En mai, fais ce qu’il te plaît.
Ce dicton populaire bien connu a rarement été aussi juste qu’en ce mois de mai 2008. Non parce qu’il correspond au quarantième anniversaire de mai 68. Non parce que le printemps semble enfin arriver dans le ciel hexagonale. Non parce que les investisseurs boursiers semblent également retrouver quelque espoir. Mais surtout parce que le nombre de jours travaillés risque d’être l’un des plus faibles de l’histoire française récente. En effet, le hasard du calendrier a fait en sorte que les 1er et 8 mai sont tombés un jeudi, permettant à bon nombre de salariés de « faire le pont » en intégrant un vendredi qui est déjà bien souvent considéré comme acquis « grâce » aux fameuses RTT.
De même, alors qu’il avait été précédemment déclaré jours de solidarité, le lundi de pentecôte est redevenu férié, permettant ainsi à certains salariés français de réaliser un pont allongé, voire un « viaduc de Millau » entre le 8, voire le 1er et le 12 mai inclus.
Mais ce n’est pas tout car, les enseignants ayant décidé de faire grève le 15 mai, certains parents risquent, cette fois-ci contraints et forcés, de devoir prolonger leurs aqueducs jusqu’à cette date, en espérant que la grève ne s’éternise pas. En outre, pour ne rien arranger dans ce mois de mai gruyère où les trous sont plus importants que le fromage, le tournoi de Roland Garros commencera le 26 mai, avec son lot traditionnel d’absentéisme officiel et officieux.
Enfin, et pour prolonger le plaisir en juin, les internationaux de France de tennis seront immédiatement suivis par l’Euro 2008 de football. Autant dire que, depuis le lundi de Pâques qui, cette année, est en plus tombé très tôt, en l’occurrence le 24 mars, et jusqu’au mois de juin, donc jusqu’au mois de septembre (les mois de juillet-août étant traditionnellement au ralenti dans l’Hexagone), la motivation au travail ne sera pas des plus fortes.
Dans ce cadre, les entreprises sont parfois incitées ou obligées de réduire les cadences de production, voire tout simplement de suivre le mouvement et de fermer boutique le temps des ponts et/ou d’imposer à leurs salariés de prendre leur RTT ces mêmes jours. Pour les personnes travaillant dans le domaine commercial, principalement dans le B to B (c’est-à-dire dans les relations commerciales professionnelles entre entreprises), il est clair que de tels phénomènes constituent des manques à gagner considérables.
Manque de chance, cette désaffection des forces vives nationales va de pair cette année avec un ralentissement aggravé de la croissance économique mondiale, européenne et française en particulier. Dès lors, ce qui aurait pu être facilement absorbé en temps normal risque de nous coûter plus cher aujourd’hui.
En termes de chiffrage en dixième de point de croissance, il est possible d’estimer que les ponts et viaducs du mois de mai 2008 retireront environ 0,2 point à la croissance française au deuxième trimestre. Cela compensera d’ailleurs largement le 0,1 point de plus obtenu grâce au 29 février.
La question est alors de savoir s’il y aura ou non un effet de rattrapage haussier par la suite. Compte tenu de la faiblesse récurrente du pouvoir d’achat, du ralentissement de fond dans lequel est engagée l’économie française, sans oublier la faiblesse du moral des ménages et des chefs d’entreprise, le scénario du rattrapage est très peu probable. Dès lors, nous continuons d’anticiper une croissance française qui sera d’au mieux 1,4 % cette année.
En fait, il n’y a guère que les professionnels du tourisme et de la restauration qui devraient quelque peu profiter de la situation. Et encore, n’oublions pas qu’avec ou sans pont, lorsque le pouvoir d’achat est faible, les dépenses en hôtellerie, loisirs et restauration ont du mal à flamber. Tout au plus leur légère augmentation réussira-t-elle à compenser une petite partie des pertes enregistrées dans l’industrie et le commerce professionnel.
Il s’agit d’ailleurs peut-être là d’un aperçu de ce qui attend l’économie française à l’horizon des quinze prochaines années. A savoir, de moins en moins d’industrie, de services aux entreprises, de recherche de pointe et aussi de moins en moins de travail. «En échange »,
Peut-être idyllique pour certains, il faut néanmoins savoir que moins un pays travaille, moins son PIB augmente et plus le pouvoir d’achat se dégrade. Au cours des vingt dernières années,
Nous retrouvons là l’une des règles de base de l’économie et plus globalement de la vie : on n’a que ce que l’on mérite. Mais comme le dit la chanson : chacun fait ce qui lui plaît, surtout au mois de mai…
Marc Touati
L’analyse économique de la semaine :
France : le malaise s’aggrave.
Si, d’un point de vue climatique, le printemps semble enfin s’installer dans l’Hexagone, en matière économique, il n’en rien. En fait, l’économie française est en train de passer de l’automne à l’hiver. Ainsi, après l’effondrement de la confiance des ménages, la baisse du moral des chefs d’entreprise, la nouvelle flambée du déficit extérieur et la chute de la consommation des ménages, c’est au tour de la production industrielle de déchanter.
En effet, après déjà deux mois de faible progression, cette dernière a reculé de 0,8 % en mars. Pis, à l’exception de la production énergétique, tous les secteurs industriels ont enregistré une forte baisse de leur production.
A commencer par l’industrie automobile dans laquelle, après avoir déjà plongé de 2,1 % en février, la production a encore chuté de 2,9 % en mars. Cette nouvelle déconvenue confirme que le malaise de l’industrie automobile française s’aggrave et que la relative résistance de la consommation dans ce domaine en France profite principalement aux constructeurs étrangers.
De même, après avoir certes rebondi en février, la production de biens d’équipement et de biens intermédiaires repart à la baisse en mars, avec des résultats peu réjouissants de respectivement – 1,1 % et ‑ 1,7 %. Ces évolutions confirment que l’investissement des entreprises devrait nettement décélérer dans les prochains trimestres.
La mollesse industrielle annonce celle du PIB.
Enfin, il faut également noter qu’après déjà six mois de croissance molle, la production de biens de consommation a également reculé de 0,8 %. Son glissement annuel est ainsi passé dans le rouge, à précisément – 0,6 %. Là aussi, cette triste évolution confirme que la baisse de la consommation des derniers trimestres n’était pas un accident de parcours mais qu’elle est bien appelée à se poursuivre, voire à s’intensifier. Et quand bien même résisterait-elle, la consommation bénéficiera principalement aux produits importés.
Au total, en augmentant de seulement 0,3 % sur l’ensemble du premier trimestre, la production industrielle conforte notre prévision d’une croissance du PIB français d’environ 0,3 % sur ce même premier trimestre.
Pis, la mollesse des indicateurs avancés de la conjoncture (et notamment les enquêtes INSEE dans l’industrie, les services, la construction et celles menées auprès des ménages) souligne que l’activité industrielle mais également celle de l’ensemble de l’économie hexagonale vont encore se dégrader. Dans ce cadre, la croissance du PIB restera faible sur l’ensemble de l’année, avec un niveau moyen d’environ 1,4 %.
La décrue n’est pas terminée.
Sources : INSEE et Datastream
Seul piètre réconfort, ce ralentissement n’est pas que français, mais généralisé à l’ensemble de la zone euro. Ainsi, après un premier trimestre encore relativement correct, les PIB français et eurolandais devraient se rapprocher de la croissance zéro au moins jusqu’au troisième trimestre 2008.
Cette triste réalité tranche évidemment avec le discours de la BCE qui annonce une croissance toujours soutenue dans la zone euro en se concentrant uniquement sur le passé. Or, toute inflexion de politique monétaire prend environ six à neuf mois pour agir sur l’activité. Lorsque les dirigeants monétaires eurolandais se rendront compte de l’ampleur des dégâts, il sera évidemment bien trop tard.
Marc Touati
Et les marchés dans tout ça ?
Une BCE sereine, donc dangereuse.
On a beau se frotter les yeux, il s’agit bien de la réalité : la BCE se déclare sereine quant à la situation économique et financière de la zone euro.
Dans ce cadre, il est hors de question d’infléchir la stratégie monétaire, ou plutôt monétariste, de la BCE, ni même son discours. De quoi donc anticiper un statu quo durable du taux refi, au moins jusqu’à l’été prochain et peut-être même, selon certains, sur l’ensemble de l’année 2008.
Evidemment, nous pourrions nous insurger contre cette stratégie « jusqu’au boutiste » et par là même irresponsable de la BCE. Mais ceci ne servirait à rien. A l’instar de nombreux technocrates et haut-fonctionnaires français et européens, la BCE est sûre d’elle et n’accepte aucune contestation. Elle détient LA vérité et n’a pas à se soucier des difficultés des entreprises eurolandaises et encore moins de celles du « petit peuple ». Quant aux économistes qui osent mettre en cause son intelligence suprême, elle balaie leurs arguments d’un revers de main.
Ils sont d’ailleurs de moins en moins nombreux, puisque de plus en plus d’économistes, voire de journalistes, n’hésitent désormais plus à louer la clairvoyance de la sainte BCE.
Alors que faire ? Pas grand chose, si ce n’est rappeler la réalité économique et financière de la zone euro.
Certes, au premier trimestre, le PIB eurolandais devrait progresser d’environ 0,4 %, soit un niveau acceptable selon certains. Certes, pour le moment, on ne recense pas de banque eurolandaise en grave difficulté.
Mais ceci appartient au passé. Or, dans la mesure où toute action de politique monétaire prend de six à neuf mois pour agir sur l’activité, il devrait être du devoir de la BCE de réagir non par rapport au passé mais par rapport à ce qui risque de nous arriver.
L’Euroland en stagflation.
Sources : Eurostat, Prévisions PIB de T1 à T3 08 : ACDEFI
Ainsi, comme nous l’avons montré la semaine dernière dans ces mêmes colonnes, l’indice de sentiment économique de la zone euro (calculé par la Commission Européenne) annonce une croissance d’environ 1,2 % à l’horizon du troisième trimestre.
Plus la BCE tardera à prendre en compte cette inévitable réalité, plus le ralentissement sera fort et plus la reprise sera difficile à mettre en œuvre.
« Certes, diront certains, mais alors que faire de l’inflation ? » Malheureusement, pas grand chose. En effet, l’actuelle flambée inflationniste s’explique principalement par l’exubérance irrationnelle des marchés des matières premières, qui se traduit notamment par un baril à 124 dollars, alors que la croissance mondiale ralentit et qu’il n’y a aucune pénurie de pétrole dans le monde.
A l’évidence, la BCE ne peut pas grand chose à cette situation et ce n’est pas en refusant de baisser son taux refi qu’elle va faire baisser les cours du baril. C’est même le contraire, puisque sa stratégie maintient le dollar sur des niveaux excessivement bas, alimentant par là même la spéculation sur le baril. Autrement dit, en refusant d’assouplir sa stratégie orthodoxe, soi disant pour lutter contre l’inflation, la BCE alimente au contraire les tensions inflationnistes mondiales.
Dans ces conditions, la zone euro pourra se gratifier cette année de l’atteinte d’une stagflation.
Mais ce n’est pas tout. Car, au-delà des dégâts causés sur la croissance, la politique de la BCE continue de faire souffrir les banques eurolandaises.
La BCE alimente l’inversion de la courbe des taux.
En effet, pour faire leur métier de base, c’est-à-dire la transformation (pour faire simple, il s’agit de se refinancer à court terme et de prêter à long terme en se rémunérant avec le différentiel de taux), les banques ont besoin d’une courbe de taux pentue, c’est-à-dire avec des taux courts inférieurs aux taux longs. Or, depuis neuf mois, les taux à trois mois sont supérieurs aux taux à dix ans.
Cette inversion de la courbe des taux nuit donc massivement au fonctionnement des banques, qui est déjà affecté par la crise des subprimes et celle des marchés financiers au sens large.
Le différentiel de taux s’éternise et devient par là même de plus en plus dangereux
Calculs ACDEFI
Dès lors, les résultats des banques eurolandaises risquent encore de se dégrader. Ce qui aura évidemment des conséquences négatives sur les marchés mais aussi sur l’économie réelle, au travers d’une raréfaction des crédits qui entraînera un net ralentissement de la consommation et de l’investissement.
Ce n’est certainement qu’à partir de ce moment là que la BCE réagira et, comme d’habitude, il sera évidemment trop tard. Mais, bon, puisque la BCE a toujours raison, cela doit certainement être normal…
Marc Touati
Les évènements à suivre du 12 au 16 mai :
La croissance molle s’installe dans la zone euro.
Cette semaine économico-statistique sera chargée, avec notamment les ventes au détail (mardi), l’inflation (mercredi), la production industrielle (jeudi) et les mises en chantier (vendredi) aux Etats-Unis en avril.
Dans la zone euro, l’attention se portera principalement sur le jeudi 15 qui verra la publication des comptes nationaux du premier trimestre 2008 dans les principaux pays de la zone et également pour l’ensemble de cette dernière.
Enfin, notons que le PIB japonais du premier trimestre sera publié le vendredi 16.
Mardi 13 mai, 14h30 (heure de Paris) : les ventes au détail restent faibles aux Etats-Unis.
Après avoir réservé une relative bonne surprise en mars en progressant de 0,2 %, les ventes au détail devraient au mieux stagner en avril. C’est notamment ce qu’indiquent les 27 000 destructions d’emplois dans le commerce de détail ce même mois. Une mauvaise surprise pourrait donc avoir lieu.
Mercredi 14 mai, 8h45 : l’inflation française se calme quelque peu.
Après avoir atteint un sommet de 3,2 % en mars, l’inflation française se replierait à 3 % en avril. Ce ralentissement serait notamment le produit d’un effet de base favorable, les prix à la consommation ayant augmenté de 0,5 % en avril 2007, contre une hausse de 0,3 % attendue en avril 2008.
- En mai, fais ce qu’il te plait.
- La croissance molle s’installe dans la zone euro.