Etats-Unis, Europe, Japon en ordre dispersé (E&S n°61)

L’humeur :

L’Oncle Sam fait de la résistance et l’Euroland plonge.

Pour le cinquième trimestre consécutif, l’économie américaine a encore évité le marasme que la grande majorité des prévisionnistes et observateurs économiques lui annoncent depuis l’été 2007.

Certes, avec une baisse du PIB de 0,3 % au troisième trimestre 2008, il n’y a évidemment pas de quoi sauter au plafond. Ceci dit, n’oublions pas que ce chiffre est mesuré en rythme annualisé, ce qui signifie que d’un trimestre sur l’autre, le PIB américain n’a reculé que de 0,06 %.

Certes encore, la consommation a baissé de 3,1 % en rythme annualisé sur cette même période et l’investissement de 1,9 % (-5,6 % pour les entreprises et encore – 19,1 % pour l’investissement logement des ménages).

Certes enfin, la croissance américaine a été sauvée par un moindre déstockage et par une contribution nettement positive du commerce extérieur (1,2 point).

Cependant, au-delà de ces points de relativisation, il faut reconnaître que la grave récession tant annoncée depuis plus d’un an n’a toujours pas eu lieu outre-Atlantique.

Évidemment, la résistance du troisième trimestre ne présage en rien de l’évolution du quatrième trimestre. Ainsi, au regard de l’évolution récente des indicateurs des directeurs d’achat dans l’industrie et de confiance des ménages, il est clair que le PIB américain risque de reculer encore au quatrième trimestre. Ouf ! L’économie américaine devrait bien subir deux trimestres consécutifs de baisse du PIB, manifestation technique de la récession.

Pour autant, le scénario du pire est toujours très loin d’être certain. En effet, la baisse des cours du baril, la résistance de l’activité dans les services, la baisse des taux d’intérêt de la Fed et des taux interbancaires, sans oublier les plans passés et à venir de sauvetage de l’économie devraient progressivement porter leurs fruits tant en termes d’investissement que de pouvoir d’achat et de consommation. En outre, l’avènement d’un nouveau Président est souvent synonyme d’une amélioration de la confiance des ménages pendant au moins quelques mois.

Autrement dit, tous ces ingrédients positifs devraient permettre d’apaiser progressivement la crise de confiance dans laquelle nous vivons depuis le 15 septembre 2008 et la faillite de Lehman Brothers.

Compte tenu d’un acquis de croissance de 1,6 % au sortir du troisième trimestre et en dépit d’une probable baisse du PIB d’environ 1 % en rythme annualisé au quatrième trimestre, le PIB devrait tout de même afficher une progression annuelle moyenne d’environ 1,5 % cette année, soit tout de même 1 point de plus que les prévisions consensuelles d’il y a encore quelques semaines.

Quant à 2009, en dépit d’un acquis fin 2008 proche de zéro, la croissance devrait également franchir, voire dépasser la barre des 1,5 %.

A l’inverse, comme l’a encore montré l’effondrement de l’indice de sentiment économique de l’ensemble de la zone euro en octobre (à un plus bas depuis novembre 1993), la zone euro est bien engagée depuis le deuxième trimestre dernier et au moins jusqu’au début 2009 dans une récession analogue à celles de 1975 et de 1993.

Autrement dit, si la Fed devrait arrêter de baisser ses taux directeurs, la BCE va pouvoir se lancer corps et âmes dans une forte baisse du taux refi pour essayer de limiter une récession qui s’annonce d’ores et déjà historique. De quoi conforter la dépréciation de l’euro/dollar qui, après une pause justifiée depuis quelques jours, devrait reprendre le chemin de la baisse dans les toutes prochaines semaines. En route donc vers les 1,20 dollar pour un euro d’ici à la fin 2008.

Marc Touati


Et les marchés dans tout ça ?

Le yen superstar. A quel prix ?…


Longtemps considéré comme faible face aux autres grandes devises, pour des raisons tenant à la fois au niveau bas des taux d’intérêt et à une « bienveillance » visant à soutenir les exportations, le yen a récemment fait un retour remarqué au rang de devise très recherchée sur le marché des changes. Il s’est en effet apprécié de 15 % contre le dollar depuis la fin août 2008, pour atteindre un plus haut en 13 ans contre la devise américaine, à 90.93 USD/JPY en séance le 24 octobre dernier. Contre l’euro, c’est une hausse de plus de 30 % depuis le début août qu’a enregistré la devise japonaise.

Le yen a fortement monté!

Les raisons de cette forte appréciation résident tout d’abord dans un mouvement de débouclage des fameux carry trades provoqué par la chute de l’ensemble des indices mondiaux et en particulier des marchés émergents, destination favorite des capitaux empruntés au Japon à taux très faible. On avait déjà vu lors d’épisode de repli des marchés émergents ces dernières années des réactions de hausse du yen, mais le mouvement de la devise nippone depuis d’août est, à l’instar de la crise du système financier, sans précédent.

Un autre facteur permettant d’expliquer la hausse du yen réside dans le fait que les perspectives de l’économie japonaise, bien que peu reluisantes, apparaissent peut-être moins sombres et aléatoires que celle des économies américaine et européennes, avec de plus un système financier relativement moins touché qu’aux Etats-Unis ou en Europe. Par ailleurs, les perspectives de baisse des taux sont très réduites, avec un taux de 0.50 % jusqu’à la décision de la Bank of Japan, ce matin, de l’abaisser à 0.30 % dans le but, certainement, de ne pas paraître inactive, figée et finalement rigide pendant que toutes les banques centrales de la planète sont sur le front. Mais le potentiel de baisse de la rémunération des actifs en yen est beaucoup plus limité que celui des actifs européens ou britanniques…

Cette hausse du yen n’est en tout cas pas un cadeau pour l’économie japonaise et en particulier son industrie, très largement dépendante des exportations. Ainsi, l’appréciation de la devise nippone, à laquelle s’ajoute le ralentissement de la croissance mondiale, ont plongé la balance commerciale en déficit au mois d’août et de septembre, une première. En effet, la combinaison du ralentissement des exportations, qui ne progressent que modestement depuis le début de l’année, et de la hausse des importations entraînée par la flambée des prix de l’énergie et des matières premières ont provoqué un déficit commercial, reflet d’un très net ralentissement de la demande pour tous les secteurs exportateurs (automobile, composants, électronique de grande consommation…).

Le Japon en déficit commercial !

Dans ce contexte, la réaction des autorités a été, jusqu’à maintenant, moins immédiate que par le passée. Contrairement à ce qui s’était toujours passé depuis l’éclatement de la bulle immobilière à la fin des années 1980, la Banque du Japon n’accroît pas ses réserves de changes à hauteur de l’appréciation du yen, une stratégie qui lui avait permis d’accumuler un montant confortable de réserves de change (autour de $ 1 000 mds) tout en atténuant la hausse du yen en période d’appréciation.

La Bank of Japan intervient très peu

La baisse du taux directeur décidée ce matin constitue déjà un premier élément d’une réponse des autorités monétaires, qui semblent considérer, non pas au regard de la situation domestique (pour laquelle une baisse de 20 pb du taux directeur ne change que peu de chose), mais compte tenu de la situation internationale, il est nécessaire de s’inscrire dans le mouvement de détente monétaire quasi-généralisé, sous peine de laisser s’accumuler les pressions haussières sur le yen, avec l’impact que l’on sait sur l’activité. Le repli du yen depuis que l’hypothèse d’une baisse des taux ce vendredi s’est développée semble donner raison à ce scénario.

Adrien Pichoud


 

Les évènements à suivre du 3 au 7 novembre:

Hausse du chômage US, baisse des taux en Europe.


Après la publication cette semaine du recul du PIB américain au 3ème trimestre et de la chute de l’indice de confiance des consommateurs du Conference Board, la semaine à venir sera marquée par la publication d’indicateurs supplémentaires du niveau d’activité de l’économie américaine. Il ne faudra malheureusement pas attendre de bonne nouvelle lors de la publication de l’ISM manufacturier, lundi, de son homologue pour les services, mercredi, et du rapport sur l’emploi, vendredi.

En Europe, après les baisses des taux de la Fed et de la Banque du Japon cette semaine, ce sera au tour de la Bce et de la Bank of England d’assouplir leur politique monétaire. Elles devraient toutes les deux baisser leur taux directeur de 50 pb jeudi 6 novembre.

 

Lundi 3 novembre 2008, 16h00 heure de Paris : l’ISM manufacturier recule encore en octobre

Après la violente chute observée au mois de septembre, de 49.9 à 43.5, l’ISM manufacturier, qui mesure l’activité dans l’industrie manufacturière, devrait encore s’inscrire en baisse au mois d’octobre aux États-Unis, à 43.0. Il s’enfoncera ainsi encore un peu plus en dessous de la barre de 50 (qui marque la limite entre expansion et contraction de l’activité), une nouvelle confirmation que le secteur est bien entré en récession après les chutes de la production industrielle, du taux d’utilisation des capacités de production et des indicateurs régionaux d’activité observées ces dernières semaines.

Mercredi 5 novembre 2008, 16h00 : l’ISM non-manufacturier lui aussi en baisse en octobre

L’ISM non-manufacturier, qui mesure l’activité dans les services, devrait lui aussi s’inscrire en baisse au mois d’octobre, alors que l’ensemble de l’économie est finalement entrée dans une récession marquée par la chute de la demande finale (consommation et investissement). Il devrait revenir sous le niveau de 50, à 49.0 après 50.2 en septembre, soulignant un recul de l’activité au cours du mois écoulé.

Jeudi 6 novembre 2008, 13h00 : la Bank of England baisse encore son taux

L’intervention conjointe des banques centrales le 8 octobre dernier avait poussé la Bank of England à anticiper d’un jour la baisse de 50 bp de son taux de repo par rapport à la réunion de son Comité de Politique Monétaire initialement prévue le 9 octobre. Une nouvelle baisse de 50 pb du taux de repo devrait être décidée jeudi 6 novembre, ce qui ramènera le taux directeur à 4.00 %, un plus bas depuis 2004. Cette baisse ne sera certainement pas la dernière, alors que l’activité s’effondre au Royaume-Uni. L’explosion de la bulle immobilière et la crise du crédit affectent durement les ménages britanniques, très exposés à l’endettement, ce qui a pour conséquence de réduire sensiblement la demande domestique. L’économie britannique est ainsi déjà entrée dans ce qui risque d’être une sévère récession, ce qui poussera certainement la Bank of England à procéder à de (nombreux) autres assouplissements monétaires.

Jeudi 6 novembre 2008, 13h45 : la BCE baisse le Refi de 50 pb

Avec une première baisse de 50 pb décidée conjointement avec les autres grandes banques centrales le 8 octobre dernier (et ce moins d’une semaine après avoir maintenu le statu quo sur le Refi), la BCE a acté le net ralentissement de l’activité observé depuis plusieurs mois et reconnu que le risque inflationniste n’était plus la principale menace pesant sur l’économie de la zone euro. Alors que la chute des prix de l’énergie s’est poursuivi en octobre, atténuant plus encore les tensions inflationnistes, la BCE va donc certainement conserver cette attitude en novembre et procéder à une nouvelle baisse de 50 pb du taux de Refi, à 3.25 %. Le repli de l’inflation et la morosité des perspectives d’activité impliquent d’ailleurs certainement que le taux de Refi sera encore assoupli dans les mois à venir.

Jeudi 6 novembre 2008, 14h30 : la productivité américaine en hausse

Après une nette progression au 2ème trimestre 2008 (+4.3 %), la productivité non agricole américaine devrait avoir continué à s’améliorer au troisième trimestre, avec une hausse attendue de 1.7 %. Il s’agit de la conséquence de l’accélération de la baisse du chômage, plus rapide que celle de l’activité (rappelons que la productivité se calcule comme la production en valeur divisé par le nombre d’heures travaillées). Cette poursuite de la hausse de la productivité indique que les entreprises se montrent très réactives face au ralentissement de la demande.

Vendredi 7 octobre 2008 : la baisse de l’emploi s’accélère aux Etats-unis

La récession de l’économie américaine ne manque pas, comme c’est toujours le cas en de pareilles circonstances, de provoquer une hausse du chômage qui s’accélère à mesure que l’on avance dans l’épisode récessif. C’est ce que l’on peut observer en 2008 : l’économie américaine enregistre des destructions nettes d’emplois depuis le mois de janvier dernier mais ce rythme de destruction s’est accéléré récemment pour atteindre 159 000 en septembre. En octobre, ce chiffre devrait encore augmenter pour atteindre 170 000. C’est ce que suggèrent le niveau des nouvelles inscriptions hebdomadaires au chômage ou l’évolution des indices de confiance des ménages. Ainsi, le taux de chômage atteindra 6.3 %.

Marc Touati et Adrien Pichoud


Les prévisions économiques et financière d’ACDEFI :



* Niveau à 15h (heure de Paris)