Un peu à la manière d’un « ne tirez pas sur l’ambulance », les leaders américain, canadien et mexicain se sont érigés en ardents défenseurs du traité de libre-échange nord-américain (ALENA), lors du Partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP), en sommet à La Nouvelle-Orléans. En pleine tourmente financière et économique mondiale, un tel accord suscite des désamours dans chacun des trois pays concernés.
Aux Etats-Unis, les candidats démocrates en lice pour l’investiture, Hillary Clinton et Barack Obama, ont fait de la dénonciation de l’ALENA un thème de campagne. Dans une période où les difficultés économiques arrivent en tête des préoccupations des Américains – avant la présidentielle -, les prétendants à la Maison Blanche accusent l’accord de libre-échange d’avoir délocalisé des emplois américains bien payés au Canada et au Mexique, d’avoir causé la montée des inégalités salariales, bref d’être responsable de la stagnation économique dont souffre la classe moyenne.
Au Canada, on – comprendre les altermondialistes – reproche au gouvernement fédéral son manque de transparence au sujet de l’intégration économique nord-américaine. Là encore, l’ALENA est accusé de favoriser ceux qui sont déjà les mieux lotis et inversement.
Au Mexique, la signature de l’accord a longtemps été perçue comme le symbole de l’ingérence américaine, d’autant plus sous la présidence de Vicente Fox, bien connu pour sa proximité avec Washington – il a été le patron de Coca Cola Mexique. Avant même que l’on parle de « crise alimentaire », au Mexique, l’envolée des prix des matières premières agricoles et la concurrence de produits agricoles américains gracieusement subventionnés ont fait flamber le prix de la tortilla de maïs, aliment de base.
L’ALENA date de 1994. Son but : faire de l’Amérique du Nord une gigantesque zone de libre-échange de centaines de millions de personnes en supprimant la plupart des obstacles au commerce et à l’investissement.
Quinze ans, certains chiffres parlent d’eux-mêmes. Les échanges commerciaux entre le Canada, les États-Unis et le Mexique frôlent les 900 milliards de dollars par an. En 2006, 75 % des exportations canadiennes et 79 % des mexicaines étaient destinés aux Etats-Unis qui, eux, ont exporté pour 380 milliards de dollars de marchandises à leurs deux partenaires privilégiés.
Mais il ne faut pas se voiler la face. Ce flux a davantage bénéficié aux grands groupes qu’aux petites gens. Même s’il a eu créations d’emploi, comme le soutient Felipe Calderon, la redistribution est loi d’avoir été suffisante pour améliorer le cadre de vie mexicain. Sinon, les « maquiladoras », qui commercent d’autant plus facilement avec les Etats-Unis que l’ALENA a créé un nouveau cadre réglementaire, manqueraient de cette main d’ouvre si bon marché qui n’aspire qu’à traverser la frontière avec l’ « eldorado » américain (les fameux « wetbacks »). Au Texas, les villes frontalières ont connu une croissance économique certes remarquable mais loin d’être toujours équitable.
Les candidats démocrates américains n’ont sans doute pas tort de vouloir mettre leur nez dans le dossier, notamment sur les aspects concernant les conditions de travail et l’environnement. Mais n’est-il pas ironique que ce soit l’épouse de celui sous lequel l’accord a vu le jour, Hillary Clinton, qui s’empare du sujet ? Son excuse : « vous savez, aussi intelligent que soit mon mari, il fait des erreurs » !
Il y a fort peu de chances tout de même que l’ALENA soit entièrement remis à plat. L’intelligentsia économique américaine n’abandonnera en effet sans doute pas facilement ses acquis. Et ni le Canada ni le Mexique ne semblent plus disposés à se laisser faire. Ottawa a même prévenu : une attaque de l’ALENA actuel pourrait mettre en péril l’accès privilégié des Américains à certaines ressources énergétiques du Canada. Nul doute à l’heure où le baril d’or noir flirte avec les 120 dollars que l’argument saura faire mouche. Les Etats-Unis regardent avec trop d’envie les sables bitumeux de l’Alberta et les gisements pétroliers off-shore du golfe du Mexique pour froisser ses partenaires.
Par ailleurs, les trois n’auraient guère d’intérêts à se défaire des avantages douaniers conférés par l’appartenance à une même zone de libre-échange sous peine de revenir à un système de l’OMC nettement moins favorable.
Enfin, durant les mois qui lui restent au Bureau ovale, George Bush n’entend aucunement renégocier l’ALENA. Pis, il n’exclut pas de recommencer l’expérience avec la Colombie, ce que le Congrès, à majorité démocrate, ne laissera sans doute pas passer.
Alexandra Voinchet