Au tournant des années 2000, Ankara a eu grand besoin du FMI. La crise turque peut en effet être vue comme une illustration des déséquilibres de l’architecture financière globalisée moderne. Durant la décennie 1990, le pays a connu une phase de croissance certes soutenue mais initiatrice de déséquilibres structurels profonds – explosion de l’inflation, creusement du déficit budgétaire, échec des plans de stabilisation engagés dans le cadre de la candidature turque à l’UE, augmentation de la dette extérieure… En décembre 2000, les taux flambent, la situation dérape. Afin d’éviter un effondrement financier, le Fonds accorde immédiatement un prêt de 10 milliards de dollars pour faire face aux engagements à court terme – de l’ordre de 46 milliards.
Les difficultés de la devises conduisent en juillet 2002 le FMI à concéder un prêt de 16 milliards de dollars sur trois ans. Une enveloppe qui s’ajoute aux 20 milliards déjà prêtés en 1999.
En contrepartie, le Fonds attend une accélération des réformes structurelles. La plupart d’entre elles sont menées ; l’excédent primaire est réduit ; l’inflation contenue – dans une cible de 35 % en 2002 tout de même – ; le système bancaire assaini…
A l’époque, l’action du FMI en Turquie justifiait pleinement le rôle de l’institution internationale : gérer les crises monétaire et financière en fournissant des crédits aux pays qui connaissent des difficultés telles qu’elles mettent en péril leur organisation, la stabilité de leur système financier ou leurs flux d’échanges de commerce international. Dans le texte, le rôle du Fonds est de « garantir la stabilité financière » mais aussi de « promouvoir la coopération monétaire internationale, (..) de faciliter les échanges internationaux, de contribuer à un niveau élevé d’emploi et à la stabilité économique et de faire reculer la pauvreté ».
A la fin des années 1990, le FMI n’a d’ailleurs pas chômé : crise asiatique, russe, brésilienne, argentine. Il a pu utiliser toute la palette de ses compétences pour éteindre les coups de chaleur d’une économie globalisée où la financiarisation commence à faire ses premières étincelles.
Malgré le contexte économique mondial plus que morose depuis l’été dernier, « l’économie turque a maintenu des performances raisonnablement bonnes » « faisant preuve de résistance et les flux d’investissements directs restant dynamiques », estime le directeur général du FMI, Dominique Strauss Kahn.
Convalescente,
Que va désormais faire le FMI, lui qui voit ses malades soit se rétablir soit signer leurs bons de sortie prématurément – début 2007, plusieurs pays d’Amérique Latine ont remboursé par anticipation leurs dettes, se délestant par là même de la tutelle, parfois jugée étouffante, du Fonds ? L’institution manque de plus en plus de « clients ». Depuis sa création en 1944, le FMI tirait l’essentiel de ses ressources et une grande part de sa légitimité des prêts qu’il consentait aux Etats en difficulté. Mais la sévérité des conditions dont il assortissait ses crédits, l’accès plus facile des pays émergents au marché de la dette, l’amélioration de la situation économique de certains de ses « élèves » ont rendu ses remèdes peu attractifs.
Le Fonds traverse une crise de gouvernance à la fois politique et budgétaire. L’institution a perdu en légitimité et en crédibilité. Son coffre-fort se vide peu à peu car les remboursements anticipés de la dette de pays qui étaient traditionnellement des gros emprunteurs diminuent d’autant ses recettes. De fait, les baisses de crédits distribués depuis près d’une décennie et les remboursements anticipés signifient une décrue des intérêts versés par les débiteurs, donc une baisse des ressources. C’est un cercle vicieux. En outre, les pays émergents ont accumulé des réserves de change suffisantes pour supporter toute éventuelle crise monétaire. Faute d’incendies, les affaires ne marchent pas fort pour le pompier.
Ces constats interrogent quant l’avenir du FMI mais aussi de
Le commerce extérieur du pays pourrait pâtir de la mauvaise conjoncture économique mondiale – sa forte dépendance aux flux de capitaux étrangers l’expose aux sautes humeur des investisseurs – et devrait souffrir d’une concurrence accrue des pays émergents, comme
Si la restructuration du système bancaire a assaini le secteur, tous les risque systémiques n’ont pas été éliminés et le transfert des vulnérabilités bancaires vers les finances publiques pourrait les faire ressurgir en cas de choc macro-économique. En outre, les besoins en financement sont élevés et la dette publique est sous pression.
Enfin, malgré un certaine stabilité politique, des progrès politiques et sociaux sont encore à faire au sein de cette mosaïque culturelle et cultuelle héritée de l’Empire ottoman.
Du côté du FMI, cette situation repose la question de ses missions alors que Dominique Strauss-Khan a entrepris un lifting complet – mais douloureux – de l’organisation de Bretton Woods.
En Turquie, va désormais s’ouvrir une « une période de surveillance renforcée » des perspectives et politiques économiques nationales par le Fonds, sans nouvelle perfusion financière donc. Attention à toute rémission.
Alexandra Voinchet