C’est certainement LA révolution économique (du moins en apparence) de l’actuelle législature, à savoir l’interdiction constitutionnelle du déficit budgétaire en France. Malheureusement, et comme souvent dans l’histoire économico-politique française, cette révolution n’est qu’apparente et relève plus de la communication politique que de la crédibilité économique. Tout d’abord, si elle votée, cette réforme ne s’appliquera qu’à l’horizon 2012. D’ores et déjà, il est donc clair que les dirigeants actuels du pays n’auront pas à gérer cette « révolution » apparente, à moins qu’ils soient tous reconduits au pouvoir en 2012.
En outre, au-delà du choc des mots, la réalité de cette annonce est beaucoup moins percutante qu’on pourrait le penser. Ainsi, le texte prévoit que « les projets de loi de finances ne peuvent être présentés ni adoptés en déficit de fonctionnement, apprécié dans un cadre pluriannuel ». Cela signifie donc qu’il s’agit du déficit hors dépenses d’investissement. Toute la difficulté sera alors d’isoler ces dernières des autres. Mieux, dans la mesure où le cadre est pluriannuel, on peut imaginer que le solde des comptes publics sera lissé sur plusieurs années sur la base d’une hypothèse de croissance sur cette même période. Or, s’il est déjà difficile de faire des prévisions de croissance à un an, la tâche sera encore plus rude sur trois ou cinq ans. D’ailleurs, depuis 2001, toutes les lois de finances ont été réalisées et votées sur la base d’une prévision de croissance d’environ 2,3 %. Il est clair qu’avec une telle performance annuelle sur cinq ans, le déficit aurait été nettement réduit. La réalité a évidemment été toute autre, avec une croissance moyenne de 1,8 % par an et un déficit qui s’est logiquement creusé, pour atteindre un niveau annuel moyen de 2,9 % du PIB. N’oublions pas que, depuis une vingtaine d’années, la quasi-totalité des gouvernements français ont annoncé l’atteinte d’un équilibre budgétaire à l’horizon cinq ans. En vain…
De plus, l’anti-constitutionalité ne concernerait que le budget de l’Etat et non les administrations locales et sociales. Et pour cause : les déficits de ces dernières sont pour le moment structurellement faibles (respectivement 0,4 % et 0,1 % du PIB en 2007, contre 2,2 % du PIB pour les administrations centrales). Malheureusement dans ce cas précis, le passé se répète rarement à l’identique et, compte tenu du vieillissement de la population et du dérapage des dépenses des collectivités locales, sans parler du financement des retraites (qui devra bien être assuré par les administrations publiques, fautes d’actifs suffisamment nombreux), il est clair que les déficits sociaux et locaux sont appelés à se creuser de plus en plus. Autrement dit, le champ de cette éventuelle réforme constitutionnelle risque de passer à côté de l’essentiel.
Ensuite et du point de vue de l’efficacité économique, il ne faut pas oublier que, si l’objectif d’un déficit zéro est évidemment louable, le budget est aussi une arme de politique économique. En d’autres termes, si en situation normale, les comptes publics doivent absolument être à l’équilibre ou en excédent, il existe des situations exceptionnelles de crise ou de récession qui justifient l’utilisation temporaire de l’arme budgétaire pour relancer la machine. Si cette arme devient anticonstitutionnelle, sachant que l’arme monétaire et l’arme du change sont déjà hors d’usage, il ne restera donc plus grand chose pour faire face à des situations difficiles. C’est bien là qu’est tout le problème d’une réglementation économique trop stricte. En effet, l’économie n’étant pas une science exacte mais humaine et qui, de surcroît, évolue avec le temps et le contexte international, il est clair que toute rigidité est par définition source d’inefficacité.
Enfin et d’un point de vue pragmatique, il faut bien prendre conscience que l’atteinte d’un équilibre budgétaire dans l’Hexagone, même en 2012, est actuellement irréalisable. En effet, cela supposerait qu’à recettes fiscales inchangées, l’Etat s’engage dans une réduction de ses dépenses d’au moins 50 milliards d’euros. Or, lorsque l’on voit les difficultés avec lesquelles les dirigeants actuels ont « réussi » à faire passer une baisse des dépenses publiques de 7 milliards d’euros à l’horizon 2011, la perspectives d’une réduction de 50 milliards d’euros a de quoi laisser songeur. Et ce, a fortiori si on se souvient qu’au cours des six dernières années, les dépenses de fonctionnement de toutes les administrations publiques ont augmenté d’environ 67,9 milliards d’euros, soit 11,3 milliards d’euros par an…
Pour l’ensemble de ces raisons, il est donc malheureusement évident que l’annonce de l’interdiction constitutionnelle des déficits budgétaires en France tient plus de l’effet d’annonce (notamment à destination des instances européennes et ce à quelques semaines du début de
En effet, avant de se fixer un objectif ambitieux, il faut s’en donner les moyens. Et, à l’instar des politiques pratiquées depuis vingt cinq ans dans l’Hexagone, ce n’est certainement pas les mesures de colmatages de brèches annoncées dernièrement qui permettront d’atteindre l’équilibre budgétaire. Pour y parvenir, il faut au contraire agir en amont des déficits, c’est-à-dire au niveau du fonctionnement des administrations publiques. Et ce, notamment, en introduisant des règles d’efficacité économique qui font qu’une dépense n’est engagée que si son efficacité économique et/ou sociale est prouvée. En outre, cette révolution doit également passer par un système de péréquation des dépenses qui permettrait de réallouer les fonds d’une administration en excédent vers une administration en déficit plutôt que de forcer la première à dépenser des fonds dont elle n’a plus besoin et à condition que ces sommes soit réallouées de façon efficace. Autrement dit, il suffirait d’introduire simplement un peu de bon sens et d’optimisation des dépenses dans les administrations publiques pour que ces dernières atteignent rapidement et durablement l’équilibre.
Marc Touati