Attention l’Etat gère

Même si elle n’est pas encore terminée, la crise récente aura au moins permis à trois personnalités de tirer leur épingle du jeu. En l’occurrence Gordon Brown, Nicolas Sarkozy et Barak Obama. Du moins pour le moment, car l’environnement est tellement changeant que les premiers d’aujourd’hui, qui étaient les derniers d’hier, pourraient très bien le redevenir demain.

Mais au-delà des hommes, qui finalement ne font que passer et saisir ou non les opportunités qui se présentent, cette crise financière a surtout remis en selle l’interventionnisme massif de l’Etat dans l’économie. Certes, pourrait-on penser, il ne s’agit là que d’une répétition de l’histoire, puisque l’invention d’un Etat interventionniste en matière d’économie s’est produite au lendemain de la crise de 1929 au travers de l’essor du keynésianisme.

Pour autant, au contraire de ce que l’on pense souvent, Keynes n’était absolument pas un émule caché du marxisme ou un tenant d’un Etat surpuissant dans l’économie. Bien au contraire. Keynes n’a effectivement jamais remis en question l’efficacité de l’économie de marché et du libéralisme. Simplement, disait-il, le marché n’est pas parfait et, parfois, il ne parvient pas à atteindre l’équilibre. Le cas échéant, il a besoin d’un super acteur pour y parvenir. Aussi, lorsque la demande s’effondre et devient inférieure à l’offre, suscitant par là même une déflation, l’Etat doit intervenir pour sauver le système en soutenant la demande de manière à la ramener vers l’offre. Pour y arriver, la meilleure politique réside dans un policy mix qui allie augmentation des investissements, baisse de la pression fiscale et baisse des taux d’intérêt.

Cette relance génère alors un déficit public. Mais attention, ce dernier n’est que temporaire. Car, dès que la croissance redémarre, les recettes fiscales augmentent, permettant de financer les dépenses publiques de relance. Dans ce cadre, l’Etat peut alors réduire ses efforts et retrouver au mieux un excédent de ses comptes au pire un équilibre budgétaire. Ce qui lui permettra ensuite de relancer la machine en cas de nouveau ralentissement massif. Autrement dit, Keynes n’a jamais défendu l’idée d’un Etat surpuissant qui cumule des déficits publics pendant des décennies. C’est malheureusement ce qu’ont oublié la quasi-totalité des dirigeants français et européens depuis une trentaine d’années. D’ailleurs, depuis la fin des années 70, la France et l’Europe dans son ensemble n’ont jamais affiché d’excédent budgétaire. Dès lors, lorsqu’une crise se produit, leur marge de manœuvre devient par définition extrêmement faible.

Cela signifie que la plupart des Etats européens n’ont aujourd’hui plus les moyens de leurs ambitions. Certes, il était indispensable de sauver le système bancaire, à défaut de quoi le monde aurait connu un marasme dépassant nos cauchemars les plus fous ou alors les rêves les plus formidables des pessimistes invétérés. Sur ce point, il faut d’ailleurs souligner que, pour l’instant, ce plan de sauvetage a été peu coûteux pour les Etats, en particulier en France. Et pour cause : l’essentiel de ce plan porte sur la garantie des échanges interbancaires sur lesquelles les banques doivent payer des commissions conséquentes. Autrement dit, l’Etat pourrait en tirer profit.

En revanche, devant le succès de ces plans de sauvetage bancaire, les dirigeants politiques, à commencer par le Président de l’Union Européenne, se sont lancés dans une surenchère d’interventionnisme. Ainsi, les plans de soutien à l’activité se montent en dizaines et centaines de milliards d’euros ou de dollars dans la plupart des pays développés. Pis, la France s’est distinguée en annonçant que l’Etat prendrait des parts dans des entreprises privés qu’il gérerait en partie, tout en reprenant se politique d’emplois aidés.

Deux questions se posent alors. Primo, les dépenses publiques représentent déjà 54 % du PIB français, jusqu’où va-t-on aller ? Secundo, devant déjà gérer une dette publique qui atteint 65 % du PIB et 112 % avec le hors-bilan (c’est-à-dire le paiement des retraites des fonctionnaires), qui coûte environ 50 milliards d’euros chaque année pour le simple paiement des intérêts, comment l’Etat français va-t-il financer sa nouvelle frénésie dépensière ? Les réponses sont malheureusement simples. Nous sommes en train de passer d’un excès à l’autre. Certes, réglementer davantage les hedge funds et les paradis fiscaux était indispensable, mais de là à accroître encore le poids déjà exorbitant de l’Etat dans l’économie, il y avait un pas qu’il ne fallait pas franchir. Et ce d’autant qu’il n’est pas à prouver que l’Etat est l’un des plus mauvais gestionnaires qui soient.

Notre proche avenir est donc clair : le déficit public va flamber, vers les 4,5 % du PIB pour la France et 4 % pour la zone euro dès 2009. La dette publique va se rapprocher de la barre des 80 % d’ici 2010. Les taux d’intérêt obligataires vont donc augmenter, réduisant d’autant la croissance et condamnant la zone euro à une reprise molle. Et ce d’autant que pour essayer de limiter les dérapages budgétaires, les Etats européens n’hésiteront pas à augmenter une pression fiscale déjà exorbitante. Quant au problème du financement des retraites qui se posera à partir de 2012 et qui aggravera encore la dette publique, nous n’en parlerons pas car cela risquerait d’augmenter la consommation de Lexomil et le trou de la sécu avec. Bref, en laissant croire que l’augmentation des dépenses publiques réglera définitivement la crise actuelle, nous nous trompons dangereusement. Cela ne fera que déplacer le problème. La fuite en avant a tellement d’avantages, mais attention lorsque l’« Etat gère », on risque de se cogner…

 

Marc Touati