L’heure des boucs émissaires.

La crise financière n’est pas encore terminée, mais la recherche des coupables, ou plutôt des boucs émissaires, a déjà commencé. Les coupables sont évidemment faciles à trouver puisque, si l’on en croit les dirigeants politiques européens, il s’agit des « méchants » financiers qui ont joué avec la vie de millions de personnes dans un simple but vénal. Dès lors, à les entendre, la solution résiderait dans une augmentation de la réglementation qui empêcherait ainsi les comportements malsains des « voyous » de la finance. Et pourquoi pas un peloton d’exécution place de la Concorde pour les plus véreux ?

Si ce discours populiste est bien commode, il est pourtant très loin de la réalité. Certes, des stratégies malveillantes ont pu être mises en place ici ou là. Certes, la sophistication des produits et le mimétisme des marchés ont aggravé la situation. Mais n’est-ce pas là la vie normale des marchés financiers, qui, comme l’indiquait Keynes dans les années 20, sont régis par les animal spirits ? Dès lors, vouloir supprimer la spéculation et la volatilité des marchés est par définition vain. Et pour cause, la spéculation, les bulles, les krachs font partie intégrante de la vie des marchés.

Pis, accroître la réglementation et les rigidités comptables augmentent mécaniquement les dangers et la mauvaise gestion des risques et des produits, donc in fine la spéculation. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé lors de la crise financière que nous vivons depuis plus d’un an. En effet, c’est précisément pour contourner la réglementation trop restrictive des ratios de solvabilité que les banques et institutions financières ont développé leurs opérations de hors-bilan et multiplié les acrobaties comptables et la sophistication financière. En procédant de la sorte, elles ont alors augmenté leur exposition à des risques qu’elles maîtrisaient de moins en moins.

De même, la règle du mark to market (valorisation des actifs aux prix de marché) a joué un rôle pro-cyclique dans la crise, dans la mesure où elle a auto-entretenu les pertes des banques.

Enfin, le rôle central des agences de notations et de l’expertise comptable dans les normes IFRS a masqué la véritable nature des risques. C’est effectivement parce que les dettes titrisées de subprimes étaient notées AAA qu’elles ont pu être intégrées dans des SICAV monétaires dites dynamiques, lesquelles pouvaient à la fois se targuer de l’appellation « monétaire » tout en proposant des rendements de plus de 7 %.

Or, là aussi, les acheteurs de ce type de produits auraient dû se souvenir que l’une des rares règles indéfectibles de la finance réside dans le fait qu’il existe une liaison positive entre le rendement et le risque. Autrement dit, plus les rendements sont élevés, plus les risques sont élevés. Croire qu’une SICAV monétaires sans risque puisse rapporter 3 à 4 fois plus que le rendement monétaire tenait évidemment de l’inconscience des vendeurs de ces produits, mais aussi de leurs acheteurs. Mais là aussi, l’incitation à réglementer à tout va a favorisé la réduction des placements à risques traditionnels et par là même l’augmentation des placements sur des SICAV dites monétaires, ce qui a fini par jouer un rôle contre-productif, ou plutôt destructeur.

Pour être encore plus clair, l’excès de réglementation de ces dernières années a été un maillon essentiel de la crise des subprimes et de la crise financière qui en a découlé.

Dans ce cadre, augmenter de nouveau les contraintes comptables aurait bien peu de sens. Alors que faut-il faire ? Tout simplement revenir vers des règles de bon sens, c’est-à-dire une plus grande transparence des stratégies et des placements, une réduction de la mathématisation des marchés et des produits qui ont déconnecté ces derniers de la réalité économique. Il faut également supprimer la rémunération des agences de notations par les institutions qu’elles sont chargées de noter.

En fait, ces ajustements se feront d’eux-mêmes et ont d’ailleurs déjà commencé au travers des demandes des clients pour des produits plus clairs et moins sophistiqués. Un retour vers le bon sens et les vraies valeurs en quelques sortes.

A l’inverse, si l’on accroît encore la réglementation, il ne faut pas se faire d’illusions : les marchés trouveront d’autres moyens pour la contourner en mettant en place des produits encore plus complexes et par là même une gestion du risque de plus en plus dangereuse.

Il faut se rendre à l’évidence et arrêter de se voiler la face : les sur-valorisations, les excès et les crises sont inévitables à court terme sur les marchés. En revanche, à moyen terme, ces derniers se reconnectent forcément à la réalité économique. Cela restera certainement le grand enseignement de cette crise : les marchés savent purger leurs excès pour ensuite repartir sur des bases plus saines. Car quoi qu’on dise, le rôle premier des marchés financiers réside dans le financement de l’économie. Après les dérives malheureusement inévitables de ces dernières années, il est grand temps qu’ils retrouvent leur fonction première.

Pour ce faire, l’heure n’est certainement pas à la recherche de boucs émissaires et à la vindicte. Il faut au contraire garder son calme, regarder la réalité en face et sauver le système. Car si nous ne le faisons au plus vite, les conséquences en termes d’activité économique et de chômage seront catastrophiques.

Marc Touati