Banque-finance : la sidérurgie des années 80…

Dire qu’il y a encore quelques trimestres, le monde bancaire et de la finance constituait la voie royale de la réussite professionnelle. A tel point qu’elle faisait rêver de nombreux étudiants en quête de succès rapide et rémunérateur. A l’évidence, qu’ils soient ingénieurs, mathématiciens ou tout simplement universitaires, ces ex aficionados de la finance vont devoir changer leurs plans ou du moins revoir leurs prétentions à la baisse. En effet, après avoir fait l’objet de toutes les convoitises et de tous les superlatifs professionnels, le secteur de la banque-finance est en train de devenir la sidérurgie des années 80.

Les « performances » boursières des principales banques cotées sont d’ailleurs sans appel, c’est-à-dire catastrophiques. Certes, il faut aussi souligner que la France n’a pas connu de faillite de banques. Pour autant, il faut rappeler que si cela ne s’est pas produit, c’est tout simplement parce que les activités de marchés ne représentaient qu’environ 25 % de l’activité bancaire hexagonale. Autrement dit, après avoir été souvent traitée avec mépris par de trop nombreux cadors des marchés, la banque de détail a finalement permis de sauver l’ensemble du système bancaire français, voire mondial.

Du moins pour le moment. Car, jusqu’à encore récemment, les banques ont été dopées à l’activité de marchés. Plus précisément, c’est parce que certaines activités de marchés à fort effet de levier réalisaient des RoE (taux de rendement) de 25 % à 40 % que les banques pouvaient pavoiser et reléguer la banque de détail, avec un RoE « d’à peine » 8 à 10 %, au rang « d’épicier de la finance ». D’où les différences de salaires conséquentes qui existaient entre les acteurs de ces deux types d’activité.

Depuis la crise des subprimes et surtout la faillite de Lehman Brothers, avec les conséquences cataclysmiques qui en ont découlé, ce sont désormais les « épiciers » qui donnent le “la” ou, autrement dit, la finance traditionnelle qui reprend le dessus sur la finance complexe et souvent irresponsable. Bien entendu, il ne faut pas être manichéen. Les banques ont à la fois besoin de leurs activités de crédits et de leurs activités de marchés. Cependant, ces dernières avaient tendance à représenter une part trop importante dans le bénéfice des banques. Si bien qu’à présent qu’il faut réduire au maximum ce type d’activités anciennement très lucratives, les banques doivent réinventer leur business model. Selon certains, l’irresponsabilité de trop nombreux patrons de banques a été tellement forte que seuls les Etats vont pouvoir sauver le système, en montant au capital des banques, ce qui constituera une nationalisation rampante. C’est par exemple ce que fait aujourd’hui le gouvernement britannique avec la Royal Bank of Scotland.

En France, nous n’en sommes pas encore là, mais le gouvernement a déjà réussi à imposer aux patrons de banques de faire une croix sur leurs bonus. Il est clair que, d’un point de vue moral, cette décision apparaît tout à fait justifiée. On se demande même pourquoi les actionnaires des banques en question continuent à faire confiance à des dirigeants qui ont laissé faire l’impensable, entraînant ainsi des pertes substantielles et un plongeon massif du cours de bourse. Mais, bon l’impunité de certains est monnaie courante dans l’Hexagone.

En revanche, l’ingérence de l’Etat dans des affaires privées commence à faire craindre le pire. En l’occurrence, la montée de celui-ci dans le capital des banques françaises et l’imposition d’un modèle de gestion étatique. Trois grands dangers en découlent. Primo, pour les actionnaires actuels des banques, cette entrée de l’Etat signifie une dilution du capital et la réduction des dividendes à peau de chagrin. Secundo, la gestion publique est loin d’être un modèle d’excellence, les affres du crédit lyonnais nous l’ont montré en leurs temps. Tertio, cette stratégie ne reviendrait qu’à transférer les risques du secteur bancaire privé vers le secteur public. Or, en France, la dette publique représente déjà 67 % du PIB (112 % avec le paiement des retraites des fonctionnaires) et les dépenses publiques devraient dépasser les 54 % du PIB dès le début 2009. Jusqu’où allons nous aller ? A la rigueur, si la dépense et la dette publique française étaient efficaces, c’est-à-dire qu’elles généraient plus de richesses qu’elles ne coûtent, le contrat pourrait être valable. Mais tel n’est malheureusement pas le cas.

En d’autres termes, si l’Etat a bien fait de sauver le système bancaire en apportant sa garantie, il ne doit certainement pas augmenter encore ses dépenses. Non seulement, parce qu’il n’en a pas les moyens. Et surtout parce que cela serait inefficace, voire contre-productif. N’oublions pas que, dans les années 80, l’Etat a essayé de renflouer à maintes reprises la sidérurgie.

Mais, en vain, car cette dernière était vouée à disparaître ou du moins à se restructurer. Même si elle ne pourra évidemment pas mourir complètement (car sans banques et sans marchés, il n’y a plus d’économie), il est clair que la banque-finance doit désormais se réformer de fond en comble et réinventer son mode de fonctionnement.

Cela passera notamment par une réduction massive de leurs activités de marchés complexes et au risque mal maîtrisé, donc par moins d’effets de levier, des profits moins élevés, d’où un retour en grâce des activités de crédit.

Enfin, ce mouvement de restructuration passera aussi par des fusions-acquisitions, des OPA et des redéploiements internationaux. Ce qui, in fine, redonnera ses galons à la banque-finance occidentale. Il y a néanmoins un hic : rien ne garantit que ces fusions et OPA seront dirigées par des Européens, des Japonais ou des Américains. En plus de geler leurs bonus, les patrons de banques risquent donc de devoir apprendre… le mandarin…

Marc Touati