USA/Euroland : Rebond d’un côté, plongeon de l’autre… (E&S n°39)

L’humeur :

France et zone euro : le plongeon.

Il y a parfois des prévisions qu’on souhaiterait ne pas voir se réaliser. Ainsi, il y a un an, alors qu’à l’instar des dirigeants politiques, le consensus des prévisionnistes annonçait une croissance française d’environ 2,3 %, nous paraissions bien pessimistes avec nos 1,8 %, soit seulement 0,1 point de moins que la réalité. Depuis six mois, bis repetita : nous annonçons une croissance de 1,4 % pour cette année et le gouvernement s’est entêté à maintenir sa prévision de 2 à 2,5 % pour finalement la ramener dans une fourchette de 1,7 % à 2 %.

Malheureusement, de nouveaux ajustements baissiers risquent de s’imposer dans les prochains mois. C’est du moins ce que laissent envisager les dernières publications statistiques qui sont décidemment cinglantes. Ainsi, après avoir déjà baissé au quatrième trimestre, puis rebondi timidement en février, la consommation des ménages en produits manufacturés s’est écroulée de 1,7 % en mars. Après avoir été le moteur principal de la croissance française depuis 1998, la consommation est donc bien en train de perdre de sa superbe. Et pour cause : elle a été jusqu’à présent massivement soutenue par un endettement excessif qui commence également à avoir du plomb dans l’aile.

Cette décélération des crédits aura une autre conséquence : le dégonflement de la bulle immobilière. Là aussi, les derniers chiffres disponibles sont affligeants : les mises en chantier de logement et les permis de construire reculent d’environ 30 % par rapport à leur niveau de l’été 2007. Quant aux prix des logements anciens, ils ont commencé à se replier dans certaines régions au quatrième trimestre 2007.

Parallèlement, la confiance des ménages enchaîne les planchers historiques et le moral des chefs d’entreprise dans l’industrie commence également à se replier. En avril, ce dernier a même atteint un plus bas depuis janvier 2007. Pis, les perspectives de créations d’emploi des industriels français ont chuté de 5 points au cours des deux derniers trimestres. En d’autres termes, le plus dur reste à venir et le mouvement d’augmentation du chômage observé depuis deux mois n’est pas un accident de parcours mais bien une tendance durable. Pour être clair : c’est l’heure du plongeon.

Dans ce cadre, c’est-à-dire avec une croissance d’au mieux 1,4 % cette année, une remontée du chômage et en l’absence de réformes significatives en matière de dépenses publiques, le déficit public français devrait aisément atteindre les 3 % du PIB dès cette année. A l’évidence, il serait difficile de faire pire…

D’où une question : comment les équipes de Sarkozy-Fillon vont-elles rebondir ? Si la rupture n’a pas eu lieu il y a un an, ce n’est évidemment pas maintenant qu’elle se produira. Il faudra donc composer avec des déficits publics et une dette publique de plus en plus élevés. Pour relancer la machine, nous n’aurons d’autre choix que d’attendre des soutiens de l’extérieur, qu’il s’agisse de la croissance américaine, de la baisse de l’euro ou encore du recul du prix du baril. En d’autres termes : 2008 est fichue, 2009 peut encore être sauvée de justesse mais ce n’est vraiment qu’en 2010 que le ciel français se dégagera. Du moins, si tout va bien…

Le seul réconfort très relatif réside dans le fait que ce mouvement de dégradation économique est généralisé à l’ensemble de la zone euro. Ainsi, pas un seul pays n’est épargné. Certains sont évidemment plus touchés que d’autres, à commencer par l’Italie et le Portugal, mais aussi l’Espagne et l’Irlande, deux pays qui, après avoir été les champions de la croissance eurolandaise, risquent de pâtir fortement du dégonflement de leurs bulles immobilières respectives.

L’Allemagne ne sera également pas indemne puisqu’en dépit des réformes draconiennes menées depuis six ans, sa croissance repassera sous les 2 % pour avoisiner péniblement la barre des 1,7 % cette année.

Quant à la zone euro, la progression annuelle de son PIB devrait tout juste atteindre 1,6 %. Et encore, là aussi, si tout va bien. Car, si l’on en croît la dernière enquête d’activité de la Commission Européenne pour l’Euroland, de nouvelles déconvenues sont fort probables. En effet, en avril, l’indicateur de sentiment économique a atteint un niveau de 97,1, un plus bas depuis août 2005 et qui est généralement annonciateur d’une croissance eurolandaise inférieure à 1,5 %.

Pendant ce temps, non seulement les Etats-Unis sont en train d’éviter la récession mais, surtout, vont progressivement rebondir. Nous allons donc bien revivre le triste scénario de 2002-2003 : le consensus et les autorités monétaires européennes annonçaient un écroulement des Etats-Unis et une bonne santé eurolandaise, mais c’est l’inverse qui s’est finalement produit. A croire que les Français, Allemands, Italiens et autres Eurolandais ne savent pas tirer les erreurs du passé ou bien tout simplement se satisfont de la croissance molle ou encore sont des adeptes du plongeon…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

L’Oncle Sam fait de la résistance.


Décidément, l’Oncle Sam nous surprendra toujours. Les économistes, commentateurs et autres gourous de la finance mondiale ont beau lui prédire depuis des années et en particulier depuis quelque mois un écroulement sans précédent, le « colosse au pied d’argile » est toujours là.

Cette semaine nous a d’ailleurs donné une parfaite illustration de ce décalage entre les prévisions et parfois même les souhaits de certains et la réalité. En effet, tant annoncée, la récession américaine n’est toujours pas présente et le PIB américain a continué de progresser au premier trimestre 2008. Parallèlement, les indicateurs ISM des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière continuent de surprendre par leur résistance. Enfin, même si les destructions d’emplois sont toujours à l’ordre du jour outre-Atlantique, elles sont de moins en moins fortes, confirmant par là même que la job machine américaine fait, elle aussi, de la résistance.

Certes, l’industrie et la construction continuent de détruire des emplois (respectivement 46 000 et 61 000 en avril). Néanmoins, les services ont retrouvé le chemin des fortes créations, avec 90 000 emplois nets supplémentaires ce même mois. Cela a notamment permis de limiter le nombre total de destructions d’emplois à 20 000, contre 75 000 attendues par le marché.

En outre, cette renaissance, certes encore balbutiante, s’explique principalement par l’augmentation de l’emploi dans les services aux entreprises (+ 39 000) et également dans le secteur financier (+ 3 000). Cette dernière évolution est d’autant plus surprenante qu’elle est concomitante aux nombreux plans de licenciements menés un peu partout outre-Atlantique dans le secteur financier.

Autrement dit, nous sommes toujours très loin du marasme sur le marché du travail américain. D’ailleurs, compte tenu d’un ajustement favorable de la population active, le taux de chômage s’est replié à 5 %, soit un niveau tout à fait compatible avec le plein-emploi.

La Fed empêche la hausse du chômage.

En outre, comme le montre le graphique ci-dessus, l’assouplissement de la Réserve fédérale a été tellement massif qu’il a permis et permettra encore de limiter les destructions d’emplois. En effet, les dernières périodes au cours desquelles la Fed avait été aussi accommodantes correspondaient à des phases de récession avec des taux de chômage de 6 % à presque 8 %. Aujourd’hui, la Fed a vraisemblablement revu en baisse le taux de chômage qu’elle considère comme supportable.

Dans ce cadre, ce dernier devrait continuer d’osciller autour des 5 %, soutenant par là même les revenus et la consommation des ménages.

Le PIB américain progresse toujours.

En attendant, force est de constater que la récession  tant annoncée avec fracas depuis des mois, n’arrive toujours pas à sortir de la tête de certains économistes pour devenir réalité.

Ainsi, après avoir déjà augmenté de 0,6 % (en rythme annualisé) au quatrième trimestre 2007, le PIB américain a réédité la même « performance » au premier trimestre 2008. Certes, il ne s’agit que de la première estimation qui pourrait donc être révisée en baisse. Certes, il est clair qu’avec de tels niveaux, la croissance américaine reste molle. Certes enfin, la faiblesse de l’activité devrait encore rester d’actualité au deuxième trimestre.

Cependant, comparativement aux craintes tant répandues de grave récession, voire de dépression, il faut reconnaître que l’économie des États-Unis fait mieux que résister. D’ailleurs, même le scénario d’une succession de deux trimestres consécutifs de baisse du PIB (définition technique de la récession) devient de moins en moins probable. Bien entendu et sans surprise, la consommation des ménages en biens durables a chuté de 6,1 % au premier trimestre. De même, l’investissement logement s’est encore effondré de 26,7 %, ce qui porte à 34,2 % son écroulement depuis le quatrième trimestre 2005. Enfin, l’investissement en construction des entreprises a reculé de 6,2 % au premier trimestre 2008.

Mais, une fois ces mauvaises nouvelles soulignées, il faut surtout mettre en exergue la résistance, inattendue par son ampleur, des autres composantes du PIB. A commencer par la consommation dans les services qui a augmenté de 3,1 % au premier trimestre, permettant ainsi à la consommation totale de progresser de 1 % sur la même période, alors même que la confiance des consommateurs s’effondrait à des niveaux historiquement bas.

Parallèlement, en dépit d’une baisse de 0,7 %, l’investissement des entreprises en équipements et logiciels défie les annonces d’écroulement de ces derniers mois. De même, après une forte baisse au quatrième trimestre 2007, la formation de stocks a retrouvé le chemin de la hausse dès le premier trimestre 2008.

Au-delà de la résistance de la consommation, ces deux dernières variations constituent d’ailleurs de sérieux remparts contre la récession. En effet, les vecteurs habituels d’une récession résident dans des mouvements de fort désinvestissement et de déstockage massif, eux-mêmes venant corriger des évolutions préalables de surinvestissement et de surstockage. Or, actuellement, ces mouvements excessifs n’ayant pas eu lieu dans un passé récent, il n’y a aucune raison de voir l’investissement en équipements des entreprises et la formation de stock s’effondrer durablement.

Quelle récession ?

Enfin, comme cela ne cesse de s’observer depuis le deuxième trimestre 2007, l’effet dollar faible continue d’améliorer la contribution du commerce extérieur à la croissance, en soutenant les exportations et en amoindrissant les importations.

Mais les bonnes nouvelles ne s’arrêtent pas là, car la résistance de l’économie américaine a pour le moment été autonome, c’est-à-dire sans soutien de la politique économique. Ainsi, ce n’est seulement qu’à partir de maintenant que la forte baisse des taux d’intérêt de la Fed va produire ses effets favorables. De même, la relance budgétaire ne va vraiment jouer qu’à partir du deuxième et surtout du troisième trimestre. Quant à la baisse du dollar, elle jouera encore au moins jusqu’à la fin de l’année. En d’autres termes, l’économie américaine est loin d’avoir utilisé toutes ses cartouches.

Dès lors, dans la mesure où il dispose dès à présent d’un acquis de croissance de 1,1 %, nous continuons d’anticiper que le PIB des États-Unis progressera d’environ 1,8 % en moyenne cette année pour retrouver la barre des 3 % en 2009. Quant au taux de chômage, après avoir culminé autour des 5,2 % au cours de l’été prochain, il devrait repasser sous la barre des 5 % dans un an.

Est-ce qu’un jour, la zone euro et la France arriveront à réaliser de telles performances ? Peut-être, mais pas avant 2012…

 

 

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

La Fed assure, la BCE pressure.


Sans surprise, la Fed a une nouvelle fois abaissé son taux objectif des federal funds lors de son dernier FOMC, mais de seulement 25 points de base, renouant ainsi avec sa politique de petits pas de l’automne dernier. Cette décision confirme que la Réserve fédérale américaine continuera de tout faire pour soutenir la croissance et éviter la récession mais que, désormais, elle ne panique plus et retrouve au contraire une certaine dose de sérénité. Ainsi, elle continue de souligner le risque inflationniste, tout en spécifiant que ce dernier ne doit pas être exagéré et que le soutien de la croissance passe avant tout.

Dans ce cadre, après avoir déjà évité le pire au quatrième trimestre 2007 et au premier de 2008, déjouant par là même de nombreuses prévisions, l’économie américaine va désormais bénéficier à plein de la politique de la Fed et redémarrer sensiblement. En effet, n’oublions pas que toute inflexion de politique monétaire prend de six à neuf mois pour agir sur l’activité. Autrement dit, ce n’est qu’à partir de maintenant que le fort assouplissement monétaire de la Fed va commencer à agir significativement sur l’activité. Dès lors, après une croissance encore molle au deuxième trimestre, le PIB américain devrait nettement rebondir aux troisième et quatrième trimestres. De quoi permettre à la Fed de stopper sa phase d’assouplissement monétaire, voire de l’inverser en fin d’année.

Selon nous, le taux objectif des federal funds pourrait ainsi être abaissé une dernière fois lors du FOMC du 25 juin à 1,75 % (histoire de se couvrir définitivement contre toute mauvaise surprise), pour être ensuite augmenté à 2 % le 29 octobre puis 2,25 % le 16 décembre. Dans le même temps, le glissement annuel du PIB sera passé d’un point bas à 1,5 % au deuxième trimestre pour remonter vers les 2 % au quatrième trimestre, se dirigeant tranquillement vers la barre des 3 %, qui serait franchie dès le printemps 2009.

La Fed fait simplement son boulot…

Sources : BEA, Datastream, Prévisions ACDEFI

 

Si le tunnel américain n’était pas si long qu’annoncé par certains et est même en train de toucher à sa fin, celui de la zone euro ne fait non seulement que commencer, mais surtout risque d’être beaucoup plus long que prévu. En effet, la nouvelle baisse de l’indice de sentiment économique dans la zone euro en avril confirme que la croissance eurolandaise devrait passer sous les 1,5 % d’ici le troisième trimestre 2008. Pis, compte tenu de l’absence de soutien monétaire et budgétaire et d’un euro encore excessivement fort, aucune inversion de tendance ne paraît envisageable avant 2009.

 

Le ralentissement eurolandais s’aggrave.

Sources : Eurostat, Datastream

 

Une fois encore, la BCE a donc eu tort sur toute la ligne. Non seulement, sa politique de resserrement monétaire des années 2006-2007 n’a pas permis d’éviter l’augmentation des pressions inflationnistes (pour la simple raison que ces dernières étaient principalement dues à des tensions spéculatives sur les marchés des matières premières, qu’aucune banque centrale ne peut évidemment contrôler). Mais surtout, l’absence d’anticipation et de réalisme économique de