V.

Les images sont souvent plus fortes que les mots et a fortiori bien plus explicites que les longs discours. Ainsi, sur les marchés boursiers, plutôt que de tergiverser sur la nature du climat ambiant, on parlera de bull (taureau) market pour représenter la hausse vigoureuse, tandis que le bear (ours) market sera utilisé pour évoquer la baisse et le pessimisme massif.

En économie, l’imagerie animalière laisse la place à une imagerie des lettres. Ainsi, pour caractériser l’évolution de la croissance, on distinguera quatre types de mouvements : des courbes en L, en U, en V ou en W.

La première de ces représentations est évidemment la plus sombre, c’est celle qui s’impose aujourd’hui au sein des consensus. En fait, elle signifie qu’après une période de croissance (trop) forte, l’économie s’effondre et stagne durablement dans les abysses de l’atonie et de la destruction d’emplois. Le pays en question, ou la zone voire la planète entière sont alors engoncés dans un cercle pernicieux de déflation « baisse des prix, recul de l’investissement, repli de l’emploi, régression de la consommation… ».

Le seul moyen de sortir de cette spirale infernale réside dans une relance forte par la demande et notamment via une croissance massive de l’investissement et une baisse conséquente des taux directeurs de la Banque centrale.

Malheureusement, il faut aussi savoir que, dans certains cas, ces solutions extrêmes restent inefficaces. C’est par exemple ce qui s’observe au Japon depuis déjà plus de quinze ans et que certains n’hésitent d’ailleurs pas à annoncer pour l’économie américaine aujourd’hui. Selon nous, tel ne sera pas le cas. Et ce pour deux raisons simples : le Japon a plongé dans la déflation et a été incapable d’en ressortir à cause du vieillissement aggravé de sa population qui vient même de se transformer en baisse de cette dernière, ainsi que par son manque de réactivité. Autrement dit, c’est parce que les autorités japonaises n’ont pas réagi assez tôt à la déflation que celle-ci est devenue une courbe en L, c’est-à-dire un marasme durable.

C’est ce qui amène certains économistes toujours très pessimistes à remplacer la courbe en L par une courbe en U. Cette dernière signifie que la récession sera durable mais qu’après deux à trois ans de restructurations et de destructions d’emplois, la croissance finira par redémarrer. C’est actuellement le scénario dominant pour l’avenir des économies occidentales et plus globalement de l’ensemble de la planète.

Ce cas de figure paraît effectivement séduisant mais présente néanmoins un danger de taille, en l’occurrence celui de ne pas réagir assez tôt et avec suffisamment de moyens. Ainsi, c’est parce qu’elle croît à cette perspective que la BCE rechigne à baisser davantage son taux refi en soutenant que cette politique serait inutile non seulement parce qu’elle pourrait relancer l’inflation, mais aussi parce que la croissance finira de toute façon par redémarrer. C’est exactement ce même discours que la BCE tenait fin 2001. Elle refusait alors de baisser davantage son taux refi, aggravant la morosité économique eurolandaise ce qui l’amènera in fine à assouplir son étreinte face à la faiblesse du PIB fin 2002.

Pis, compte tenu de la défiance ambiante et de l’augmentation massive des taux longs dans de très nombreux pays de la zone euro, si la BCE tarde trop à agir, la possible courbe en U deviendra une inévitable courbe en L. Au total, entre la courbe en L et la courbe en U, on regroupe aujourd’hui environ 80 % des prévisions pour les années à venir.

Mais, il reste encore quelques irréductibles optimistes, donc marginaux, qui osent anticiper un scénario en W ou en V, le premier représentant une reprise molle en 2009 avant une reprise plus marquée l’an prochain et le second caractérisant une reprise soutenue dès 2009. Il s’agit d’ailleurs des perspectives que nous dressons, le V s’appliquant aux Etats-Unis et le W s’appliquant à l’Europe.

En effet, compte tenu de la réactivité mais aussi de la forte volonté de se retrousser les manches des Américains, ces derniers devraient profiter à plein des 950 milliards de dollars injectés dans le circuit économique dès 2009 (300 milliards via la baisse des prix des matières premières, 300 milliards via la baisse des taux d’intérêt, donc de la charge de la dette pour les ménages et les entreprises, et 450 milliards via la relance budgétaire). En outre, dans la mesure où l’essentiel de la baisse de l’emploi a déjà été réalisé et où la job machine américaine est également très réactive tant à la baisse qu’à la hausse, des bonnes surprises pourraient rapidement revenir outre-Atlantique.

En Europe et dans la zone euro en particulier, les efforts de relance, la réactivité et la fluidité du marché du travail étant beaucoup moins importants, le V est par définition exclu. En revanche, si la BCE abaisse bien son taux refi à 1,25 % en mars et si les gouvernements réussissent à coordonner leurs efforts budgétaires, alors une reprise progressive devient possible à partir de l’automne.

Le couple Etats-Unis/Euroland s’apprête donc à revivre le pas de dance qu’il nous avait joué en 2002. Après la récession de 2001, les Etats-Unis avaient effectivement redémarré dès 2002, tandis que la zone euro avait continué de ralentir en 2002 et 2003 pour rebondir très timidement et enfin plus franchement à partir de la fin 2005. Mais, bon ne soyons pas trop exigeants : compte tenu des risques de U et de L qui nous menacent, un « W » sera pour une fois le bienvenu.…

Marc Touati