Marchés, inflation, récession : Die another day (E&S n°55)

L’humeur :

Die Hard 5.

Les scénaristes des films catastrophes américains peuvent aller se rhabiller. La réalité dépasse aujourd’hui la fiction. En effet, après le drame des attentats du 11 septembre 2001 qu’aucun producteur hollywoodien n’aurait pu imaginer et même si elle évidemment moins coûteuse en vie humaine, la crise financière que nous vivons depuis plus d’un an est digne des plus grands films catastrophes qu’a réalisés l’Oncle Sam.

Tout y est. Au commencement, tout paraît paisible, les « méchants » financiers paraissent même altruistes, dans la mesure où, ne supportant plus que seules les personnes aisées aient accès la propriété, ils inventent des crédits subprime qui permettent aux particuliers non solvables d’acquérir leur logement. Et cela fonctionne tellement bien que d’autres pays veulent suivre cet exemple, un futur président d’une grande nation européenne reprenant même l’idée dans son programme…

Malheureusement, comme dans tout bon film d’action, le mal est là où on ne le voit pas. Ainsi, ce subprime va très vite devenir un virus mortel inextinguible que les banques et les institutions financières vont se transmettre les unes aux autres sans vraiment s’en apercevoir ou du moins en faisant comme si.

C’est alors que les gentils « pompiers », en l’occurrence les banques centrales vont elles-mêmes mettre le feu à la tour infernale en augmentant trop fortement les taux d’intérêt, jusqu’à 5,25 % pour la Fed au printemps 2006. En pensant bien faire pour éviter la surchauffe, la Réserve fédérale va alors précipiter les Etats-Unis dans un krach immobilier majeur qui, via la titrisation des dettes subprimes et aussi via la mathématisation extrême des marchés financiers qui empêchent ces derniers de garder le sens des réalités, va provoquer une crise financière sans précédent depuis 1929.

Dès lors, un mouvement de défiance puis de panique généralisée va s’engager, entraînant les marchés vers les abysses.

Au plus fort de la tempête, les gentils pompiers, en particulier la Réserve fédérale et le gouvernement américains, vont faire leur maximum pour éviter la débâcle, mais ils ne pourront sauver tout le monde. Ainsi, comme cela est souvent imposé aux scénaristes des films catastrophes, il faut forcément quelques morts pour sensibiliser le public et donner plus de crédibilité à l’histoire. Le rôle du mort va donc être tenu par Lehman Brothers. Non pas qu’il soit plus coupable que les autres, mais son obstination à faire croire que ses comptes étaient sains et sa réticence à négocier avec d’autres partenaires ont fini par agacer les autorités américaines qui en ont alors fait un exemple.

Dès lors, les autres banques et institutions financières ont compris que leur mort était sinon proche, du moins possible. Ce risque est évidemment énorme, mais tout héros de film d’action doit forcément prendre des risques pour ajouter au suspense et tenir en haleine les spectateurs.

Toujours est-il qu’au lendemain de cette mise en liquidation, l’incendie redouble d’intensité. Déjà particulièrement faible, la confiance des investisseurs s’écroule de nouveau et les marchés s’effondrent.

Plus rien ne semble alors pouvoir inverser la tendance. Les opérateurs de marchés et les observateurs économiques se lancent dans un concours de beauté négatif pour savoir qui sera le prochain sur la liste noire. Le sauvetage in extremis de l’assureur AIG, dont la faillite aurait définitivement plongé le monde dans une crise systémique, n’y change rien.

Dans ce cadre, la planète économique paraît vouée à la destruction : après la crise financière la plus grave de 1929, nous allons forcément connaître une récession que certains annoncent également comme la plus grave depuis les années 1930. Il faut dire que dans cette descente aux enfers, les investisseurs ne savent plus à quel saint se vouer et vont même trouver de nouveaux gourous chez les économistes altermondialistes qui étaient les seuls à avoir annoncer une telle catastrophe. Forcément, cela fait plus de vingt ans qu’ils l’annoncent, il faut bien qu’ils aient raison de temps en temps. Une montre cassée donne l’heure juste deux fois par jour…

Mais, là aussi, comme dans tout bon film catastrophe américain, c’est au moment où l’on croit que tout est perdu que Bruce Willis réussi à sauver le monde. En l’occurrence, ce dernier s’appelle Henri Paulson qui, en proposant d’isoler les virus des banques dans une structure ad hoc détenue par l’Etat américain, a peut-être trouvé le remède miracle. Du moins temporairement… Car, lorsque le film catastrophe fait un carton au box office, il est généralement suivi d’une suite encore plus folle et dramatique que la première partie…

Une chose est sûre, après avoir vécu le krach de 1987, la récession de 1991-93, la crise asiatique de 1997, le krach Internet de 2000, les attentats du 11 septembre, les affaires Enron et WorldCom, le baril à 150 dollars et la crise de 2007-2008, nous pourrons dire à nos petits enfants : « j’y étais ! ».

 

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

L’inflation se replie des deux côtés de l’Atlantique.


Les statistiques des indices de prix à la consommation publiées cette semaine aux États-Unis et dans la zone euro ont sonné, dans le sillage du repli des cours du pétrole, la fin de la poussée inflationniste observée depuis un an et qui avait commencé à susciter des craintes tant de la part de la Federal Reserve que de celle de la BCE.

En effet, on a pu observer, des deux côtés de l’Atlantique, un repli du taux annuel d’inflation après les records atteints le mois précédent (des plus hauts depuis le début des années 1990).

Aux États-Unis, l’indice des prix à la consommation a ainsi enregistré un repli de 0.1 % après la poussée de 0.8 % du mois de juillet. La baisse de –4.2 % des prix de l’essence (chiffre ajusté des variations saisonnières) est largement à l’origine de ce repli, tout comme leurs précédentes fortes hausses (+4.1 % en juillet après +10.1 % en juin) avaient alors tiré les indices. Évidemment, le repli des cours du pétrole depuis leur record atteint début juillet (145.29 $/b pour le WTI), qui a reculé de près de 40 % au cours de l’été, explique largement cette baisse des indices de prix, tout comme elle avait été à l’origine de l’envolé des indices d’inflation depuis la fin 2007.

En l’occurrence, on peu constater que l’accélération du taux annuel d’inflation américain depuis un an, pour atteindre 5.6 % en juillet, est quasiment exclusivement due aux prix de l’énergie et de l’alimentation, puisque l’indice d’inflation « core » (hors prix de l’énergie et de l’inflation) n’a pas, pour sa part, enregistré d’accélération sensible sur la période. Ainsi, au mois d’août, l’indice « core » progressait de 0.2 %, son rythme moyen de hausse mensuel des dix dernières années. Le taux annuel d’inflation « core » restait ainsi contenu à 2.5 %.

L’inflation a atteint un pic en juillet

Source : Department of Labor Statistics


L’évolution des prix à la consommation au sein de la zone euro s’avère être assez similaire puisque le CPI a reculé de 0.1 % en août (après déjà une baisse de 0.2 % en juillet), lui aussi tiré en baisse par le repli des prix de l’énergie. Là encore, le taux annuel d’inflation s’est également replié, de 4.0 %, un plus haut depuis la création de la zone euro, à 3.8 %.

Il reste certes nettement au-dessus de l’objectif de 2.0 % de la BCE mais, comme aux États-Unis, on peut observer que la poussée inflationniste de ces derniers mois, causée par la hausse des prix de l’énergie, ne s’est pas propagée à l’ensemble de la structure des prix, puisque l’inflation sous-jacente (ou « core ») est restée contenue, à 1.9 % au mois d’août.

L’inflation sous-jacente toujours inférieure à 2 %

Source : Eurostat

Ainsi, dans la mesure où la hausse des prix des matières premières ne s’est pas diffusée dans l’ensemble de l’économie au cours des derniers mois, que les prix de ces dernières sont maintenant nettement reparti à la baisse et que tout ceci intervient de toute façon, aux États-Unis comme en Europe, dans un contexte de demande domestique faible peu propice aux dérapages inflationnistes, il semble faire peu de doute que l’ébauche de repli des taux annuel d’inflation observée en août est appelée à se poursuivre dans les mois à venir. Ainsi, l’inflation reviendra dans des zones moins « stressantes » pour les autorités monétaires, ce qui permettra sans doute, en Europe, à la BCE d’entamer un cycle d’assouplissement de sa politique monétaire en réponse au ralentissement marqué de l’activité. Il s’agira également d’un élément positif (ils sont rares!) pour les ménages, qui verront l’un des éléments pesant sur leur pouvoir d’achat s’atténuer quelque peu…

 

Adrien Pichoud



Et les marchés dans tout ça ?

De la crise financière à la récession.


Ne nous voilons pas la face, la crise financière dans laquelle nous vivons depuis plus d’un an est la plus grave depuis celle de 1929. La mise en liquidation d’un des fleurons de la finance mondiale Lehman Brothers en est encore la preuve incontestable. Qui pouvait croire il y a encore quelques jours que cette institution qui disposait de 640 milliards de dollars d’actifs en mai dernier et gérait 273 milliards de dollars au 31 août serait aujourd’hui en voie de disparition ? Peu de monde et certainement pas les intéressés.

Pourtant, les autorités monétaires et politiques américaines l’ont fait. Alors que ces dernières avaient choisi de sauver Bear Stearns, Fannie Mae et Freddie Mac et quelques jours avant le sauvetage in extremis de l’assureur AIG, elles ont donc décidé d’user de leur pouvoir de dire Non !

Cette décision est évidemment lourde de conséquences. Non seulement parce qu’elle laissera du sang sur le mur notamment en matière d’emplois, mais aussi parce qu’elle fait craindre que le pire est désormais possible. Dès lors, le rebond boursier esquissé au cours de l’été dernier paraît bien loin et le pessimisme des investisseurs est redevenu monnaie courante. Ces derniers se livrent désormais à un concours de beauté négatif pour savoir qui sera le prochain sur la liste noire.

Imaginer que cette situation financière américaine n’aurait pas de conséquences en Europe serait évidemment illusoire. La forte chute des cours boursiers des banques européennes et notamment françaises en témoigne.

Et pour cause, au-delà du fait que les banques européennes et américaines ont de nombreux contrats en commun et que la finance est globalisée, les banques vont désormais être obligées (si ce n’était pas déjà fait) de réduire encore plus leur exposition au risque. Dans ce cadre, elles vont devoir être de plus en plus restrictives dans leur octroi de crédit, ce qui réduira mécaniquement l’investissement, l’emploi, les revenus et la consommation en Europe.

Qui plus est, les banques eurolandaises doivent également composer avec une difficulté supplémentaire par rapport à leurs homologues américaines, en l’occurrence une inversion de la courbe des taux d’intérêt. Ainsi, avec des taux à court terme supérieurs aux taux à long terme, les banques européennes ont de plus en plus de mal à réaliser leur métier de base, c’est-à-dire celui de la transformation (des financements à court terme en placements à long terme). De ce point de vue, les banques européennes sont donc plus menacées que leurs homologues américaines. Dans ce cadre, si la récession a déjà commencé dans la zone euro, elle n’est pas près de se terminer.

Cependant, au-delà des craintes que cela revêt pour la finance mondiale et l’économie planétaire, la décision cinglante des autorités américaines à l’égard de Lehman Brothers peut également être perçue comme un signal fort. En effet, les autorités monétaires et publiques des Etats-Unis nous disent désormais que la faillite bancaire redevient possible. Autrement dit, le principe du « Too big to fail » (Trop gros pour faire faillite) est mis de côté. Surtout, la Fed peut aussi vouloir nous dire que si elle laisse faire faillite Lehman Brothers, c’est qu’elle est certaine que celle-ci n’engendrera pas de crise systémique. C’est également dans ce but qu’elle a maintenu le statu quo de ses taux monétaires, tout en sauvant AIG dont la liquidation aurait représenté un risque systémique majeur.

Désormais, les banques savent donc qu’elles ne trouveront plus forcément de prêteur en dernier ressort et qu’elles doivent jouer la véritable transparence sur leurs comptes et leurs engagements. C’est peut-être ce qu’attendaient les marchés pour retrouver leurs esprits. D’autant qu’ils savent dorénavant qu’il y a bien un pilote dans l’avion, en l’occurrence la Fed, qui semble à présent maîtriser la situation.

Dans ce cadre à la fois inquiétant en terme de déprime boursière et plutôt rassurant en matière de gouvernance, il faut donc se préparer à vivre encore deux à trois mois difficiles sur les marchés financiers et au moins six mois très difficiles sur le front des économies occidentales. En termes de résultats économiques, la croissance du PIB américain devrait tout de même atteindre les 2,2 % tant cette année que l’an prochain.

Quant à la zone euro, sa croissance culminerait à 1,3 % en 2008 et à 1 % en 2009. Peut-être qu’alors la Banque Centrale Européenne se décidera enfin à voir la réalité en face et à réduire ses taux directeurs. Tant qu’elle ne le fera pas, les investisseurs continueront de privilégier les placements monétaires au détriment des marchés boursiers et surtout, la reprise économique sera différée, puisque toute inflexion de politique monétaire prend six à neuf mois pour agir sur l’activité. Autrement dit, la récession eurolandaise se prolongera au moins jusqu’à l’été 2009 et ne manquera évidemment pas de coûter cher tant en matières d’emploi que de pouvoir d’achat. Bon courage à tous !

 

Marc Touati



Les évènements à suivre du 22 au 26 septembre :

La baisse d’activité se poursuit dans la zone euro.


La semaine à venir sera marqué, au sein de la zone euro, par la publication des indices de confiance des entrepreneurs, avec en particulier celle de l’IFO en Allemagne et de l’enquête INSEE en France le mercredi 24 septembre, ainsi que par la première estimation, mardi 23, des indices des directeurs d’achats dans les secteurs manufacturier et des services de la zone euro.

Aux Etats-Unis, ont surveillera les statistiques des ventes de logements, ainsi que l’évolution des commandes de biens durables, publiée jeudi 25, et le chiffre final de la croissance du PIB au 2ème trimestre, vendredi 26.

 

Mardi 23 septembre, 8h45 heure de Paris : la consommation des ménages français ne progresse pas au cours de l’été

Alors que la hausse des prix de l’essence a largement amputé le pouvoir d’achat des ménages, par ailleurs sous pression en raison de la remonté du chômage, de l’affaiblissement du marché immobilier et du durcissement des conditions de crédit, les dépenses de consommation en biens manufacturés ne devraient pas avoir progressé au cours de la période juillet/août. La consommation, le principal moteur de la croissance de l’économie française ces dernières années, accuse fortement le coup en 2008.

 

Mardi 23 se