BCE, Euroland, France : Attention danger ! (E&S n°47)

L’humeur :

La France Présidente.

A l’évidence, la France n’a vraiment pas brillé sur la scène européenne au cours du premier semestre 2008 : perte d’une place dans le classement de la croissance européenne, désormais juste derrière le Portugal et juste devant l’Italie qui s’enracine à la dernière place ; dégradation des relations franco-allemandes, par manque d’engagement clair de l’Hexagone en matière de réformes de la dépense publique ; et enfin élimination dès le premier tour de l’Euro 2008 en n’ayant marqué que deux buts, dont un contre son camp…

Mais, c’est promis, du moins au dire de nos dirigeants politiques, tout ceci n’est que de l’histoire ancienne, car la France va nettement se rattraper lors du second semestre au cours duquel elle assurera (pour la douzième fois de son histoire) la Présidence de l’Union européenne. En effet, et comme d’habitude, les promesses françaises sont ambitieuses : canalisation positive de l’immigration, politique active de l’environnement, réforme des Institutions européennes, redéfinition de la stratégie de défense, refonte de la politique agricole commune… Malheureusement, et comme d’habitude également, toutes ces promesses risquent de rester bien loin de la réalité.

Et ce d’autant que le Non au référendum irlandais sur la ratification du traité de Lisbonne ampute de facto la marge de manœuvre de la Présidence française. En effet, tant que le traité de Lisbonne n’aura pas force de loi, le traité de Nice restera la norme, et par là même, toutes les décisions déterminantes ne pourront être adoptées qu’à l’unanimité des 27. Autrement dit, la probabilité de faire avancer la construction européenne reste bien faible.

En outre, le pouvoir de négociation de la France demeure considérablement limité par une piètre crédibilité économique. Cette dernière s’explique principalement par le fait que la France reste le dernier pays eurolandais à refuser de moderniser son économie, notamment en matière de réglementation, de fonctionnement du marché du travail et de rationalisation de la fiscalité et de la dépense publique.

Ainsi, la pression fiscale continue de représenter plus de 44 % du PIB français, soit quatre points de plus que la moyenne eurolandaise. En matière d’imposition du capital, la France se paie même le luxe d’être numéro un européen et certainement mondial. Il est donc clair que tant que cette pression ne sera pas réduite, l’économie française restera engoncée dans la croissance molle.

Pour y arriver, la France doit parallèlement réduire ses dépenses publiques, qui représentent près de 54 % du PIB, là aussi quatre points de plus que la moyenne de la zone euro. Ainsi, pour revenir vers le niveau moyen de ses pairs, la France devrait réduire ses dépenses publiques de 70 milliards. Or, pourtant présentée comme une réforme majeure, la réduction des dépenses annoncée par l’actuel gouvernement n’atteindrait que 7 milliards d’euros à l’horizon 2011… Dans ces conditions, et comme vient d’ailleurs de le souligner une nouvelle fois la Cour des comptes, il est clair que le déficit public restera particulièrement élevé.

En fait, dès cette année, avec une croissance comprise entre 1,5 % et 1,7 %, il devrait avoisiner les 3 % du PIB. Pis, compte tenu d’une croissance avoisinant également les 1,5 % en 2009, aucune amélioration du déficit ne devrait s’observer l’an prochain. Dès lors, l’atteinte d’un équilibre budgétaire en 2012 relève vraiment de la gageure. De même, pâtissant de ces déficits exorbitants, mais aussi du problème croissant du financement de la retraite par répartition à partir de 2012, sans oublier la croissance faible et l’augmentation des taux d’intérêt à long terme, la dette publique devrait progressivement se rapprocher de la barre des 75 % d’ici 2012.

Une question simple survient alors : comment, avec une croissance durablement molle, une pression fiscale prohibitive, des dépenses publiques trop élevées et par là même inefficaces, un déficit non-maîtrisé et une dette publique explosive, la France va-t-elle pouvoir imposer son dictat en matière de politique européenne ? C’est d’ailleurs certainement parce qu’elle est consciente de ce paradoxe et de son manque de crédibilité en matière économique que la France a limité à peau de chagrin le volet économique de sa Présidence.

Et ce, alors qu’il y a tant de chantiers économiques inachevés ou à engager : gouvernance économique et monétaire de l’Union, euro trop fort, constitution d’un véritable budget européen, harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, mobilité des capitaux et de la main-d’œuvre… Mais non, que ce soit en France ou dans l’Union européenne, il faudra encore patienter pour engager de profondes réformes et a fortiori des réformes basées sur l’efficacité économiques.

Pour nous consoler, nous pourrons toujours admirer la Tour Eiffel qui, pour fêter la Présidence européenne de la France, sera illuminée en bleu. C’est d’ailleurs certainement LA mesure française que retiendront le plus les Européens au cours des six prochains mois.

L’apport principal de la France à la construction européenne ne sera donc ni dans l’économie ni dans le politique, mais dans le bling bling. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

France : après la croissance molle, la récession ?


Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Tel pourrait être la leçon de chose apportée par l’INSEE lors de la révision des chiffres du premier trimestre 2008. En effet, alors que la première version avait fait « jubiler » Madame Lagarde, cette dernière risque désormais de déchanter. En effet, selon les nouveaux chiffres de l’INSEE, la croissance n’a pas été de 2,2 % en 2007, mais de 2,1 %, et surtout celle du premier trimestre 2008 n’a pas été de 0,6 % mais de 0,5 %.

A priori anodines, ces révisions sont cependant lourdes de conséquences. En effet, au sortir du premier trimestre, l’acquis de croissance pour cette année n’est désormais plus de 1,4 % comme précédemment annoncé, mais de 1,2 %. Autrement dit, la perspective d’une croissance de plus de 1,7 % cette année s’éloigne de plus en plus.

Pis, annoncée initialement en hausse de 0,1 %, la consommation a finalement réalisé une croissance zéro au premier trimestre 2008, sa plus mauvaise performance depuis le premier trimestre 1997. Une consommation qui a d’ailleurs été sauvée in extremis par les services, car la consommation de biens a reculé de 0,9 % au premier trimestre.

En outre, il faut également noter que, hors stocks et commerce extérieur, la croissance française n’a été que de 0,2 % au premier trimestre.

Enfin, l’une des principales informations de ces comptes nationaux détaillés réside dans la dégradation du pouvoir d’achat. Ainsi, l’INSEE nous annonce qu’après avoir progressé de 3 % en 2007, le pouvoir d’achat des Français a stagné au premier trimestre. Autrement dit, après avoir été principalement « dans la tête des Français », la dégradation du pouvoir d’achat est désormais aussi dans les statistiques de l’INSEE. C’est dire que la situation effectivement vécue par de nombreux ménages français doit être particulièrement difficile.

Et ce n’est malheureusement pas terminé.

Certes, contre toute attente, la consommation des ménages a progressé de 2 % en mai, en dépit des ponts et du mauvais temps, ou peut-être grâce à ces deux éléments…

En revanche, après deux mois de baisse, en l’occurrence – 2 % en mars avril, la remontée de mai ne fait que corriger l’atonie passée. Ainsi, sur trois mois, la consommation fait du surplace. Cela confirme donc que la croissance du PIB ne pourra plus compter sur un dynamisme durable de la consommation.

Le surplace est aussi à l’ordre du jour en matière de climat des affaires dans l’industrie. En se stabilisant a 102, celui-ci confirme la forte baisse des derniers mois, montrant par la même que la croissance industrielle restera très molle sans pour autant s’effondrer. Du moins pour l’instant. Car la dégradation prolongée des perspectives générales de production des industriels français appelle à la prudence.

La croissance sur la mauvaise pente.

Sources : INSEE

Bien plus grave, le nouveau plongeon des mises en chantier et des permis de construire devient de plus en plus inquiétant. En retrouvant des planchers historiques, ces deux agrégats confirment que la bulle immobilière française est bien en train de se dégonfler et surtout d’impacter directement l’activité dans la construction. Or, cette dernière a été l’un des moteurs principaux de la consommation des ménages, donc la croissance. Pis la remontée des taux et la fragilisation des banques françaises devraient aggraver cette tendance.

Le dégonflement de la bulle immobilière se confirme.

Sources : INSEE

Enfin, l’écroulement abyssale de la confiance des ménages qui a encore atteint un nouveau plancher historique en juin interdit tout espoir de retour significatif de la croissance forte à moyen terme.

Et ce d’autant que les ménages français se déclarent de plus en plus inquiets quant à leur situation actuelle et leur perspectives de niveau de vie en France et de situation financière personnelle.

Conséquence logique de ces inquiétudes, l’indice décrivant les opportunités de faire des achats importants s’est encore effondré en juin, atteignant évidemment un nouveau plus bas historique et annonçant par là même que les soldes d’été risquent d’être particulièrement difficiles.

Où s’arrêtera la défiance ?

Sources : INSEE

En fait, compte tenu de l’ensemble de ces évolutions bien peu réjouissantes, le PIB français pourrait même stagner, voire reculer sur un ou deux trimestres d’ici 2009.

Dans ce cadre, nous confirmons notre prévision d’une croissance économique française comprise entre 1,5 % et 1,7% cette année. Quant à 2009, nos premières estimations indiquent que la croissance ne devrait pas dépasser son niveau de 2008.

A la veille de prendre la Présidence de l’Union Européenne, la France se rapproche donc de plus en plus de la récession. Piètre consolation, ce mouvement n’est pas seulement franco-français mais également eurolandais. L’honneur est sauf…

Marc Touati

 

 

 



Et les marchés dans tout ça ?

Fed-BCE : le match continue.


Qu’il s’agisse de Ben Bernanke ou de Jean-Claude Trichet, les deux premiers banquiers centraux de la planète paraissent droits dans leurs bottes. Mais, sans surprise, ces bottes sont particulièrement différentes.

En effet, outre-Atlantique, le Président de la Fed paraît relativement serein. Il donne le sentiment d’avoir accompli son job : en abaissant son taux objectif des federal funds de 5,25 % à 2 % en sept mois, il a effectivement permis à l’économie américaine d’éviter le krach et de retrouver le chemin d’une croissance de plus en plus soutenue, surtout à partir du troisième trimestre 2008.

Dans ce cadre, il peut maintenir le statu quo monétaire sans remord ni regret. Pour autant, le resserrement des taux de la Fed est loin d’être d’actualité. En effet, se stabilisant autour des 2,3 % depuis le début de cette année, l’inflation sous-jacente reste toujours sous l’objectif implicite de la Fed (en l’occurrence 2,5 %).

De même, tant que le chômage augmente, la Fed ne peut augmenter ses taux directeurs. Mieux, le graphique ci-dessous rappelle que la Fed n’a jamais resserré son étreinte en phase d’augmentation du chômage et qu’au surplus, elle a toujours attendu l’enclenchement d’un mouvement de baisse de ce dernier avant de se lancer dans une augmentation de ses taux directeurs.

Or, l’emploi étant une variable retardée de l’activité, le chômage américain ne retrouvera le chemin de la baisse qu’à partir de septembre-octobre 2008 dans le meilleur des cas.

La Fed ne montera pas ses taux tant que le chômage ne baissera pas.

Sources : BLS

Dans ce cadre, il paraît clair que la Fed maintiendra le statu quo monétaire au moins jusqu’à l’automne prochain. Nous anticipons ainsi que la Fed remontera son taux objectif des federal funds de 25 centimes lors du FOMC du 16 décembre.

Cette hausse ira de pair avec la remontée du glissement annuel du PIB à partir du troisième trimestre, mais aussi avec l’avènement du nouveau Président des Etats-Unis.

Car, si la Fed est évidemment indépendante, il est néanmoins très rare qu’elle augm