des prévisions sur la base de l’analyse économique ou encore d’essayer de véhiculer un message d’optimisme : tout le monde le dit, le système va s’écrouler, il est donc inutile de prêcher dans le désert, sauf à vouloir se faire tirer dessus et se faire passer pour un illuminé…

Bien loin de ce comportement mimétique très facile mais complètement absurde à nos yeux, il nous paraît plutôt indispensable de sortir du carcan du défaitisme et du fatalisme. Pour ce faire, il faut prendre un maximum de recul par rapport à l’instant et par exemple réfléchir sur des notions fondamentales telles que celle de la liberté. Liberté physique bien entendu, mais surtout liberté intellectuelle. Sans vouloir s’engager dans un débat philosophique ésotérique qui n’aurait d’ailleurs pas sa place dans cette publication, nous souhaitons simplement pointer du doigt les risques d’auto-aliénation qui menacent.

En effet, sommes-nous vraiment en liberté ? Sommes-nous vraiment libres de penser et de dire ce que nous pensons intrinsèquement en toute indépendance ? Ou alors, nos pensées et nos écrits ne sont-ils pas plutôt le produit d’un environnement et d’une mentalité que nous subissons ? Ou encore pire, ne faisons-nous pas simplement qu’écrire sous la dictée de nos actionnaires, de nos clients, de nos collègues, de nos pairs, voire les quatre à la fois ?

Selon nous, tel est l’enjeu principal de la liberté et par là même de l’honnêteté intellectuelle. Bien entendu, il ne faut pas pour autant se voiler la face et refuser les évidences pour prouver sa liberté et son indépendance. Nous savons malheureusement tous que cette stratégie jusqu’au-boutiste est structurellement menée par la BCE avec les résultats catastrophiques que l’on connaît. Parallèlement, la liberté ne permet pas d’éviter les erreurs. Mais là aussi, il faut avoir l’honnêteté de les reconnaître. Voilà pourquoi chaque année depuis quinze ans, nous publions le bilan de nos prévisions, avec des réussites et aussi des erreurs. Mais une chose est sûr, la véritable liberté de l’économiste réside dans l’indépendance intellectuelle de ses analyses et de ses prévisions qui doivent toujours se baser sur la réalité des fondamentaux économiques et ne surtout pas suivre bêtement le consensus. C’est la raison pour laquelle, en dépit du pessimisme ambiant, en dépit des évidences, mais qui ne sont qu’apparentes, en dépit enfin de la volonté généralisée de détruire le moindre souffle d’optimisme, nous continuons de garder l’espoir.

Certes, le PIB chutera encore au premier trimestre dans une grande partie des pays de la planète. Certes, le chômage augmentera encore dans les trois à six prochains mois. Certes, des ajustements massifs et souvent salutaires vont se produire sur le fonctionnement de nos économies. Pour autant, nous ne croyons aucunement à la théorie avancée par un peu tout le monde, non par conviction mais simplement par suivisme, selon laquelle le monde actuel s’écroulerait, ouvrant la voie à une révolution majeure.

Evidemment, cette vision du monde est très pratique. Elle réveille en nous nos instincts primitifs selon lesquels il faut tuer les coupables et créer un nouveau monde dans lequel l’Etat retrouverait un rôle central. Pourtant, ce choix est extrêmement dangereux. Primo, parce que la stratégie des boucs émissaires peut conduire l’Homme aux pires horreurs. Les années 30 et la seconde guerre mondiale nous en ont donné un dramatique exemple.

Secundo, parce qu’une révolution, on sait toujours lorsqu’elle commence, mais on ne sait jamais lorsque et comment elle se termine. Robespierre n’était-il pas l’un des plus modérés au début de la Révolution Française pour finalement instaurer la terreur qui finira d’ailleurs par le décapiter… Tertio, il serait vain de croire que, par on ne sait quel miracle, la nature humaine changerait profondément et durablement. La révolution russe de 1917 en avait donné initialement l’illusion et l’on connaît les désastres qui en ont suivis…

Quarto, imaginer que l’Etat et la dépense publique réussiront à créer un monde meilleur est une erreur profonde. Non seulement parce que la gestion publique est loin d’être un modèle d’efficacité. Mais surtout parce que cela ne reviendrait qu’à transférer le problème d’une sphère privée en difficulté mais combative vers une sphère publique sans moyens et inefficace.

Autrement dit, arrêtons de sombrer dans la démagogie et reprenons nos esprits. Oui, nous vivons une crise historique. Est-ce une raison pour arrêter de vivre ? Bien au contraire. C’est parce que cette crise est grave qu’elle appelle de notre part une grande réactivité et une forte combativité. Barack Obama l’a d’ailleurs bien compris. En effet, après avoir décrit le pire pour faire voter son plan de relance, il est en train de mobiliser son pays tout entier pour faire en sorte que cette relance soit un succès. Car sans confiance, sans mobilisation et a fortiori sans espoir, le système ne pourra pas se relever. Il faut donc nous responsabiliser pour comprendre que notre avenir est entre nos mains. Nous devons donc retrouver notre liberté de penser et donc de choisir. A notre humble niveau, c’est ce que nous continuerons à faire coute que coute. Et tant pis pour les grincheux qui, assurément, seront forcément les grands perdants de cette crise.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Le chômage flambe partout.


13,9 % en Espagne, 8,2 % dans la zone euro et en France et enfin 8,1 % tant aux Etats-Unis qu’en Russie. C’est une évidence, le taux de chômage est en train de flamber sur l’ensemble de la planète. Les variations annuelles du nombre de chômeurs sont d’ailleurs tout aussi éloquentes : + 15,4 % en France, + 23,1 % en Russie, + 50,4 % en Espagne et + 68 % aux Etats-Unis.

L’ajustement baissier de l’emploi est donc devenu pléthorique et démesuré, notamment outre-Atlantique. A titre de comparaison, lors de la récession américaine de 1980, le PIB avait baissé de 2,2 %, alors que le nombre de chômeurs n’avait augmenté « que » de 39,5 %. Or actuellement, depuis le début de la récession, le PIB américain a reculé de 0,8 % mais le chômage a flambé de 68 %. Cherchez l’erreur…

En fait, cet apparent paradoxe signifie simplement qu’une moitié de l’augmentation du chômage est bien due à la récession, mais que l’autre moitié s’explique par un mouvement de panique non justifié au regard des fondamentaux économiques américains.

D’ailleurs, il faut noter qu’en dépit de la gravité des destructions d’emplois et du taux de chômage, les salaires continuent d’augmenter outre-Atlantique. En l’occurrence de 0,2 % en février et de 3,6 % sur un an.

Dans la mesure où l’inflation est passée de 5,6 % en août 2008 à 0 % en janvier, cela se traduit donc par une nette appréciation des salaires réels. Ce qui confère par là même une marge supplémentaire de pouvoir d’achat pour les ménages américains.

Le chômage s’envole, les salaires réels aussi…

De même, depuis deux mois, le nombre d’heures travaillées par semaine se stabilise à 33,3 heures. Enfin, même si les destructions d’emplois restent énormes (encore 651 000 en février), elles marquent le pas et reculent même depuis deux mois, c’est-à-dire depuis le sommet des 681 000 destructions d’emplois de décembre 2008.

Dans ce cadre, il est donc possible de penser que le marché du travail américain est en train de toucher le dur et pourrait par là même retrouver le chemin de la restauration, voire des créations d’emplois à partir de l’été prochain. En effet, dans la mesure où les destructions d’emplois ont été trop fortes par rapport à la baisse de l’activité, dès que cette dernière retrouvera des couleurs, les entreprises pourraient ré-embaucher massivement et rapidement.

Voilà pourquoi, si le taux de chômage pourrait atteindre les 8,7 % d’ici l’été, une inversion de tendance devrait ensuite s’observer.

Un taux de chômage beaucoup trop fort par rapport au recul de l’activité.

Une fois n’est pas coutume, une situation analogue pourrait s’observer dans l’Hexagone. Certes, les deux statistiques françaises publiées la semaine dernière (forte hausse du chômage et forte baisse des prix à la production) confirment que la France est bien aux portes de la déflation.

En effet, en baissant de 2 % en janvier (un record absolu depuis la création de la statistique en janvier 1999), les prix à la production affichent désormais un glissement annuel de – 2,7 %. Là aussi du jamais vu depuis que la statistique existe. Cette forte baisse relance évidemment le débat sur l’écart conséquent qui existe entre les prix industriels et les prix à la consommation. Et pour cause : qu’il s’agisse des prix agricoles ou des prix à la production dans l’industrie, la baisse est historique, alors qu’en matière de prix à la consommation, la baisse est beaucoup moins forte, voire parfois absente (notamment dans le cas des produits frais). Vivement donc que la grande distribution répercute la baisse des prix de leurs achats sur leurs prix de vente ! Sinon, ce seront les ménages eux-mêmes qui feront le tri, en plébiscitant le hard discount.

Cette baisse des prix permettra alors d’améliorer le pouvoir d’achat des ménages qui en a bien besoin.

Et ce d’autant que l’augmentation du chômage commence à devenir inquiétante. Ainsi, selon les chiffres harmonisés au sens du Bureau International du Travail, le taux de chômage français est passé de 7,6 % au troisième trimestre à 8,2 % au quatrième, un plus haut depuis le troisième trimestre 2007.

En outre, nous savons d’ores et déjà que cette flambée du chômage s’est aggravée au début 2009. Et ce pour deux raisons principales. La première est tout à fait logique puisqu’elle correspond à la baisse de l’activité économique observée en France depuis le printemps dernier. La seconde en revanche est beaucoup moins justifiée puisqu’il s’agit du phénomène de peur qui s’est généralisé ces derniers mois.

Ainsi, selon nos estimations (basées sur la corrélation qui existe entre le PIB et l’emploi), environ 60 % des destructions d’emplois s’expliquent par une baisse de l’activité et 40 % par un mouvement de défiance. Cette évolution est à la fois dangereuse mais aussi rassurante. Dangereuse, car elle montre que si le pessimisme ambiant s’amplifie, alors la hausse du chômage risque de s’accélérer encore et de transformer la crise économique en crise sociale.

Rassurante néanmoins, parce que si l’on casse cette spirale de pessimisme, les entreprises pourront assez rapidement reprendre le chemin des embauches, car elles auront trop licencié par rapport à la réalité économique.

Malheureusement, le retour de l’espoir passera par la confirmation d’une amélioration progressive de l’activité, qui ne se produira pas avant six mois. La question reste alors de savoir si les Français pourront traverser ce désert sans trop de dérapages.

Enfin, en matière d’évolution du taux de chômage, il ne faut pas oublier que la France vit aujourd’hui son papy boom. Autrement dit, les classes nombreuses du baby boom partent massivement à la retraite, alors que ce sont les classes creuses des années 80-90 qui arrivent sur le marché du travail. De quoi donc limiter l’augmentation de la population active et par là même la progression du taux de chômage. Ce dernier devrait donc atteindre les 9,5 % au plus fort des destructions d’emplois, mais certainement pas les 11 %.

Marc Touati




Et les marchés dans tout ça ?

La Fed et la BoE font le maximum, la BCE le minimum.


S’il y a une institution où le service minimum fonctionne, c’est bien la Banque Centrale Européenne. En effet, le PIB de la zone euro a beau s’écrouler, affichant des glissements annuels historiquement bas, le chômage a beau flamber dans l’ensemble de la zone, certains pays ont beau être au bord de la crise sociale et l’inflation eurolandaise a beau se stabiliser autour des 1 %, c’est-à-dire sur des plus bas historiques, rien n’y fait. Une baisse du taux refi a bien été décidée, mais dans une proportion normale de 50 points de base. Autrement dit, à situation exceptionnelle, mesure… ordinaire.

Certes, à désormais 1,5 %, le taux refi atteint un plus bas historique. Pour autant, la décroissance et la forte désinflation sont actuellement compatibles avec un taux directeur optimal de 0,15 %. C’est du moins ce que nous apprend la règle de Taylor. Le taux Taylor s’obtient effectivement selon le calcul suivant : T = taux d’intérêt neutre + 0,5(Inflation en 2009-Objectif d’inflation) + 0,5 (Croissance en 2009 – Croissance potentielle).

Et encore, comme il est possible de la constater dans le tableau ci-dessous, les hypothèses de décroissance et d’inflation sont optimistes puisqu’elles sont de respectivement – 0,5 % et 1,1 %. A titre de comparaison, les prévisions de la BCE font état d’une baisse du PIB comprise entre -2,2 % et – 3,2 % et d’une inflation comprise entre 0,1 % et 0,7 %.

Trichet au RMI : Refi Minimum d’Insertion.

En d’autres termes, même à 1,5 %, voire à 1 %, le taux refi est encore trop élevé par rapport à la réalité économique de la zone euro. Le pire c’est que la BCE en est tout à fait consciente…

De l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique, les banques centrales sont tout aussi conscientes de la gravité de la situation, mais réagissent en conséquence. Ainsi, la Banque d’Angleterre a abaissé cette semaine son taux de base à 0,5 %, soit quasiment le niveau du taux Taylor qui atteint précisément 0,35 % au Royaume-Uni.

Aux Etats-Unis, la Fed a même été plus loin, puisqu’elle a réduit son taux objectif des federal funds entre 0 et 0,25 %, alors que le taux Taylor atteint 0,9 %.

Bien entendu, la baisse du taux refi et la baisse de l’euro qu’elle entraîne ne sont pas des mauvaises nouvelles. Elles vont progressivement apporter leur contribution à la reprise de l’activité. Néanmoins, compte tenu de leur ampleur limitée et de leur arrivée trop tardive, la croissance eurolandaise ne pourra pas redémarrer avant l’été prochain et surtout elle ne le fera que dans une proportion très limitée.

Autrement dit, alors que les Etats-Unis connaîtront une reprise en V à partir de l’été prochain, la zone euro redémarrera au mieux à partir de la fin de l’automne et au mieux selon une configuration en W, que l’on peut également appeler « tôle ondulée ».

Voici donc notre scénario eurolandais pour les mois à venir : début avril, l’inflation de la zone euro du mois de mars sera connue et elle devrait avoisiner les 0,5 %. La BCE devra donc abaisser son taux refi à 1 %, qui sera certainement le plancher en deçà duquel elle ne descendra pas. La récession se poursuivra jusqu’au deuxième trimestre et le PIB retrouvera le chemin de la petite haus