L, U, V, W : quelle courbe pour 2009 ? (E&S n°72)

L’humeur :

V.

Les images sont souvent plus fortes que les mots et a fortiori bien plus explicites que les longs discours. Ainsi, sur les marchés boursiers, plutôt que de tergiverser sur la nature du climat ambiant, on parlera de bull (taureau) market pour représenter la hausse vigoureuse, tandis que le bear (ours) market sera utilisé pour évoquer la baisse et le pessimisme massif.

En économie, l’imagerie animalière laisse la place à une imagerie des lettres. Ainsi, pour caractériser l’évolution de la croissance, on distinguera quatre types de mouvements : des courbes en L, en U, en V ou en W.

La première de ces représentations est évidemment la plus sombre, c’est celle qui s’impose aujourd’hui au sein des consensus. En fait, elle signifie qu’après une période de croissance (trop) forte, l’économie s’effondre et stagne durablement dans les abysses de l’atonie et de la destruction d’emplois. Le pays en question, ou la zone voire la planète entière sont alors engoncés dans un cercle pernicieux de déflation « baisse des prix, recul de l’investissement, repli de l’emploi, régression de la consommation… ».

Le seul moyen de sortir de cette spirale infernale réside dans une relance forte par la demande et notamment via une croissance massive de l’investissement et une baisse conséquente des taux directeurs de la Banque centrale.

Malheureusement, il faut aussi savoir que, dans certains cas, ces solutions extrêmes restent inefficaces. C’est par exemple ce qui s’observe au Japon depuis déjà plus de quinze ans et que certains n’hésitent d’ailleurs pas à annoncer pour l’économie américaine aujourd’hui. Selon nous, tel ne sera pas le cas. Et ce pour deux raisons simples : le Japon a plongé dans la déflation et a été incapable d’en ressortir à cause du vieillissement aggravé de sa population qui vient même de se transformer en baisse de cette dernière, ainsi que par son manque de réactivité. Autrement dit, c’est parce que les autorités japonaises n’ont pas réagi assez tôt à la déflation que celle-ci est devenue une courbe en L, c’est-à-dire un marasme durable.

C’est ce qui amène certains économistes toujours très pessimistes à remplacer la courbe en L par une courbe en U. Cette dernière signifie que la récession sera durable mais qu’après deux à trois ans de restructurations et de destructions d’emplois, la croissance finira par redémarrer. C’est actuellement le scénario dominant pour l’avenir des économies occidentales et plus globalement de l’ensemble de la planète.

Ce cas de figure paraît effectivement séduisant mais présente néanmoins un danger de taille, en l’occurrence celui de ne pas réagir assez tôt et avec suffisamment de moyens. Ainsi, c’est parce qu’elle croît à cette perspective que la BCE rechigne à baisser davantage son taux refi en soutenant que cette politique serait inutile non seulement parce qu’elle pourrait relancer l’inflation, mais aussi parce que la croissance finira de toute façon par redémarrer. C’est exactement ce même discours que la BCE tenait fin 2001. Elle refusait alors de baisser davantage son taux refi, aggravant la morosité économique eurolandaise ce qui l’amènera in fine à assouplir son étreinte face à la faiblesse du PIB fin 2002.

Pis, compte tenu de la défiance ambiante et de l’augmentation massive des taux longs dans de très nombreux pays de la zone euro, si la BCE tarde trop à agir, la possible courbe en U deviendra une inévitable courbe en L. Au total, entre la courbe en L et la courbe en U, on regroupe aujourd’hui environ 80 % des prévisions pour les années à venir.

Mais, il reste encore quelques irréductibles optimistes, donc marginaux, qui osent anticiper un scénario en W ou en V, le premier représentant une reprise molle en 2009 avant une reprise plus marquée l’an prochain et le second caractérisant une reprise soutenue dès 2009. Il s’agit d’ailleurs des perspectives que nous dressons, le V s’appliquant aux Etats-Unis et le W s’appliquant à l’Europe.

En effet, compte tenu de la réactivité mais aussi de la forte volonté de se retrousser les manches des Américains, ces derniers devraient profiter à plein des 950 milliards de dollars injectés dans le circuit économique dès 2009 (300 milliards via la baisse des prix des matières premières, 300 milliards via la baisse des taux d’intérêt, donc de la charge de la dette pour les ménages et les entreprises, et 450 milliards via la relance budgétaire). En outre, dans la mesure où l’essentiel de la baisse de l’emploi a déjà été réalisé et où la job machine américaine est également très réactive tant à la baisse qu’à la hausse, des bonnes surprises pourraient rapidement revenir outre-Atlantique.

En Europe et dans la zone euro en particulier, les efforts de relance, la réactivité et la fluidité du marché du travail étant beaucoup moins importants, le V est par définition exclu. En revanche, si la BCE abaisse bien son taux refi à 1,25 % en mars et si les gouvernements réussissent à coordonner leurs efforts budgétaires, alors une reprise progressive devient possible à partir de l’automne.

Le couple Etats-Unis/Euroland s’apprête donc à revivre le pas de dance qu’il nous avait joué en 2002. Après la récession de 2001, les Etats-Unis avaient effectivement redémarré dès 2002, tandis que la zone euro avait continué de ralentir en 2002 et 2003 pour rebondir très timidement et enfin plus franchement à partir de la fin 2005. Mais, bon ne soyons pas trop exigeants : compte tenu des risques de U et de L qui nous menacent, un « W » sera pour une fois le bienvenu.…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Japon : la déflation encore et toujours.

Après déjà quinze de déflation quasiment ininterrompue, la deuxième économie mondiale reste empêtrée dans ce qui constitue la plus grave crise économique de son histoire. En effet, le modèle de croissance Japonais essentiellement basé sur la vigueur des exportations subit de plein fouet l’appréciation du yen et le ralentissement de la demande mondiale, notamment américaine.

Si fin 2007, le yen n’a jamais été aussi compétitif que depuis la fin de la crise asiatique de 1997, ce n’est plus le cas aujourd’hui. En effet, le yen constitue encore une valeur refuge en période de forte incertitude économique et de faible visibilité sur les marchés financiers. Tokyo se passerait bien de cet effet « d’aversion pour le risque » alors que les autres monnaies de la région piquent du nez en raison de leurs mauvaises performances économiques et de leurs coûteux plans de relance. Le dollar a ainsi perdu 28 % contre le Yen depuis fin juin 2007 et l’Euro a perdu 32 % contre la devise nipponne depuis juillet 2008.

Le Yen s’apprécie face au dollar et face à l’Euro

Pis, les principaux pays développés sont désormais entrés en récession, notamment les Etats-Unis qui représentent le premier débouché commercial du Japon. La première économie mondiale doit faire face à une crise économique et financière massive et a donc fortement réduit ses importations. Les pays émergents, et notamment la Chine qui ralentit nettement, ne peuvent malheureusement pas prendre le relais.

De fait, après avoir chuté de 26,7% en glissement annuel au mois de novembre 2008, les exportations Japonaises ont atteint un plus bas historique avec une baisse de 35% au mois de décembre portant le déficit commercial à 322 milliards de yen (2,8 milliards d’euros). De plus la consommation des ménages (55% du Produit Intérieur Brut) qui a chuté de 4,6% en glissement annuel au mois de Décembre 2008 ne parvient pas à compenser la chute des exportations. Cela étant notamment dû au vieillissement aggravé de la population.

Les chiffres économiques sont très alarmants pour l’état de santé de l’économie japonaise. Ainsi, au mois de décembre, le taux de chômage a atteint 4,4%, les ventes au détail ont chuté de 2,7% en glissement annuel et la production industrielle a enregistré en décembre une chute record de 20,6% depuis un an et de 9,6% depuis le mois de novembre. Quant aux ventes de véhicules, l’un des fleurons de l’économie japonaise, elles ont chuté de 27,9% en glissement annuel au mois de janvier 2009.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que le Produit Intérieur Brut japonais ait chuté de 1,4% au deuxième trimestre et de 0,7 % au troisième trimestre, signifiant que le Japon est officiellement entré en récession technique.

De plus, la hausse des prix à la consommation en glissement annuel (hors énergie et alimentation) n’étant que de 0,2%, le spectre du retour de la déflation se précise. Or, dans une telle situation, outre le glissement annuel négatif des prix, l’offre devient supérieure à la demande, générant des faillites d’entreprise et une forte hausse du chômage…

L’économie japonaise tourne au ralenti depuis le début des années 90 puisque face à l’éclatement de sa bulle immobilière et face à la crise bancaire, le Japon avait fortement baissé ses taux d’intérêt et augmenté sa masse monétaire sans parvenir à relancer la consommation. En effet, les ménages anticipant une remontée des taux d’intérêt conservaient un maximum de liquidités et l’activité économique qui a suivi un scénario en L n’a jamais redémarré. Devant composer avec un yen fort et ne pouvant plus utiliser l’arme monétaire puisque les taux sont à 0,10 %, le Japon n’a pas d’autre choix que de procéder à des plans de relance.

Ainsi, le Japon multiplie les mesures de soutien (73 milliards d’euros en faveur des PME en Août 2008, 207 milliards d’euros en faveur des PME et des ménages en Octobre 2008, 102 milliards d’euros en faveur des banques en décembre 2008). Enfin, le 22 janvier, la Banque du Japon a annoncé un plan de rachat de billets de trésorerie aux entreprises pour un montant de 26 milliards d’euros.

Les plans se succèdent donc sans que le Japon ne voit pour l’instant le bout du tunnel. Dans ces conditions, la croissance nippone devrait être nulle en 2009 et la Chine, qui vient de souffler la troisième place à l’Allemagne au classement des économies mondiales, pourrait prochainement devancer le pays du soleil levant.

Jérôme Boué


Et les marchés dans tout ça ?

BCE : le mépris continue.


Le dicton de bon sens est pourtant bien connu : il ne faut jamais remettre à demain ce que l’on peut faire la veille. Malheureusement, bien loin de la sagesse populaire et conformément au mépris qu’elle pratique depuis tant d’années à l’égard des entreprises et des particuliers, la BCE continue de prendre son temps.

Non content d’avoir augmenté son taux refi en juillet dernier en pleine récession de la zone euro, geste irresponsable pour lequel il ne s’est d’ailleurs jamais excusé, Jean-Claude Trichet a donc bien décidé d’attendre la publication des chiffres du PIB eurolandais du quatrième trimestre 2008 pour réagir.

Le pire est que la décision de baisser le taux refi de 50 points de base est, selon ses insinuations, déjà prise. Alors pourquoi attendre, alors que tout le monde sait déjà que le PIB eurolandais a reculé d’environ 1 % au quatrième trimestre, signant ainsi son troisième trimestre consécutif de baisse, et que toute inflexion de politique monétaire prendra six à neuf mois pour agir sur l’activité ?

Lorsque l’on sait que la grogne sociale monte de plus en plus dans de nombreux pays eurolandais, lorsque l’on voit que le chômage flambe et enfin que les spéculations sur l’explosion de la zone euro sont croissantes, cette stratégie apparaît extrêmement dangereuse.

En outre, à force de tarder à réagir, la déflation risque de s’installer durablement dans la zone euro et alors il sera encore plus difficile d’inverser la tendance. C’est d’ailleurs ce que nous apprend l’Histoire économique, tant lors du krach de 29 que de la crise japonaise des années 90.

A chaque fois, le raisonnement des banques centrales est le même : il ne sert à rien de se précipiter, mieux vaut attendre d’avoir la confirmation de la déflation. Seulement voilà, une fois que cette dernière est enclenchée elle s’auto-entretient, rendant ensuite inefficace toute baisse des taux directeurs, même à zéro.

Ce cercle pernicieux destructeur passe par deux voies essentielles. D’une part, la déflation signifie une situation où l’offre est supérieure à la demande. Dès lors, la première doit s’ajuster à la seconde, d’où une réduction de la production, une augmentation des faillites d’entreprises et in fine une flambée du chômage qui réduira donc la demande, aggravant par là même la déflation.

D’autre part, lorsque la déflation sévit, les taux d’intérêt réels augmentent et avec eux le coût de la dette. Dès lors, les débiteurs sont contraints de vendre leurs actifs pour rembourser leurs dettes, ce qui augmente l’offre et alimente à nouveau la déflation. La défiance redouble alors, réduisant à peau de chagrin les chances de réussite d’une relance budgétaire.

Un manque de réactivité très dangereux.

La zone euro est, au surplus, concernée par un risque croissant : celui d’une sortie de certains pays. En dépit d’une très légère baisse, ces derniers jours, les spreads de taux d’intérêt à dix ans sur les obligations d’Etat vis-à-vis de l’Allemagne restent conséquentes pour la Grèce, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie et, certes dans une moindre mesure, la France.

Le mobile de cette spéculation est malheureusement simple : si la récession dure trop longtemps, certains pays déjà très fragilisés devront relancer leur économie par tous les moyens. Or, s’ils ne peuvent plus augmenter leurs déficits parce que déjà trop imposants, s’ils ne peuvent pas compter sur une politique monétaire adéquate et réactive, ils n’ont d’autres choix que d’essayer de retrouver l’espoir au travers du taux de change. En retrouvant leur ancienne devise, ils seront certes discrédités à court terme sur la scène internationale mais, à l’instar de l’Argentine au début des années 2000, pourront retrouver une forte dose de compétitivité prix et rembourser leur dette en monnaie de singe.

Et ne nous leurrons pas : si un pays sort de la zone, la boîte de pandore sera ouverte et la pérennité de la zone euro sera inévitablement remise en question…

Pour éviter ce triste scénario, il faut donc baisser le taux refi à 1 % dès que possible, permettre par là même une baisse de l’euro au moins vers 1,10 dollar pour un euro et engager un plan de relance à l’échelle de la zone.

Une question demeure alors : nos dirigeants politiques et monétaires seront-ils à la hauteur de ces défis ?

Marc Touati



Les évènements à suivre du 9 au 13 février :

Le PIB eurolandais accentue sa chute.


Aux Etats-Unis, on suivra le déficit commercial américain qui devrait se réduire au mois de décembre ce qui indique qu’une révision haussière du PIB pourrait avoir lieu lors de la prochaine estimation le 27 février prochain. On suivra également les ventes au détail qui devraient se stabiliser en janvier après six mois consécutifs de baisse.

Dans la zone euro, on suivra la publication des comptes nationaux du quatrième trimestre qui devrait se dégrader fortement. On suivra notamment la nouvelle baisse du PIB en France (qui marquera donc l’entrée en récession technique de l’hexagone), ainsi que l’aggravation de la situation économique outre Rhin.

Mercredi 11 février, 14h30 (heure de Paris) : le déficit commercial américain se réduit au mois de décembre.

Alors que les prix du pétrole continuent de reculer (divisés par 5 depuis leur plus haut de juillet 2008), diminuant d’autant le montant de la facture énergétique à l’importation des États-Unis, on devrait assister à une réduction du déficit commercial au mois de décembre, de 40,4 à 37 milliards de dollars. Cette réduction du déficit commercial, si elle se confirme, entraînerait une contribution positive du commerce extérieur à la croissance du PIB au 4ème trimestre, alors que cette contribution est actuellement quasiment nulle puisque les exportations ont reculé de 19,7%, a