L’ «OPEP du gaz» n’est pas pour demain

Et on reparle d’une « OPEP du gaz ». Ou plutôt d’une « troïka du gaz », version plus light – moins de parties et surtout moins de contraintes – d’un rapprochement stratégique autour de la manne gazière. Mais ne vous attendez pas à grand chose.

Ce sont la Russie, le Qatar et l’Iran qui ont remis le dossier sur la table. Tous trois sont d’importants acteurs dans le commerce du gaz. La Russie parce qu’elle en est un des plus gros fournisseurs, grâce aux précieuses et conséquentes réserves qu’abrite son territoire. Gazprom est la plus grande entreprise gazière au monde avec un capitalisation boursière qui a pu dépasser les 180 millions d’euros, au meilleur de la Bourse. Gazprom fournit 27 milliards de mètres cubes de gaz à l’Europe et ne cache pas que son envie de « parvenir à fournir chaque bonbonne de gaz en Allemagne ». Le Qatar parce que ce petit pays, par ses dimensions, est un poids lourds dans l’exportation de gaz naturel liquéfié. L’Iran parce qu’il possède également de belles réserves même si elles sont mal exploitées et lui valent d’être devenu un importateur net.

A eux trois, la Russie, le Qatar et l’Iran comptent donc pour 60 % des réserves mondiales de gaz. On comprend qu’ils puissent vouloir organiser entre eux une collusion stratégique.

Or, ce genre d’initiative n’est pas inédit. Plusieurs pays d’Amérique Latine, Venezuela en tête, ont pris une initiative ressemblante en créant, l’an passé, en l’ « Opegasur » ou « Organisation des pays d’Amérique du Sud producteurs et exportateurs de gaz ».

Depuis la crise du gaz entre la Russie et ses voisins d’Europe de l’Est, qui a réveillé les craintes de l’Europe de l’Ouest quant au prix de sa sécurité énergétique, l’idée d’une « OPEP du gaz » est redevenue à la mode. Plusieurs tentatives ont vu le jour : un accord en 2006 entre Gazprom et le gazier algérien Sonatrach ; puis l’année suivante, une médiatique visite russe en Iran ; enfin au printemps 2007, la création de l’ « Opegasur ».

Mais toutes ces initiatives sont plus symboliques qu’autre chose. De plus, il existe déjà une structure dans l’univers gazier : le Forum des Pays exportateurs de gaz (FPEG), créé en 2001 et qui regroupe entre autres la Russie, le Qatar et l’Iran mais aussi la Norvège, la Malaisie ou Brunei.

Rien de plus qu’un club informel

Quel avenir pour la « troïka du gaz » de la Russie, du Qatar et de l’Iran ? Sans doute est-il bien mince. L’ « OPEP du gaz » n’est pas pour demain.

D’une part, parce que ces mêmes pays ne le veulent pas vraiment. Le Qatar a toujours dénoncé la mise en place d’un cartel. L’Iran semble plus intéressé par sa technologie nucléaire, civile et/ou militaire, que par ses poches de gaz. Moscou parait la plus motivée mais sait très bien qu’il vaut mieux, à l’heure actuelle, ménager les susceptibilités des uns et des autres, et surtout de ses clients. Bref, de la réunion de ces trois pays ne sont ressorties que de petites amorces : la création d’un « comité technique », qui ne sera sans doute qu’une coquille vide, et une date cochée sur l’agenda début 2009. On est donc encore très loin d’une organisation aussi codifiée et structurée que celle des pays exportateurs de pétrole.

D’autre part, parce que les pays consommateurs de gaz n’ont pas intérêt à l’émergence d’un tel cartel. L’Europe importe plus de la moitié de son gaz. Les Etats-Unis sont l’autre grand consommateur. Elle verrait d’un mauvais œil la création d’un cartel qui pèserait sur les prix et les approvisionnements. Et, si la crise russo-ukrainienne a révélé sa grande fragilité en matière de fourniture gazière, rien n’a vraiment été fait pour réduire cette dépendance.

Enfin, une « OPEP du gaz » ne veut pas dire grand chose compte tenu de la spécificité du marché gazier. Un marché qui est très régionalisé, car cette matière est difficile à transporter. Et très dépendant de structures lourdes, comme les tuyaux qui transportent ce gaz. 

Last but not least, l’OPEP n’est pas LE modèle incontournable. Comprendre : toute organisation multipartite autour de la manne gazière n’est pas contrainte de reproduire les modes de fonctionnement du cartel pétrolier dont le dessein final est de moduler les prix du baril en jouant sur l’offre, afin de servir leurs intérêts. Pour autant, ce sont sans doute deux arguments qui ne laissent pas insensibles les producteurs de gaz.

D’ici à ce qu’ils s’accordent toutefois, du gaz aura le temps de transiter dans les gazoducs…

 

Alexandra Voinchet