La récession partout, sauf en France. Merci qui ? (E&S n°63)

L’humeur :

Bush + Trichet : les « Bushet » de l’année.

Comme chaque fin d’année, les rédactions des grands journaux de la planète phosphorent pour décerner le titre d’homme de l’année. Ce dernier n’est pas forcément un bienfaiteur de l’humanité mais est généralement celui qui a le plus marqué les esprits de par ses actions. Ainsi, en 2001, les deux hommes qui reçurent ce « prix » furent George Bush et Ben Laden, pour les tristes raisons que nous savons. L’an passé, le Financial Times décerna ce titre à Jean-Claude Trichet pour avoir refusé de baisser ses taux d’intérêt et avoir annoncé avant tout le monde que l’hyperinflation était à nos portes et allait déferler sur l’Euroland en 2008. Pour cette année, nous leur conseillons de nommer un nouveau duo, en l’occurrence le charismatique George W. Bush et le formidable Jean-Claude Trichet. En effet, par leur clairvoyance et leur professionnalisme, ces deux personnalités ont permis à l’année 2008 d’être l’une des plus exceptionnelles en matière de catastrophe économique et financière.

Ainsi, alors qu’elle avait pourtant réussi à faire voter son plan de relance budgétaire de 160 milliards de dollars au printemps, l’administration Bush a laissé faire faillite la quatrième banque d’affaires américaine Lehman Brothers, entraînant dans son sillage l’ensemble de la planète financière dans sa crise la plus grave depuis 1929 et suscitant par là même un risque important de forte récession. Certes, comme nous l’écrivions à l’époque (cf. notre Réaction du 15 septembre : « Une journée en enfer »), casser le principe du « Too big to fail » faisait comprendre aux banques américaines qu’elles devaient désormais jouer franc jeu et faire preuve de la plus grande transparence possible. Autrement dit, ce risque aurait pu en valoir la chandelle et devenir même salutaire, si et seulement si la faillite de Lehman Brothers avait été préparée, de manière à limiter les impacts collatéraux sur les banques partenaires et sur l’ensemble des places financières internationales

Mais il n’en a rien été. Aussi, pour avoir refuser de dépenser quelques milliards de dollars ou de permettre à la Fed de donner sa garantie à Barclays dans son rachat des activité de Lehman, l’Etat américain a dû et devra dépenser des centaines de milliards de dollars, auxquels il faudra d’ailleurs ajouter les trillions des Etats européens et asiatiques. Bref, pour faire pire, cela aurait été difficile. Pourtant, les Républicains américains y sont quand même parvenus en refusant la première mouture du plan de sauvetage des banques de 700 milliards de dollars. Les marchés ont alors de nouveau plongé. Si bien que l’adoption de la deuxième version du plan n’a eu que peu d’impact sur ces derniers. Le ressort était cassé et il faudra attendre que les cours boursiers atteignent des abysses avant d’enregistrer une variation corrective.

Mais ce n’est pas tout. Car, pour obtenir son titre d’homme de l’année, George Bush a pu compter sur un soutien de poids en la personne d’Henry Paulson. Sans vergogne, celui-ci a ainsi déclaré la semaine dernière que, finalement, son plan de sauvetage n’était pas si bon et qu’il serait plus opportun que l’Etat américain monte directement dans le capital des banques plutôt que de racheter leurs créances toxiques. Dans la mesure où le soutien est désormais encore plus fort que prévu initialement, il s’agit donc d’une bonne nouvelle, que les marchés ont pourtant boudée. En effet, ce que récusent avant tout ces derniers, c’est la volte face des dirigeants et l’incertitude. Or, au travers de ce retournement de veste, les marchés, déjà immergés par le pessimisme, se disent qu’il y a peut-être encore d’autres cadavres dans les placards, et c’est reparti pour un tour de Bear market. Et pour ne rien arranger, la zone euro est, comme nous l’annonçons depuis le début de cette année, en train de plonger dans une récession durable.

Bien entendu, la crise financière sera souvent présentée comme le coupable idéal. Mais il n’en est rien. Et pour cause : si la crise des subprimes a bien débuté en août 2007, la débâcle financière a commencé le 15 septembre 2008. Donc juste quinze jours avant la fin du troisième trimestre. Autrement dit, même si la faillite de Lehman n’avait pas eu lieu, le PIB eurolandais aurait également reculé au troisième trimestre. Le pire réside dans le fait que c’est justement au quatrième trimestre que les principales conséquences néfastes de la crise financière vont se produire. Autrement dit, la zone euro est bien en train de connaître sa plus grave récession depuis 1993 et certainement depuis le premier choc pétrolier. A tel point que les risques d’hyper-inflation tant avancés par notre Jean-Claude Trichet transnational se sont transformés en risques de déflation…

Face à ce marasme, les déclarations des dirigeants politiques et monétaires allemands et eurolandais d’il y a quelques mois résonnent avec fracas : Ne nous disaient-ils pas encore début juillet que les risques sur la croissance étaient faibles et qu’il fallait donc augmenter le taux refi de la BCE ? Et ce, alors que, la baisse du PIB allemand et eurolandais avait commencé depuis le printemps. Mais ce n’est pas tout, car bien loin d’admettre ses erreurs et de s’excuser, le Président de la BCE n’hésite pas à annoncer (par exemple dans le Financial Times du 13 novembre) qu’il avait prévenu le monde des dangers qui menaçaient la finance et la croissance de la zone euro. C’est certainement pourquoi il a tant souhaité augmenter les taux en juillet dernier.

A l’évidence, à l’heure où l’on cherche des coupables pour expliquer les déboires actuels, les dirigeants politiques et monétaires de la zone euro ont une part de responsabilité conséquente. Le problème réside dans le fait qu’ils n’ont même pas le courage de se remettre en question. Ils ont d’ailleurs fait les mêmes erreurs en 2002, voire pour les plus anciens, au début des années 1990. Mais non, l’impunité fonctionne très bien pour certains…

En outre, si George Bush va rejoindre son ranch en janvier prochain et ne nous gratifiera plus de sa maestria, le mandat de l’ami Jean-Claude ne se termine qu’en 2011. Il aura donc encore le loisir de nous dispenser ses bienfaits et peut-être même de devenir pour une troisième fois l’homme de l’année…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La récession s’installe partout en Europe, sauf en France.


Ca y est c’est officiel : le PIB eurolandais a reculé de 0,2 % au troisième trimestre, confirmant par là même que la zone euro est bien entrée en récession dès le deuxième trimestre 2008.

Après l’Irlande qui a été le premier de la zone à entrer en récession dès le premier trimestre, l’ensemble de la zone est désormais concerné. A commencer par l’Allemagne et l’Italie, dont les PIB ont identiquement baissé de 0,4 % au deuxième trimestre, puis de 0,5 % au troisième.

En deux trimestres, le PIB allemand a donc chuté de 0,95 %, soit sa plus grave chute depuis la récession de 1993 (-1,2 %). Même la récession de la fin 95-début 96 n’était pas aussi grave puisque le PIB allemand avait alors reculé de 0,90 %. Pis, l’évolution récente des indices de l’enquête IFO montre que la récession allemande est loin de toucher à sa fin.

La baisse du PIB allemand n’est pas terminée…

Sources : IFO, Bundesbank

Avec une croissance zéro tant au deuxième qu’au troisième trimestre, les Pays-Bas ne sont pas très loin de cette triste situation.

Quant à l’Espagne, après avoir sauvé les meubles au deuxième trimestre (via une croissance de 0,1 %), son PIB a reculé de 0,2 % au troisième.

Le vrai drame réside dans le fait que rien ne permet d’imaginer une amélioration au quatrième trimestre 2008. En effet, c’est en octobre et novembre que les principaux dégâts économiques de la crise financière ont été enregistrés. Dès lors, même si un rebond a lieu en décembre, notamment grâce à la baisse des cours pétroliers, le quatrième trimestre devrait également consacrer une baisse des PIB allemand et eurolandais d’environ 0,2 %.

A l’instar de l’enquête IFO outre-Rhin, c’est également ce que montre l’évolution de l’indice de sentiment économique de l’ensemble de la zone euro, qui annonce même un glissement annuel du PIB eurolandais de – 0,5 % au quatrième trimestre, contre encore + 0,7 % au troisième.

…Celle de la zone euro non plus.

Source : Eurostat

Au-delà de la zone euro, il faut également noter qu’après une croissance zéro au deuxième trimestre, le PIB britannique a chuté de 0,5 %. Si bien que pour l’Union Européenne à 27, la croissance zéro du deuxième trimestre fait place à un repli du PIB de 0,2 %.

Dans ce contexte de crise généralisée, il y a néanmoins trois pays qui se distinguent. Deux « petits » pays : la Belgique et l’Autriche dont les PIB ont progressé de 0,3 % au deuxième trimestre et de 0,1 % au troisième et un « grand » : la France.

Ainsi, alors que l’ensemble de l’Europe sombre dans la récession, la France reste ce village d’Astérix qui résiste à la déprime. Formidable ! En effet, les magiciens, oh pardon les statisticiens de l’INSEE viennent de revenir sur leurs estimations d’il y a à peine un mois qui faisaient état d’une baisse de 0,1 % du PIB français au troisième trimestre pour la remplacer par une augmentation de 0,1 %.

Grâce à ce coup de baguette magique, Madame Lagarde va donc pouvoir surfer sur la vague de la morosité en annonçant que, techniquement, la France n’est pas entrée en récession, puisqu’elle n’a pas enregistré deux trimestres consécutifs de baisse de son PIB.

Bien entendu, pour nous qui faisons partie des plus optimistes sur la croissance française pour cette année et 2009, cette surprise reste une bonne nouvelle.

Néanmoins, elle doit être largement relativisée. Tout d’abord parce qu’en dépit du petit rebond du troisième trimestre, le PIB reste encore inférieur de 0,2 % à son niveau du premier trimestre. Ensuite, en atteignant 0,6 % au troisième trimestre, le glissement annuel du PIB se situe à un plus bas depuis le deuxième trimestre 2003.

De plus, même si elles sont en légère amélioration par rapport au deuxième trimestre, les variations de la consommation et de l’investissement demeurent très faibles (respectivement + 0,2 % et – 0,3 %)

En outre, le léger mieux du troisième trimestre ne présage en rien d’une nouvelle amélioration au quatrième trimestre. Et pour cause : l’ensemble des indicateurs avancés de l’activité (dans l’industrie, les services et la construction) font état d’une nette dégradation.

A ce sujet, l’enquête de l’INSEE sur l’investissement publiée également aujourd’hui indique que les industriels français anticipent une baisse de 3 % de leurs investissements en valeurs pour 2009. En d’autres termes, tout excès d’euphorie sur la surprise et l’exception française du troisième trimestre serait particulièrement déplacé.

Enfin, il ne faut pas oublier que l’augmentation du PIB n’est pas une fin en soi. En effet, le but de la croissance est avant tout de créer des emplois. Et c’est là où la petite hausse du PIB du troisième trimestre pose problème, car elle n’a pas empêché l’emploi de se contracter. Ainsi, après avoir déjà reculé de 0,2 % au deuxième trimestre, l’emploi salarié a encore baissé de 0,1 % au troisième trimestre.

France : la magie opère sur le PIB mais pas sur l’emploi.

Source : INSEE

Pis, si jusqu’à récemment, la baisse de l’emploi s’observait principalement dans l’industrie, elle est également visible dans les services pour le deuxième trimestre consécutif.

Si la récession technique n’est donc pas encore observable dans les chiffres du PIB, elle est donc déjà bien entamée au niveau de l’emploi, donc dans la réalité concrète des Français. C’est en cela que s’il ne faut certainement pas céder au pessimisme noir, il n’est pas possible de dire aux Français que la récession n’est qu’une invention car ils la vivent au quotidien depuis le printemps dernier.

Seule lot de consolation pour les ménages, les prix à la consommation ont reculé de 0,1 % en octobre dans l’Hexagone, affichant un glissement annuel de 2,7 %, un plus bas depuis décembre 2007.

Cette baisse s’explique évidemment par le recul des prix énergétiques (- 3,7 % sur le seul mois d’octobre). Dans ce cadre, compte tenu de la poursuite de la baisse des cours pétroliers mais aussi de l’ensemble des matières premières, ce repli devrait s’accentuer dans les prochains mois.

En outre, si les prix des services ont augmenté de 0,4 % en octobre, il faut noter que les prix des biens manufacturés ont stagné en octobre. Autrement dit, si la hausse des prix énergétiques a mis du temps à se répercuter sur les prix des autres biens manufacturés, la répercussion de la baisse est beaucoup plus rapide.

Dans ce cadre, l’inflation française devrait repasser sous les 2 % au plus tard en mars prochain.

Évidemment, il s’agit d’une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat des ménages. Mais seulement temporairement. Car, dans le même temps, la France est aussi affectée par un recul de son activité, qui devrait aggraver les destructions d’emplois enregistrées au deuxième trimestre et affaiblir par là même le moteur premier du pouvoir d’achat, en l’occurrence les salaires.

Ne l’oublions pas : le bon pouvoir d’achat n’est pas la résultante d’une faible inflation, qui va souvent de pair avec la morosité de l’emploi, mais le produit d’un emploi dynamique. Il faudra donc encore attendre, d’autant que la récession est en train de s’installer dans l’ensemble de la zone euro, même si la France semble y avoir échappé statistiquement.

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

Les taux longs repartent à la baisse.


En période d’incertitude et d’aversion au risque, il est tout à fait naturel de voir le marché obligataire jouer le rôle de valeur refuge pour les investisseurs. Depuis l’explosion de la bulle du crédit, à l’été 2007, les emprunts d’Etat sont donc logiquement devenus de plus en plus recherchés, entraînant les taux longs à la baisse.

Après s’être à nouveau replié au cours de l’été, les taux longs américains étaient repartis quelque peu à la hausse (c.f. graphique ci-dessous) mais l’actualité brûlante du mois écoulé a ravivé l’attrait des bons du Trésor. La combinaison de l’intensification de la crise financière, qui a vu les indices actions toucher des plus bas depuis 2003, et de l’aggravation de la crise économique a entraîné un repli des taux d’intérêt à long terme. Et ce d’autant que dans le même temps, la Fed, après une pause de 5 mois, a repris son cycle d’assouplissement monétaire, avec deux baisses de 50 pb du taux objectif des Fed Funds en moins d’un mois, pour ramener celui-ci à 1 % son plancher de 2003/2004.

Les taux longs US toujours proches de leur plus bas

Source : Bloomberg

Les nouvelles macro-économiques risquant d’être négatives pendant encore trois mois, les taux longs américains devraient se stabiliser autour de leurs niveaux actuels. En revanche, il est probable que cette situation évoluera au cours de la deuxième moitié de l’année 2009, dans la mesure où l’impact de la politique budgétaire très expansive que l’actuelle administration a déjà adopté (et que la prochaine accentuera encore certainement) commencera à se faire sentir. D’autant plus si l’ampleur de la récession a poussé la Fed à finalement créer de la monnaie afin d’éviter le risque de déflation. Une sortie de récession par l’inflation aura en effet inévitablement un impact haussier sur les taux longs.

En Europe, le mouvement de baisse des taux longs a été encore plus accentué au cours du mois écoulé, le taux du Bund à 10 ans atteignant un plus bas depuis mars 2006, à 3.63 % cette semaine. Cette détente des taux à long terme trouve sa source dans le changement de posture de la BCE qui, après avoir mis en avant le risque inflationniste tout au long de l’été, impliquant un biais haussier sur les taux courts et soutenant les taux longs, a finalement reconnu que le principal risque résidait dans le net ralentissement de l’activité alors que les tensions inflationnistes se dissipaient. Les deux baisses de 50 pb du taux de Refi décidées en octobre ont ainsi entraîné une nette détente des taux à long terme.

Il convient toutefois de noter que ce re