Récession et BCE : quid de 2009 ? (E&S n°65)

L’humeur :

Euroland : la récession, et après ?

De mal en pis. Après être entrée en récession dès le printemps 2008, soit bien avant la panique bancaire et boursière de septembre-octobre, la zone euro ne présente aucun signe de redémarrage à court terme. Ainsi, après avoir déjà plongé de 31,6 points entre l’été 2007 et octobre 2008, l’indice de sentiment économique calculé par la Commission Européenne pour l’ensemble de l’Euroland en a encore perdu 5,1 sur le seul mois de novembre.

Avec un niveau de 74,9, cet indicateur avancé de la croissance eurolandaise atteint ainsi un plus bas depuis août 1993. Dans ce cadre, le glissement annuel du PIB de la zone euro devrait passer de 2,1 % au premier trimestre 2008 à – 0,7 % au quatrième trimestre 2008 ou, au plus tard, au premier trimestre 2009.

La zone euro s’enfonce dans une récession historique

Comme le montre le graphique ci-dessus, la corrélation entre la variation annuelle du PIB et l’indicateur de sentiment économique est presque parfaite, le second annonçant la première avec environ six mois d’avance. C’est d’ailleurs pourquoi nous annoncions dès le début 2008 que la récession était fort probable. Malheureusement, malgré ces évidences, la BCE a refusé de baisser ses taux et les a même augmenté en juillet, les investisseurs ont continué de faire flamber l’euro et les dirigeants politiques eurolandais n’ont également rien vu venir. Autant d’erreurs qui ont évidemment aggravé la situation économique de la zone.

Dès lors, l’exacerbation de la crise financière n’a fait qu’enfoncer un peu plus le clou, installant l’Euroland dans sa plus grave récession depuis 1993.

La question est alors de savoir si les dirigeants monétaires et politiques eurolandais vont tirer les leçons de leurs erreurs très récentes ou bien s’ils vont continuer de se voiler la face.

Selon toute vraisemblance, la première solution devrait enfin l’emporter. C’est du moins ce que laissent penser les déclarations des responsables de la BCE et les annonces des principaux gouvernements de la zone. Dans ce cadre, la BCE devrait abaisser son taux refi à 2 % au plus vite, l’euro devrait se stabiliser autour des 1,20 dollar et des plans de relance budgétaire devraient être mis en place dans l’ensemble des pays de la zone d’ici le début 2009.

Dans la mesure où ces évolutions mettront environ six mois pour agir sur l’activité, la zone euro est donc condamnée à passer l’hiver en récession avant un timide et progressif rebond à partir de l’été prochain. Autrement dit, elle connaîtra une récession de plus d’un an, c’est-à-dire une récession historiquement longue.

En outre, il ne faudrait pas que les dépenses publiques viennent simplement colmater les brèches sans efficacité économique, car n’oublions pas que la seule relance efficace est celle qui engendre une accélération des investissements des entreprises, seuls à même de relancer l’emploi et le pouvoir d’achat. A l’inverse, un déficit qui se contente d’augmenter les dépenses de fonctionnement est par définition voué à l’échec.

L’Euroland est donc gravement malade et il ne faudra surtout pas se tromper de traitement, sous peine d’engager une rechute qui serait certainement fatale.

 

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La récession vous va si bien…


Les statistiques publiées cette semaine des deux côtés de l’Atlantique ont confirmé la poursuite de la détérioration de la conjoncture et la faiblesse des perspectives d’activité pour les mois à venir.

Ainsi, aux États-Unis, cette semaine de Thanksgiving a apporté son lot de statistiques relatives au marché immobilier et le moins que l’on puisse dire est que le mouvement de dégonflement de la bulle qui s’était créée au cours des années précédentes n’est pas terminé, puisque les principaux indicateurs continuent à reculer à des plus bas ou de stagner près de ces mêmes plus bas.

En effet, les ventes de logements existants sont ressorties en baisse en octobre, de retour sous le niveau des 5 millions annualisé (4.98 millions), juste au-dessus du plus bas atteint en juin dernier (4.85 millions) et en baisse de 31 % par rapport à leur pic de septembre 2005.

Les ventes de logements neufs, quant à elles, ont confirmé l’effondrement de l’activité dans la construction et le neuf déjà souligné la semaine dernière par la chute des mises en chantier et des permis de construire. Elles ont en effet atteint un plus bas depuis janvier 1991, à 433 000, et leur prix de vente est encore en baisse de 7 % par rapport au même mois de l’année dernière.

La publication de plusieurs indices de prix immobiliers a également confirmé la tendance baissière des prix de vente, alors que les demandes hebdomadaires de crédits restaient juste au-dessus de leur plus bas depuis début 2001. Autant de signes qui suggèrent que le marché immobilier américain n’en a pas fini avec sa forte correction.

Autre secteur particulièrement touché par le brutal ralentissement de l’activité, l’industrie est en train de subir la chute brutale de l’investissement des entreprises alors que celles-ci ajustent leurs capacités de production au net ralentissement de la demande finale déjà constaté et qui va se prolonger jusqu’en 2009, comme elles le font avec leur force de travail.

Ainsi, les commandes de biens durables ont chuté de 6.2 % au mois d’octobre, après une baisse de 0.2 % en septembre, soit un rythme de baisse de 11.7 % en glissement annuel. Si la chute des commandes de voitures (-4.5 %) et d’avions civils (-4.7 %) explique en partie ce recul, même hors commandes de matériel de transport, les commandes de biens durables ont fortement reculé en octobre : -4.4 % après – 2.3 % en septembre et –4.2 % en août. Les commandes de machines (-6.8 %), d’électronique & informatique (-2.4 %), de matériel électrique (-5.3 %) ou de métaux de base (-12.6 %) se sont toutes nettement repliées. L’ampleur du ralentissement est confirmée par la chute de l’indice Chicago PMI, qui mesure l’activité industrielle dans la région de Chicago et qui a reculé à son plus bas niveau depuis 1982, à 33.8, bien en dessous du niveau de 50 qui marque la limite entre expansion et contraction de l’activité.

Avant la publication, la semaine prochaine, des ISM manufacturier et non-manufacturier et du rapport sur l’emploi du mois de novembre, il ressort donc clairement que l’activité est en train de ralentir brutalement au sein de l’économie américaine, avec un recul concomitant des dépenses des ménages (encore en baisse de 0.5 % en volume en octobre, soit un cinquième mois consécutif de recul) et de l’investissement des entreprises qui aura certainement comme effet de provoquer un recul nettement plus marqué du PIB au quatrième trimestre que celui enregistré au troisième trimestre (-0.5 %, légèrement révisé en baisse contre –0.3 % pour l’estimation préliminaire).

Adrien Pichoud



Et les marchés dans tout ça ?

Quelles politiques monétaires en 2009 ?


Le 4 décembre prochain, nous saurons si oui ou non la BCE va enfin se décider à regarder la réalité en face et à baisser ses taux directeurs en conséquence.

Certes, après avoir réalisé l’une des plus belles erreurs de politique monétaire des vingt dernières années en augmentant son taux refi en juillet dernier, c’est-à-dire en pleine récession eurolandaise, la BCE a commencé à changer de stratégie.

Ainsi, en pleine débâcle boursière et risque systémique, elle a abaissé son taux refi de 50 points de base le 8 octobre dernier, avant de renouveler l’opération le 6 novembre. C’est bien. Mais c’est évidemment hautement insuffisant. D’abord, parce que la récession eurolandaise a débuté dès le printemps dernier et que l’inflation ne cesse de reculer depuis août.

Ensuite, l’assouplissement monétaire de la BCE paraît bien peu ambitieux lorsqu’on le compare à ceux menés outre-Manche et outre-Atlantique. Ainsi, faut-il rappeler que le taux de base de la Banque d’Angleterre a été ramené de 5 % le 7 octobre dernier à 3 % depuis le 6 novembre ?

Et ce alors que, même si le Royaume-Uni est davantage soumis aux risques financiers que la zone euro, la récession (c’est-à-dire la fameuse succession de deux trimestres consécutifs du PIB) n’a toujours pas été constatée outre-Manche.

Une BCE toujours très en retard.

Source : Bloomberg

 

De même, faut-il rappeler que, dès septembre 2007, la Réserve fédérale a réduit ses taux directeurs, amenant finalement son taux objectif des federal funds à 1 % depuis le 29 octobre ? Et ce alors que, là aussi, la récession n’a toujours pas été observée aux États-Unis et que le PIB américain n’a pour l’instant reculé que de 0,13 % au troisième trimestre, alors que le PIB eurolandais a baissé de 0,4 % au cours des deux derniers trimestres.

A ce sujet, il faut d’ailleurs souligner que la Réserve fédérale américaine a peut-être été un peu trop loin. N’oublions pas que l’une des grandes erreurs d’Alan Greenspan a été de réduire le taux des fed funds à 1 % en 2003 alors que la reprise économique avait commencé dès 2002.

Autrement dit, s’il est suicidaire de maintenir des taux directeurs trop élevés en phase de récession, il est également dangereux de mettre trop de carburant dans une économie convalescente.

Voilà pourquoi, comme nous le faisons régulièrement, il nous paraît opportun de se pencher sur les niveaux actuels des taux Taylor, c’est-à-dire les niveaux de taux directeurs optimaux en fonction de l’évolution de la croissance et de l’inflation. Ainsi, selon cette règle qui, rappelons-le, est généralement extrêmement bien suivie outre-Atlantique, le taux optimal des fed funds serait de 1,85 % pour 2009. Autrement dit, la politique monétaire de la Réserve fédérale est actuellement trop accommodante. A l’inverse, le taux de base de la BoE serait idéalement de 1,5 %. Quant au taux refi de la BCE optimal, il avoisine les 1,1 %.

Cela signifie donc que la BoE et la BCE disposent d’une marge d’assouplissement monétaire encore considérable. Mais si la Banque d’Angleterre devrait l’utiliser en grande partie, la BCE risque d’être une fois encore trop restrictive. Toujours est-il que, même si elle baisse son taux refi à 2 % d’ici le printemps prochain (comme nous l’anticipons), cela constituera un exploit pour nos dirigeants monétaires. Cela permettra simplement à la croissance eurolandaise de redémarrer vers les 1,5 % fin 2009, puis les 2 % début 2010. Ce qui apparaîtra alors bien trop fort à la BCE. N’oublions pas en effet qu’en décembre 2005, cette dernière a entamé sa phase de resserrement monétaire parce que la croissance économique commençait à devenir trop forte à ses yeux. Elle n’était alors que de 2,1 %…

 

Marc Touati


 

Des taux Taylor toujours très instructifs

* L’objectif d’inflation de la Fed est l’inflation hors énergie et produits alimentaires (core CPI)



Les évènements à suivre du 1er au 5 décembre:

Nouvelle détente monétaire des deux côtés de la Manche.


Aux Etats- Unis on suivra les indices ISM des directeurs d’achats dans l’industrie manufacturière et dans les services de novembre. Ces indices demeureront largement sous la barre de 50 (frontière entre l’expansion et la contraction de l’activité), confirmant que les Etats-Unis continuent de subir une forte contraction de leur activité. On suivra également le taux de chômage américain qui devait demeurer à un niveau élevé.

En Europe, on suivra la baisse des taux directeurs de la BoE et de la BCE. La zone euro doit faire face à la pire récession de son histoire depuis les années 70 et l’activité s’effondre au Royaume-Uni. De fait, l’inflation qui baisse significativement n’étant plus la principale menace, la BoE et la BCE en tirerons les conséquences en abaissant leurs taux de 50 bp chacune.

 

Lundi 1 décembre, 16h (heure de Paris) : L’indice ISM des directeurs d’achats de l’industrie manufacturière aux Etats- Unis reste très faible en novembre.

Après une chute brutale observée au mois de septembre de 49,9 à 43,5 et après avoir atteint un plus bas historique en octobre à 38,9, l’indice ISM manufacturier restera très faible mais quasiment stable en Novembre (38). Et ce notamment parce que la baisse des cours du baril devrait contrecarrer le mouvement de défiance ambiant. Nous resterons néanmoins sous la barre des 50, indiquant que la contraction de l’activité industrielle n’est pas terminée.

 

Mercredi  3 décembre, 16h : L’indice ISM non manufacturier aux Etats-Unis demeure aussi sous les 50.