Consommation et déficit en France, pétrole fou : les temps sont durs (E&S n°42)

L’humeur :

Le déficit interdit.

C’est certainement LA révolution économique (du moins en apparence) de l’actuelle législature, à savoir l’interdiction constitutionnelle du déficit budgétaire en France. Malheureusement, et comme souvent dans l’histoire économico-politique française, cette révolution n’est qu’apparente et relève plus de la communication politique que de la crédibilité économique. Tout d’abord, si elle votée, cette réforme ne s’appliquera qu’à l’horizon 2012. D’ores et déjà, il est donc clair que les dirigeants actuels du pays n’auront pas à gérer cette « révolution » apparente, à moins qu’ils soient tous reconduits au pouvoir en 2012.

En outre, au-delà du choc des mots, la réalité de cette annonce est beaucoup moins percutante qu’on pourrait le penser. Ainsi, le texte prévoit que « les projets de loi de finances ne peuvent être présentés ni adoptés en déficit de fonctionnement, apprécié dans un cadre pluriannuel ». Cela signifie donc qu’il s’agit du déficit hors dépenses d’investissement. Toute la difficulté sera alors d’isoler ces dernières des autres. Mieux, dans la mesure où le cadre est pluriannuel, on peut imaginer que le solde des comptes publics sera lissé sur plusieurs années sur la base d’une hypothèse de croissance sur cette même période. Or, s’il est déjà difficile de faire des prévisions de croissance à un an, la tâche sera encore plus rude sur trois ou cinq ans.

D’ailleurs, depuis 2001, toutes les lois de finances ont été réalisées et votées sur la base d’une prévision de croissance d’environ 2,3 %. Il est clair qu’avec une telle performance annuelle sur cinq ans, le déficit aurait été nettement réduit. La réalité a évidemment été toute autre, avec une croissance moyenne de 1,8 % par an et un déficit qui s’est logiquement creusé, pour atteindre un niveau annuel moyen de 2,9 % du PIB. N’oublions pas que, depuis une vingtaine d’années, la quasi-totalité des gouvernements français ont annoncé l’atteinte d’un équilibre budgétaire à l’horizon cinq ans. En vain…

De plus, l’anti-constitutionalité ne concernerait que le budget de l’Etat et non les administrations locales et sociales. Et pour cause : les déficits de ces dernières sont pour le moment structurellement faibles (respectivement 0,4 % et 0,1 % du PIB en 2007, contre 2,2 % du PIB pour les administrations centrales). Malheureusement dans ce cas précis, le passé se répète rarement à l’identique et, compte tenu du vieillissement de la population et du dérapage des dépenses des collectivités locales, sans parler du financement des retraites (qui devra bien être assuré par les administrations publiques, fautes d’actifs suffisamment nombreux), il est clair que les déficits sociaux et locaux sont appelés à se creuser de plus en plus. Autrement dit, le champ de cette éventuelle réforme constitutionnelle risque de passer à côté de l’essentiel.

Ensuite et du point de vue de l’efficacité économique, il ne faut pas oublier que, si l’objectif d’un déficit zéro est évidemment louable, le budget est aussi une arme de politique économique. En d’autres termes, si en situation normale, les comptes publics doivent absolument être à l’équilibre ou en excédent, il existe des situations exceptionnelles de crise ou de récession qui justifient l’utilisation temporaire de l’arme budgétaire pour relancer la machine. Si cette arme devient anticonstitutionnelle, sachant que l’arme monétaire et l’arme du change sont déjà hors d’usage, il ne restera donc plus grand chose pour faire face à des situations difficiles. C’est bien là qu’est tout le problème d’une réglementation économique trop stricte. En effet, l’économie n’étant pas une science exacte mais humaine et qui, de surcroît, évolue avec le temps et le contexte international, il est clair que toute rigidité est par définition source d’inefficacité.

Enfin et d’un point de vue pragmatique, il faut bien prendre conscience que l’atteinte d’un équilibre budgétaire dans l’Hexagone, même en 2012 est actuellement irréalisable. En effet, cela supposerait qu’à recettes fiscales inchangées, l’Etat s’engage dans une réduction de ses dépenses d’au moins 50 milliards d’euros. Or, lorsque l’on voit les difficultés avec lesquelles les dirigeants actuels ont « réussi » à faire passer une baisse des dépenses publiques de 7 milliards d’euros à l’horizon 2011, la perspectives d’une réduction de 50 milliards d’euros a de quoi laisser songeur. Et ce, a fortiori si on se souvient qu’au cours des six dernières années, les dépenses de fonctionnement de toutes les administrations publiques ont augmenté d’environ 67,9 milliards d’euros, soit 11,3 milliards d’euros par an…

Pour l’ensemble de ces raisons, il est donc malheureusement évident que l’annonce de l’interdiction constitutionnelle des déficits budgétaires en France tient plus de l’effet d’annonce (notamment à destination des instances européennes et ce à quelques semaines du début de la Présidence française de l’Union) que du réalisme et de l’efficacité économiques.

En effet, avant de se fixer un objectif ambitieux, il faut s’en donner les moyens. Et, à l’instar des politiques pratiquées depuis vingt cinq ans dans l’Hexagone, ce n’est certainement pas les mesures de colmatages de brèches annoncées dernièrement qui permettront d’atteindre l’équilibre budgétaire. Pour y parvenir, il faut au contraire agir en amont des déficits, c’est-à-dire au niveau du fonctionnement des administrations publiques. Et ce notamment, en introduisant des règles d’efficacité économique qui font qu’une dépense n’est engagée que si son efficacité économique et/ou sociale est prouvée. En outre, cette révolution doit également passer par un système de péréquation des dépenses qui permettrait de réallouer les fonds d’une administration en excédent vers une administration en déficit plutôt que de forcer la première à dépenser des fonds dont elle n’a plus besoin et à condition que ces sommes soit réallouées de façon efficace. Autrement dit, il suffirait d’introduire simplement un peu de bon sens et d’optimisation des dépenses dans les administrations publiques pour que ces dernières atteignent rapidement et durablement l’équilibre.

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

France : la consommation s’effondre.


La jubilation de Madame Lagarde à la suite de la publication de la croissance mystérieuse du premier trimestre dans l’Hexagone n’aura donc pas fait long feu. Déjà, il y a tout juste une semaine, la faible augmentation de l’emploi au premier trimestre a refroidi les ardeurs.

Mais aujourd’hui, avec l’annonce d’un deuxième mois consécutif de baisse de la consommation des ménages en produits manufacturés, c’est vraiment l’heure du retour à la triste réalité.

Certes, le repli de mars a été révisé en légère baisse de – 1,7 % à – 1 %. Il n’en demeure pas moins qu’avec une nouvelle chute de 0,8 % en avril, la consommation affiche un glissement annuel de 0,4 %, un plus bas depuis septembre 1997 !

Pis, compte tenu de la faiblesse récurrente enregistrée depuis l’automne 2007, le niveau actuel de la consommation des ménages est désormais retombé à son niveau de juin 2007. En d’autres termes, la consommation en produits manufacturés vient de subir une année blanche.

En outre, à l’exclusion de l’équipement du logement qui, après deux mois d’atonie, redémarre quelque peu en avril, tous les postes de la consommation souffrent fortement depuis le début de l’année. A commencer par l’automobile, dont la consommation chute de 6 % depuis le début 2008. Mais si les difficultés de ce secteur ne sont pas nouvelles, celles de l’habillement peuvent surprendre par leur ampleur. Ainsi, la consommation de textile cuir a plongé de 2,9 % en mars et de 3 % en avril. Sur un an, elle s’effondre de 10,2 %. Du jamais vu depuis décembre 1992 !

Malheureusement, ce n’est pas tout. Car, en se repliant tant en mars qu’en avril, la consommation en produits manufacturés affiche une chute de 1,1 % par rapport à la moyenne du premier trimestre. Cela signifie que, même en supposant qu’elle rebondisse en mai-juin (hypothèse forte), la consommation en produits manufacturés subira une baisse conséquente au deuxième trimestre 2008.

Après la faible progression de la consommation totale au sens des comptes nationaux (+ 0,1 %) au premier trimestre, une baisse pourrait donc s’observer au second.

Or, si la consommation baisse et compte tenu d’un effet de rattrapage de la croissance anormalement forte du premier trimestre, le PIB français pourrait bien enregistrer une croissance nulle, voire reculer légèrement au deuxième trimestre.

La débandade ne s’arrêterait d’ailleurs pas là, puisque les planchers atteints par le moral des ménages, la dégradation à venir du pouvoir d’achat, notamment dans le sillage de la nouvelle flambée des cours pétroliers, sans oublier le ralentissement de la demande et de l’offre de crédits ne manqueront pas de limiter la consommation au moins jusqu’à l’automne prochain.

Après avoir été le moteur indéfectible de la croissance française depuis 1998, la consommation est donc bien en train de « déposer les armes ». Et ce ne sont certainement pas les exportations, ni l’investissement logement qui pourront la remplacer.

Tout au plus, l’investissement des entreprises permettra de limiter la casse. Mais, dans la mesure où il s’agit surtout d’investissements de remplacement et de productivité, leur teneur en emplois sera faible, ce qui sera insuffisant pour relancer le pouvoir d’achat et la consommation des ménages.

En d’autres termes, la croissance annuelle du PIB français aura vraiment du mal à dépasser les 1,7 % cette année. L’heure de la jubilation est bien terminée.

 Marc Touati

 

Et les marchés dans tout ça ?

Le pétrole fou va finir par nous coûter cher.


135 dollars pour un baril en mai 2008. Qui l’eut crû ? Pourtant, telle est la triste réalité à laquelle nous sommes désormais confrontés. Certes, pour les pays producteurs de pétrole pour qui le baril coûte 10 dollars (en Arabie Saoudite), 15 en Mer du Nord, voire 30 dollars dans le grand nord canadien, la tristesse n’est certainement pas au rendez-vous. De même, pour les Etats qui taxent fortement le fuel et l’essence vendus sur leur territoire, l’heure est aussi à l’augmentation des rentrées fiscales. En revanche, pour les consommateurs, qu’ils soient ménages ou entreprises et, plus globalement, pour la croissance mondiale, la pilule est de plus en plus difficile à avaler.

En effet, si jusqu’à présent, la croissance de la planète a pu absorber les différents chocs pétroliers qui se sont succédé depuis 2000, la facture est désormais particulièrement lourde. Et pour cause : à chaque fois que le baril augmente de 10 dollars en moyenne sur une année, la croissance mondiale perd 0,4 point. Or, depuis 2000, les augmentations annuelles de l’or noir ont très rarement dépassées les 10 dollars. De 18 dollars en 1999, le cours annuel moyen du brent est ainsi passé à 28 dollars en 2000, puis après une stabilisation entre 24 et 28 dollars de 2001 à 2003, ce niveau moyen du baril a atteint 38 dollars en 2004, puis 54 en 2005, 65 en 2006, et enfin 72 en 2007. Mais pour 2008, la donne est complètement différente puisque, de janvier à aujourd’hui, le cours moyen du brent atteint 105 dollars.

Autrement dit, si jusqu’à présent, la croissance mondiale a pu digérer sans trop d’encombre l’augmentation progressive des cours de l’or noir, il est clair que les coûts de la récente flambée seront beaucoup plus forts qu’au cours des années précédentes. Non seulement parce qu’à ses niveaux actuels, le prix du baril devient vraiment prohibitif en termes de consommation. Mais aussi, parce que son augmentation n’a jamais aussi forte. Ainsi, en faisant l’hypothèse, peut-être optimiste d’ailleurs, que la moyenne du cours du baril ne dépassera pas les 105 dollars cette année, la croissance mondiale sera directement amputée d’environ 1,3 point cette année.

Un baril déconnecté de la réalité économique.

 

Cela signifie donc qu’elle pourrait passer sous les 4 %, à environ 3,5 %, un plus bas depuis 2003. Quant à la croissance française, elle pourrait repasser sous les 1,5 % très rapidement.

Dans ces conditions, il est d’ores et déjà clair que l’augmentation des cours du baril est plus qu’excessive, c’est-à-dire absolument hors norme au regard du ralentissement qui est en train de se dessiner.

Pis, si certains imaginent encore que la demande de pétrole est actuellement trop forte par rapport à l’offre, les chiffres officiels de l’IAE montre complètement le contraire. Autrement dit, il existe actuellement un excès d’offre sur les marchés pétroliers internationaux.

Il n’y a absolument pas de pénurie de pétrole.

Il n’y a donc pas de doute : la flambée actuelle des prix du pétrole relève de la bulle spéculative. Or, l’histoire des bulles nous a appris que c’est toujours lorsque ces dernières touchent à leur fin qu’elles deviennent les plus extravagantes. Dans ce cadre, à l’image du Cac à 6950 points en septembre 2000, des niveaux pléthoriques atteints par les prix immobiliers aux Etats-Unis fin 2006 ou encore du niveau du dollar en 1981 (au plus bas) ou en 1985 (au plus haut), le baril à plus de 130 dollars reste selon nous un indicateur avancé de la baisse future des cours de l’or noir.

Dans dix ans ou cinquante ans, lorsqu’il n’y aura plus de pétrole, au dire de certains, il s’agira d’une autre paire de manches. Mais pour le moment, le prix du baril n’a pas de sens économique et doit donc logiquement se replier dans les prochains mois, au moins vers les 100 dollars.

C’est d’ailleurs certainement parce qu’ils sont conscients de cette sur-évaluation et par là même de ce risque de correction, les pays producteurs de pétrole refusent toujours d’augmenter leur quota de barils quotidiens. On ne peut d’ailleurs finalement pas les en blâmer : ils vivent déjà très bien comme ça et il n’y a absolument pas de pénurie de pétrole dans le monde. Nous n’avons donc d’autres choix que de patienter.

Marc Touati


 


Les évènements à suivre du 26 au 30 mai :

Encore une semaine de tensions.


Après le relatif calme de la semaine dernière en termes de quantité de statistiques publiées mais pas de stress sur les marchés, la densité économico-statistique des cinq prochains jours devrait encore monter d’un cran. Ainsi, les marchés resteront tendus et attentifs aux statistiques de confiance et de revenu des ménages aux Etats-Unis (respectivement mardi et vendredi). Ils surveilleront également de près l’évolution des  carnets de commandes d’avril (mercredi) et la seconde version des comptes nationaux américains du premier trimestre (jeudi).

Enfin, après la surprise de la remontée du climat des affaires de l’enquête IFO de mai la semaine dernière, nous saurons vendredi, avec la publication des enquêtes dans la zone euro, si le mouvement allemand est généralisé.

Mardi 27 mai, 8h45 (heure de Paris) : nouvelle baisse du climat des affaires en France.

Après avoir déjà perdu deux points en avril, l’indice du climat des affaires de l’enquête INSEE dans l’industrie française devrait encore en perdre deux en mai. Il se situerait ainsi à un niveau de 104, contre 106 en mars et 110 en novembre dernier. Le ralentissement de la consommation, la hausse des cours du baril et le niveau excessif de l’euro constitueraient les principaux éléments constitutifs de cette baisse.

Mardi 27 mai, 16h : nouveau repli de la confiance des ménages aux Etats-Unis.

D’août 2007 à a