BCE, BoE, Etats-Unis : change we can (E&S n°62)

L’humeur :

BCE et BoE : Adieu le monétarisme.

Sans surprise, la BCE a donc abaissé son taux refi de 0,5 point. Avec un niveau de 3,25 %, celui-ci retrouve donc un niveau relativement accommodant.

Il aura donc fallu attendre la baisse du PIB eurolandais au deuxième trimestre, une crise financière sans précédent et la confirmation que la zone euro est engagée dans sa plus grave récession depuis 1993 pour que la BCE comprenne la gravité de la situation.

Mieux vaut tard que jamais, pourrait-on dire. Si ce n’est que, compte tenu d’un délai de six à neuf mois entre la baisse des taux et son impact sur l’activité, la zone euro est déjà condamnée à vivre dans la récession jusqu’à l’été 2009. Cela constituera donc une récession de plus d’un an, du jamais vu depuis le second choc pétrolier.

En outre, si certains pensent encore que la baisse des taux directeurs de la BCE va permettre de relancer le crédit à tout va et, avec lui, les excès de la bulle immobilière, il faut bien leur signaler qu’actuellement, la BCE n’a plus le choix : si elle ne continue pas de baisser le taux refi, elle engagera la zone euro dans une déflation, qui est, rappelons-le, le pire des maux en économie.

Car, autant il est possible de limiter une inflation liée à une surchauffe économique, par exemple en augmentant les taux d’intérêt, autant il n’est pas possible de sortir de la déflation sans un ajustement de l’offre à la demande, c’est-à-dire une augmentation des faillites, du chômage et du mal-être économique.

Voilà pourquoi la BCE ne doit surtout pas s’arrêter en si bon chemin. D’ailleurs, le taux Taylor qui mesure le taux optimal de la politique monétaire en fonction de la croissance et de l’inflation et qui était de 2 % dès le printemps 2008 est aujourd’hui de 1,4 %. Autrement dit, si la zone euro veut avoir une chance de sortir de la récession à l’automne prochain, il faut que le taux refi soit au moins ramené à 2 % d’ici l’été prochain. Telle est d’ailleurs notre prévision.

Mieux, il semblerait qu’après avoir été le chantre du monétarisme orthodoxe, Jean-Claude Trichet est peut-être en train de revenir vers une stratégie plus mesurée et plus pragmatique, à l’image de la posture adoptée par la Bank of England.

L’attitude de la Banque d’Angleterre depuis le début du mois suggère en effet qu’elle aussi a abandonné toute velléité monétariste et qu’elle a désormais bien mesuré l’ampleur du choc que subit l’économie britannique. Elle vient en effet d’abaisser son principal taux directeur, le taux repo, de 200 pb en moins d’un mois, avec la baisse conjointe de 50 pb décidée le 8 octobre et celle de 150 pb décidée hier. Le taux repo est ainsi, à 3.0 %, à son plus bas depuis les années 1950.

Malheureusement, compte tenu de la chute de l’activité au Royaume-Uni, un tel assouplissement monétaire est loin d’être un luxe et la Banque d’Angleterre sera certainement amenée à assouplir encore sa politique monétaire dans les mois à venir afin d’atténuer l’impact dévastateur du resserrement des conditions de crédit et de la chute de l’immobilier sur des ménages britanniques très endettés.

Espérons donc simplement que la BCE ne retrouvera pas ses vieux démons monétaristes et qu’elle fera bien tout pour sortir l’Euroland de la léthargie. Si tel est le cas, alors peut-être qu’après avoir lancé stoptrichet.com en juin dernier, nous lancerons yestrichet.com. C’est tout le mal que nous pouvons souhaiter à notre pauvre zone euro qui s’apprête à vivre une période bien difficile.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Etats-Unis : le chômage au plus haut depuis 1994


Le chômage s’emballe

Le rapport sur l’emploi de ce mois d’octobre était craint après la publication de plusieurs statistiques très inquiétantes ces derniers jours. Malheureusement, il s’est montré à la « hauteur » de ces craintes, puisque non seulement le nombre de destructions d’emplois non-agricoles a dépassé les attentes en octobre, mais les statistiques du mois de septembre ont en plus nettement été révisées. Ainsi, l’économie américaine a enregistré 240 000 destructions d’emplois en octobre (200 000 attendu), après 284 000 destructions en septembre (contre 159 000 précédemment estimé), soit les plus fortes destructions d’emplois mensuelles depuis la fin 2001. Tous les secteurs de l’économie, à l’exception de la santé et du secteur public, enregistrent un recul de leur nombre de salariés (-90 000 dans l’industrie, -49 000 dans la construction, -38 000 dans le commerce de détail, -24 000 dans la finance, -108 000 en tout dans les services, après 201 000 destructions dans ce secteur en septembre).

En conséquence, le taux de chômage bondit de 6.1 % à 6.5 % (6.3 % attendu), son plus haut niveau depuis 1994. Compte tenu des perspectives d’activité pour les trimestres à venir aux États-Unis, il devrait poursuivre sa progression, tout en sachant que le pic de 7,8 % de juin 1992 reste encore loin.

L’emploi chute et le chômage flambe

 

Les indices ISM plongent à des plus bas

Si la publication de l’ISM manufacturier du mois de septembre avait déjà constitué une indication de l’ampleur du ralentissement de l’activité économique, en particulier dans l’industrie, les statistiques du mois d’octobre sont venues confirmer le fait que les Etats-Unis étaient bien entrés dans grave crise de confiance. En effet, après avoir chuté de 49.9 à 43.5 en septembre, l’ISM manufacturier a encore reculé en octobre, à 38.9, son plus bas niveau depuis 1982. Tous les indicateurs de cette enquête se sont fortement dégradés : les nouvelles commandes (en baisse de 38.8 à 32.2), la production (de 40.8 à 34.1), les carnets de commandes (en baisse de 35.0 à 39.5), l’emploi (en baisse de 41.8 à 34.6)… Rappelons qu’un indice en dessous de 50 reflète une contraction de l’indicateur sous-jacent…

Ainsi, tous les voyants sont au rouge dans l’industrie américaine, et la production industrielle, qui a lourdement chuté en août et en septembre (respectivement –1.0 % et –2.8 %), risque encore de reculer dans les mois à venir. Cette récession industrielle augure d’un brutal ralentissement de la croissance du PIB dans les trimestres à venir, alors que la croissance de ce secteur très cyclique est fortement corrélée à celle de l’économie en générale (c.f. graphique ci-dessous).

L’industrie plonge encore

Mais le secteur des services, pourtant moins cyclique que l’industrie, est lui-aussi en train de subir de plein fouet la chute de la demande finale et en particulier de la consommation des ménages américains. Ainsi, alors que les ventes au détail s’inscrivent désormais en recul au cours des douze derniers mois (‑1.0 % en septembre), l’ISM non-manufacturier a plongé à un plus bas depuis sa création en 1997, à 44.4 en octobre (après 50.2 en septembre). Les nouvelles commandes (de 50.8 à 44.4), l’activité (de 52.1 à 44.2) ou l’emploi (de 44.2 à 41.5) se sont encore dégradés (rappelons encore qu’un indice en dessous de 50 reflète une contraction de l’indicateur sous-jacent).

Pour autant, n’oublions pas que ces enquêtes ont été menées en pleine panique boursière et bancaire et qu’elles n’intègrent aucunement les plans de sauvetage des banques, la forte baisse des cours pétroliers, la nouvelle baisse des taux directeurs de la Fed, ni bien entendu la victoire de Barack Obama.

Si le quatrième trimestre risque donc de consacrer une nouvelle baisse du PIB américain, des nouvelles meilleures devraient s’imposer à partir du printemps 2009.

Marc Touati et Adrien Pichoud


 

Les évènements à suivre du 10 au 14 novembre:

L’Europe entre officiellement en récession.


Après une semaine tournée vers les Etats-Unis, avec les nombreuses publications statistiques et l’élection présidentielle, la semaine prochaine aura une tonalité plus européenne, avec la publication de la première estimation de la croissance des pays de la zone euro au 3ème trimestre, jeudi et vendredi.

On suivra tout de même, aux Etats-Unis, la publication des ventes au détail du mois d’octobre et l’estimation préliminaire de la confiance des ménages pour novembre, vendredi, ainsi que la balance commerciale, jeudi.

 

Lundi 10 novembre 2008, 8h45 heure de Paris : la production industrielle recule encore en septembre

La production industrielle devrait enregistrer un nouveau recul au mois de septembre, de 0.5 % après la baisse de 0.4 % enregistrée en août et la hausse surprise de 1.4 % enregistrée en juillet. L’affaiblissement de la demande domestique, en France comme dans le reste de l’Europe, plonge l’industrie française dans ce qui semble devoir être la plus grave récession depuis (au moins…) celle du début des années 1990. Toutes les enquêtes d’opinion et d’activité (enquêtes INSEE, PMI manufacturier) laissent d’ailleurs présager d’une poursuite de la baisse de l’activité industrielle dans les mois à venir.

 

Mardi 11 novembre 2008, 11h00 : l’indice ZEW chute à un plus bas historique

Après avoir atteint un plus bas historique en juillet (à ‑63.9), l’indice ZEW des anticipations des investisseurs institutionnels et des analystes financiers sur l’évolution de l’économie allemande dans les six mois à venir avait légèrement rebondi en août/septembre, avant de revenir tout près de son plus bas en octobre, à –63.0. Compte tenu de la poursuite de la détérioration de l’environnement économique allemand et plus largement mondial, l’indice ZEW devrait reculer à un nouveau plus bas historique en novembre (‑65.0), alors que l’Allemagne semble être rentrée dans une forte récession (lire aussi ci-dessous).

 

Jeudi 13 novembre : le PIB allemand encore en baisse au 3ème trimestre

Confirmant les indicateurs observés au cours de l’été, la première estimation du PIB allemand au troisième trimestre devrait confirmer l’entrée en récession de la principale économie de la zone euro. En effet, après un recul de 0.5 % au 2ème trimestre, le PIB devrait s’être contracté de 0.4 % au 3ème trimestre, soit deux trimestres consécutifs de recul, une première depuis 2004. Ainsi, la croissance du PIB en glissement annuel reviendra à 0.7 %. Malheureusement, cette tendance, contrairement aux « légères » récessions qui ont touché l’économie allemande au début des années 2000 (en 2002/03 et en 2004), devrait se prolonger lors du 4ème trimestre 2008 et même certainement au début 2009. Le ralentissement de l’activité semble bien en effet être le plus fort depuis le début des années 1990.

Notons également que, ce même jour, l’Espagne publiera elle-aussi son PIB du troisième trimestre. Il est attendu en baisse de 0.2 %, après +0.1 % au 2ème trimestre.

 

Jeudi 13 novembre : le déficit commercial américain se réduit

Alors que les prix du pétrole ont continué à reculer, diminuant d’autant le montant de la facture énergétique à l’importation des États-Unis, on devrait assister à une réduction du déficit commercial au mois de septembre, de $59.1 mds à $57.0 mds. Cela devrait confirmer la contribution positive du commerce extérieur à la croissance du PIB du 3ème trimestre, estimée jusqu’à présent à +1.13 point de pourcentage. Ce chiffre fera l’objet d’une attention toute particulière car, en effet, un déficit commercial supérieur aux attentes pourrait entraîner une révision à la baisse du PIB US lors de la deuxième estimation, attendue le 25 novembre prochain (rappelons que, selon la première estimation, le PIB s’est contracté de 0.3 % au cours de l’été).

 

Vendredi 14 novembre : le PIB recule en France et dans la zone euro

Après l’Allemagne le jeudi, ce sera au tour de la France, de l’Italie et de la zone euro de publier leur première estimation du PIB pour le troisième trimestre. Comme en Allemagne, on devrait avoir la confirmation de l’entrée en récession « technique » (deux trimestres consécutifs de baisse du PIB) des trois principales économies de la zone euro (en attendant un recul du PIB espagnol au 4ème trimestre, qui ne fait guère de doute au vu de la récente flambée du chômage et du dégonflement de la bulle immobilière). Ainsi, le PIB français devrait avoir reculé de 0.1 % au 3ème trimestre, après –0.3 % au 2T. En Italie, le PIB a enregistré un recul estimé à 0.2 % au 3T08, après –0.3 % au 2T. En conséquence, le PIB de la zone euro devrait avoir reculé de 0.2 % au 3ème trimestre, comme le trimestre précédent, avec un taux de croissance en glissement annuel qui se rapproche de plus en plus de zéro (+0.6 % attendu au 3T08).

Vendredi 14 novembre : les ventes au détail américaines encore en baisse

Après trois mois consécutif de baisse, les ventes au détail devraient encore enregistrer un recul au mois d’octobre, alors que l’environnement économique continue à être désastreux pour les ménages américains : accélération de la hausse du chômage, poursuite de la chute de l’immobilier et du durcissement des conditions de crédit (tant immobilier qu’à la consommation), à quoi s’ajoute la chute des indices boursiers et les craintes suscitées par le système financier américain. Dans un tel contexte, il ne sera pas étonnant de voir les ventes au détail reculer encore en octobre, de 1.0 % (après –1.2 % en septembre). Hors transport, le recul attendu est moindre (-0.5 % après –0.6 % en septembre. Pas plus qu’il ne sera surprenant de voir l’indice de confiance des consommateurs de l’Université du Michigan chuter à un nouveau plus bas depuis 1980 pour l’estimation préliminaire de novembre, à 55.5 (après 57.6).

Marc Touati et Adrien Pichoud



Les prévisions économiques et financière d’ACDEFI :