Bourses, euro, BCE, emploi américain : la fin des temps ? (E&S n°33)

L’humeur :

La fin détend…

Comme nous l’évoquions il y a deux semaines dans cette même rubrique, il est de plus en plus difficile de garder espoir quant à l’évolution de la croissance mondiale et des marchés boursiers internationaux. Au fil des jours, les bataillons de « bearish » se garnissent et les résistants à ce pessimisme généralisé se font de plus en plus rares.

Même Warren Buffett, qui, il y a encore quelques semaines, avait déclaré que le pire était passé et qu’il était désormais temps de revenir sur les marchés boursiers, a fait un virage à 180 degrés, indiquant à présent que la récession américaine est déjà là, qu’elle va s’aggraver, que le dollar va encore chuter et les marchés boursiers dégringoler. A l’évidence, l’oracle d’Omaha n’a vraisemblablement pas digéré le refus de son plan de 800 milliards de dollars proposé pour « sauver » les obligations municipales. De là à jeter dans un mouvement de colère le bébé avec l’eau du bain, il n’y avait qu’un pas, Monsieur Buffett l’a fait !

Lui emboîtant le pas, de nombreux économistes, prévisionnistes et plus globalement une grande majorité d’intervenants sur les marchés ne jurent désormais plus que par le bear market, se disputant le rôle du plus catastrophiste : pour certains, l’économie américaine va donc s’écrouler dans une récession sans précédent, pour d’autres, le krach de 1929 apparaîtra comme une partie de plaisir comparativement à la crise boursière et économique que nous allons connaître dans les prochains mois…

En attendant de sombrer dans un tel marasme, nous devons, dès aujourd’hui, faire face à ce que Keynes appelait les « animal spirits », rendus notamment célèbres par l’allégorie du concours de beauté utilisée pour « modéliser » le fonctionnement des marchés. En effet, dans un climat de forte incertitude (comme c’est le cas aujourd’hui, c’est le moins que l’on puisse dire), les investisseurs ne vont certainement pas prendre le risque de sortir du consensus, préférant avoir tort avec tout le monde que raison tout seul.

Ainsi, à l’instar du concours de beauté au cours duquel les membres du jury ne votent pas pour la personne qu’ils trouvent la plus belle mais pour celle qu’ils pensent que les autres vont élire, les marchés votent aujourd’hui majoritairement pour le « côté obscur de la force ». Pour s’en apercevoir, il suffit d’écouter les « stratèges » des banques anglo-saxonnes ou tout simplement de lire le Financial Times qui, à ce rythme, va d’ailleurs bientôt être vendu avec du prozac pour éviter de perdre ses lecteurs par suicide…

Pis, supposés nous éclairer et/ou nous rassurer, les banquiers centraux semblent aller dans le même sens : Ben Bernanke, de plus en plus maladroit, annonce ainsi devant le Congrès qu’il n’est sûr de rien et que certaines banques de petite taille pourraient faire faillite. Nous sommes décidemment très loin du charisme d’Alan Greenspan…

Quant à Jean-Claude Trichet, il continue d’ignorer la réalité en refusant la moindre inflexion de sa politique monétaire. Son argument est simple : les méchants spéculateurs doivent payer et il est donc hors de question de les aider en desserrant l’étreinte monétaire de la BCE. Le problème réside néanmoins dans le fait que le coût de l’actuelle politique eurolandaise ne sera pas supporté par les spéculateurs mais par l’économie réelle, c’est-à-dire par des ménages et des entreprises qui n’ont aucune responsabilité dans les errements des marchés.

Entre une Fed qui est prête à baisser ses taux par dépit sans trop savoir où elle va et une BCE qui sait où elle va, c’est-à-dire dans le mur, il est donc possible de conclure qu’il n’y a plus de pilote sérieux dans l’avion.

Dans ce cadre, le dollar ne peut évidemment que s’écrouler, le baril flamber, les marchés boursiers plonger, aggravant le moral des acteurs économiques et affaiblissant une croissance déjà fragile, d’où une nouvelle vague de baisse des marchés actions, du billet vert… et le cercle pernicieux continue. En d’autres termes, le scénario du pire risque de devenir auto-réalisateur. La fin des temps serait donc bien pour demain…

Néanmoins, quitte à rester, comme en 2002-2003, parmi les derniers résistants au pessimisme noir, nous préférons plutôt regarder plus loin, c’est-à-dire vers le second semestre 2008 et a fortiori la fin d’année. Car, à partir de mai-juin prochains, l’économie américaine commencera à bénéficier du policy mix accommodant et par là même à rebondir. Dès lors, les investisseurs se ressaisiront et reprendront le sens des réalités et des responsabilités, en délaissant les stratégies court-termistes et la spéculation sur les marchés de matières premières pour retrouver leur rôle, à savoir le financement de l’économie. De quoi relancer l’économie américaine et les marchés dès l’été prochain, mouvement qui s’amplifiera en fin d’année.

C’est pourquoi, plutôt que d’annoncer un scénario catastrophe évidemment possible mais loin d’être certain, nous anticipons que la fin 2008 nous permettra de retrouver l’espoir et par là même de nous détendre. Nous pourrons alors dire que la fin des temps aura donc bien été évitée en 2008 et qualifier plutôt cette année par trois autres mots : la fin détend…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La job machine américaine cale.


Si, comme nous venons de l’expliquer, la fin des temps n’est certainement pas pour demain, il faut reconnaître que la job machine américaine n’est vraiment pas au mieux de sa forme. Ainsi, après avoir déjà détruit 22 000 emplois en janvier (contre 17 000 destructions initialement annoncées), elle en a encore supprimés 63 000 en février, soit sa plus mauvaise performance depuis mars 2003.

En outre, à l’exception des seulement 26 000 créations d’emplois recensées dans les services et des 38 000 observées dans les administrations publiques, la grande majorité des secteurs d’activité a été destructrice en février. A commencer par l’industrie manufacturière (- 52 000 emplois nets), mais aussi la construction (- 39 000), sans oublier les services financiers (- 12 000).

Pis, indicateur avancé des ventes au détail et, par là même de la consommation des ménages, l’emploi dans le commerce de détail a baissé de 34 000 personnes. Autrement dit, le cycle des mauvaises nouvelles n’est pas terminé.

Plus globalement, il faut également noter que le glissement annuel de l’emploi total atteint ainsi 0,6 %, un plus bas depuis février 2004, à une époque où le taux objectif des federal funds était encore de 1 %. Sans en arriver là, il est clair que l’actuelle faiblesse du marché du travail américain incitera la Fed à aller de plus en plus loin dans son assouplissement monétaire. Le taux des federal funds sera ainsi réduit au moins à 2 % d’ici le FOMC du 30 avril.

La faiblesse de l’emploi impose à la Fed d’agir encore fortement.

Sources : BLS et Datastream

Pour autant, il ne faudrait pas imaginer que le marché du travail américain soit dans une situation catastrophique. En effet, compte tenu d’un repli notable de la population active, le taux de chômage est reparti à la baisse, à 4,8 %.

Autrement dit, comme le montre le graphique ci-après, nous sommes très loin d’un taux de chômage de récession. Lors des deux dernières récessions américaines, ce dernier était effectivement de 7,8 % en 1991-92 et de 6 à 6,3 % en 2001-2003.

Or, aujourd’hui avec un niveau de 4,8 %, il est toujours possible de dire qu’il s’agit bien d’un taux de chômage de plein-emploi.

A 4,8 %, le taux de chômage reste conforme à une situation de plein-emploi.

Sources : BEA, BLS et Datastream

Confirmant cette situation plutôt appréciable, le taux de salaire horaire continue d’augmenter de 0,3 % par mois. Néanmoins, s’il reste supérieur à 3,5 % son glissement annuel recule légèrement depuis la mi-2007. Ce qui, compte tenu d’une inflation globale de plus de 4 %, se traduit par une légère baisse des salaires réels.

Les salaires augmentent toujours fortement, mais un peu moins que les prix.

Dans ces conditions, il faut s’attendre à un premier trimestre difficile sur le front de la consommation, en attendant des lendemains meilleurs à partir de l’été, en particulier grâce au soutien du policy mix particulièrement accommodant engagé outre-Atlantique.

En d’autres termes, la job machine américaine restera molle pendant encore quelques mois. Il faut s’y préparer sans pour autant oublier que les prémices du rebond sont déjà là.

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

Prise au piège, la BCE joue à la stagflation.


Le climat des affaires dans la zone euro plonge et retrouve des niveaux annonçant une croissance d’au mieux 1,5 %, l’euro atteint des sommets historiques compromettant encore plus l’activité économique de la zone, les banques eurolandaises sont de plus en plus fragilisées, la courbe des taux d’intérêt est inversée, fragilisant davantage ces mêmes banques, les marchés boursiers paniquent, aggravant l’ensemble des risques déjà élevés qui pèsent sur les banques et les économies eurolandaises…

Mais non, rien n’y fait, la BCE reste sourde, aveugle, mais malheureusement pas muette, puisqu’au travers de son Président, elle s’enferre de plus en plus dans sa stratégie obstinée de rigueur monétaire qui tranche de plus en plus avec la réalité économique et financière de l’Euroland.

Une simple question s’impose donc : à quoi joue Jean-Claude Trichet ? Qu’il refuse de baisser son taux refi, passe encore. Les marchés y étaient préparés. Mais, bien loin de s’arrêter là, il adopte de nouveau un discours très « faucon » et par là même très dangereux.

En effet, à l’écouter, la BCE ne baissera pas son taux refi avant longtemps, du moins pas avant l’été prochain. Pourtant, et c’est ce qu’il y a de plus paradoxal dans la stratégie actuelle de la BCE, cette dernière est consciente de la gravité de la situation économique, puisqu’elle a révisé en baisse ses prévisions de croissance pour 2008 et 2009.

Le graphique ci-dessous montre d’ailleurs que depuis 1999, la BCE a toujours joué contre la croissance et qu’elle n’a réagi en baissant ses taux qu’une fois que la croissance eurolandaise s’était effectivement écroulée. Or, ne l’oublions pas, toute inflexion de politique monétaire prend six à neuf mois pour agir sur l’activité. Les tristes expériences des neuf dernières années n’auront donc servi à rien : le BCE paie (ou du moins fait payer à la croissance de la zone euro) pour ne pas comprendre !

BCE : la Banque Contre l’Economie !

Sources : Eurostat et Datastream

Quant à l’inflation, elle ne dépend aucunement de l’activité eurolandaise mais de facteurs internationaux (la flambée spéculative des prix pétroliers et des cours de nombreuses matières premières), exogènes à la zone euro et sur lesquels la BCE, comme toute autre banque centrale, n’a évidemment aucun pouvoir. Le graphique ci-après montre d’ailleurs que la remontée du taux refi n’a été d’aucun secours pour réduire l’inflation, qui a, au contraire, augmenté en dépit des atermoiements Jean-Claude Trichet et de ses acolytes.

La BCE ne peut rien contre l’actuelle inflation.

Sources : Eurostat et Datastream

Autrement dit, la BCE est prise à son propre piège. A force de se focaliser sur l’inflation, elle oublie que son pouvoir sur l’inflation actuelle est très faible. En revanche, son pouvoir sur le niveau de l’euro est très fort et par là même sa capacité à casser encore un peu plus une croissance déjà molle s’accroît de semaine en semaine.

Dans ce cadre, il est possible de dire que la BCE est une Banque qui joue Contre l’Economie, dans la mesure où sa politique va faciliter l’avènement d’une stagflation dans la zone euro, c’est-à-dire la concomitance d’une croissance faible (environ 1,5 % cette année) et d’une inflation supérieure à 2,5 %. En conséquence, non seulement, la BCE ne remplira pas son rôle de limitation de l’inflation, mais en plus elle réduira drastiquement l’activité et l’emploi dans la zone euro.

A partir du moment où les marchés l’auront compris, alors l’euro reprendra le chemin de la baisse, mais entretemps son niveau excessif aura causé pas mal de dégâts. A croire que la BCE prend plaisir à apprécier l’euro bien au-delà de ses niveaux d’équilibre (qui sont rappelons-le de 1,05 dollar selon la parité des pouvoirs d’achat et d’au maximum 1,20 selon le taux de change naturel dit Natrex) et souhaite par là même un effondrement des marchés et de l’économie eurolandaise.

Bien entendu, lorsque la croissance de la zone euro ne sera plus que de 1,5 %, c’est-à-dire dès le premier trimestre 2008, la BCE finira par abaisser son taux refi. Malheureusement, dans la mesure où les comptes nationaux du premier trimestre ne seront connus qu’en mai prochain, elle ne changera sa politique monétaire qu’en juin au plus tôt, ce qui sera évidemment bien trop tard pour relancer la croissance cette année. Une autre simple question se pose donc : jusqu’à quand allons nous supporter une telle irrationalité et une telle irresponsabilité ?

Marc Touati


Les évènements à suivre du 10 au 14 mars :

Il faut s’armer de patience.


Après une fin février et un début mars extrêmement difficiles, cette semaine économico-statistique devrait prolonger ce mouvement.

Ce devrait du moins être le cas en matière de ventes au détail et de prix à la consommation.

De même, dans la zone euro, et notamment en France et en Allemagne, les mauvaises nouvelles devraient continuer de s’accumuler. Et ce dès lundi.

Lundi 10 mars, 8h45 (heure de Paris) : en France, la production industrielle chute et le déficit commercial se creuse.

Après avoir baissé de 1,7 % en novembre, puis rebondi de 0,7 % en décembre, la production industrielle devrait reculer d’environ 1 % en janvier. C’est du moins ce qu’indique la baisse de l’indice de la production passée lors de la dernière enquête de l’INSEE dans l’industrie. De quoi confirmer que la croissance française restera particulièrement molle au cours du premier trimestre.