Euro/dollar, Fed/BCE : jeux dangeureux… (E&S n°32)

L’humeur :

Un euro à 1,5 dollar pour une croissance à 1,5 % !

C’est fait ! Après quelques semaines de repli et de répit, les marchés ont finalement réussi à atteindre un de leurs objectifs tant attendus depuis des mois, en l’occurrence le franchissement de la barre des 1,50 dollar : il faut donc désormais « débourser » 1,52 dollar pour se procurer un euro.

Une fois de plus, les stratégies chartistes, spéculatives et court-termistes ont pris le dessus sur les fondamentaux économiques. En effet, peu importe que le niveau économique justifié de l’euro soit de 1,05 dollar selon la parité des pouvoirs d’achat. Peu importe que celui obtenu par le calcul du Natrex (Natural Exchange Rate, c’est-à-dire le niveau d’équilibre au regard des différences de soldes des comptes courants, d’épargne et de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro) soit compris entre 1,15 et 1,20 dollar. Peu importe également que, sur les trente dernières années, le niveau moyen de l’euro/dollar soit de 1,13. Peu importe enfin que cet euro excessivement cher et, réciproquement, ce dollar de combat accentuent le ralentissement eurolandais et permettent à l’économie américaine de redémarrer encore plus fort. Et ce, sachant que cette dernière dispose déjà des soutiens majeurs du fort assouplissement monétaire de la Fed et d’une relance fiscale de plus de 160 milliards de dollars, alors que l’Euroland ne peut compter que sur les exportations allemandes pour éviter un écroulement massif.

Non, tout ça n’est rien à côté de la volonté des marchés, ou plutôt de leur manque de discernement économique. Certes, les marchés ayant toujours raison, du moins à court terme, c’est plutôt nous qui sommes actuellement dans l’erreur. Dans ce cadre, il faut reconnaître qu’il pourrait être tentant de jeter aux orties nos précédentes prévisions de baisse de l’euro à partir du printemps-été 2008 et de suivre le troupeau en annonçant, nous-aussi, que l’euro se dirige tout droit vers les 1,60 dollar et pourquoi pas vers les 2 dollars… D’ailleurs, les arguments consensuels ne manquent pas : l’économie américaine est en déclin, la Chine va convertir ses réserves de changes en euro, les pays de l’OPEP vont finir par faire payer leur pétrole en euro, la BCE va continuer de refuser de baisser son taux refi, montrant par là même son courage et sa détermination à augmenter la crédibilité de l’Euroland et de sa monnaie. Dans ce cadre, la zone euro va retrouver le chemin du dynamisme économique et reprendre le leadership de l’économie mondiale, loin devant les Etats-Unis…

Oui, nous pourrions retourner nos vestes et adopter un tel discours qui nous permettrait de rester bien au chaud au coin du feu consensuel. Mais, soyez rassurés : nous ne le ferons pas. Pour la simple raison qu’en dehors du vent spéculatif qui balaie les marchés depuis bientôt un an, aucun argument économiquement viable ne peut justifier l’actuel niveau de l’euro face au dollar. A commencer par le comparatif de croissance entre les Etats-Unis et la zone euro. Certes, en 2007, cet écart a été de 0,5 à l’avantage de l’Euroland. Mais, faut-il rappeler qu’au cours des cinq années précédentes, cette différence a été de 6,5 points à l’avantage de l’Oncle Sam ? De même, doit-on souligner une nouvelle fois que, depuis la fin des années 90, la croissance structurelle américaine avoisine les 3,2 %, contre 1,8 % pour celle de la zone euro ?

D’ailleurs, il ne faut pas oublier que ce n’est pas une monnaie forte qui engendre une croissance forte, mais qu’au contraire c’est une croissance forte qui permet de supporter une monnaie forte. Ainsi, même si les exportations allemandes sont peu sensibles à la variation de l’euro (du moins jusqu’à présent), la croissance eurolandaise sera amputée d’environ 0,5 point à cause du renchérissement récent de l’euro. En outre, elle devra affronter toute une série de désagréments particulièrement coûteux : ralentissement de la croissance mondiale, atonie durable de la consommation en Allemagne, dégonflement de la bulle immobilière en France et en Espagne, nouvelle crise économico-politique en Italie, sans parler de l’absence de réforme de l’économie française qui risque d’entraîner cette dernière dans une nouvelle spirale de croissance encore plus faible, suscitant par là même les critiques justifiées de ses voisins et engendrant un risque de désordre politique au sein de la zone euro.

Parallèlement, il faut souligner que la Chine n’a aucunement l’intention de convertir ses réserves de changes du dollar vers l’euro. En effet, pour engager un tel mouvement, la Chine devrait supporter un double risque de change, d’abord en convertissant ses dollars en euros, puis en réalisant l’opération inverse lorsqu’elle souhaitera payer son pétrole ou autres achats à l’étrangers en dollars. De plus, au-delà de ce double risque de change particulièrement inutile, elle devra également supporter les coûts de cette double conversion. De même, l’étalon du pétrole et de la quasi-totalité des matières premières étant le dollar, réaliser ses transactions en euros reviendrait à une prise de risque de change et à des coûts inutiles pour les pays producteurs d’or noir, jaune, vert et autres couleurs…

Enfin, à force de s’obstiner à refuser de baisser son taux refi, la BCE fait certes monter l’euro mais descendre l’économie eurolandaise vers les bas-fonds de la mollesse économique. A l’inverse, grâce à son triple policy mix (taux d’intérêt, change et fiscalité), l’économie américaine va progressivement redémarrer et distancer une Euroland qui pourra être fier de son euro à 1,50 dollar, mais certainement pas de sa croissance à 1,5 %. Une simple question se pose donc : jusqu’à quand les Eurolandais vont-ils être les dindons de la farce ?

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La confiance continue de se dégrader dans la zone euro.


Les marchés ont beau se focaliser sur le soi-disant écroulement de l’économie américaine pour justifier leurs pressions spéculatives haussières sur l’euro/dollar, ils oublient que les perspectives de croissance de la zone euro sont encore plus inquiétantes.

Ainsi, après avoir déjà perdu 9,9 points de juin à janvier derniers, l’indice de sentiment économique de la zone euro calculé par la Commission Européenne a encore reculé de 1,6 point en février. Avec désormais un niveau de 100,1 points, il se situe à un plancher depuis novembre 2005, c’est-à-dire une période au cours de laquelle la croissance eurolandaise avoisinait les 1,5 %. Le graphique ci-dessous est d’ailleurs sans appel : après avoir retrouvé le chemin du ralentissement dès 2007, la croissance de la zone euro se dirige tout droit vers les 1,5 % !

Croissance et confiance dans la zone euro : de plus en plus bas !

En outre, cette morosité s’observe sur la quasi-totalité des indicateurs de l’enquête de février. A commencer, par le climat des affaires qui atteint un plus bas depuis mars 2006. De même, avec un niveau de – 12, la confiance des consommateurs reste pour le deuxième mois consécutif sur des plus bas depuis 2005. Enfin, alors qu’il soutenait à bout de bras l’ensemble de cette enquête depuis plusieurs trimestres, l’indicateur d’activité dans les services a perdu trois points en février, atteignant un plancher depuis août 2005.

Autrement dit, même si les cambistes refusent pour le moment de voir cette réalité, la zone euro est bien en phase de décélération majeure, qui ne fait d’ailleurs que commencer. Car, au contraire des Etats-Unis qui mettent tout en œuvre pour relancer leur machine économique dès cette année, aucun soutien n’est à l’œuvre dans la zone euro. D’où l’inéluctabilité pour cette dernière d’une croissance molle, tant cette année que l’an prochain.

D’ailleurs, comme le montre le graphique ci-après, la nouvelle flambée de l’euro devrait encore aggraver la dégradation de la confiance des acteurs économiques de la zone. Ce qui ne manquera évidemment pas de peser encore à la baisse sur la croissance.

La flambée de l’euro n’arrangera pas les choses.

En fait, comme nous le verrons dans la partie « marchés », la croissance eurolandaise devrait se stabiliser durablement autour des 1,7 % (c’est-à-dire au moins jusqu’en 2010).

Par ailleurs, il faut noter que si l’Allemagne tire encore son épingle du jeu, la situation commence à devenir très problématique dans d’autres pays, notamment en France, au Portugal, en Italie et même en Espagne.

Si la faiblesse italienne n’est pas nouvelle, celle de l’Espagne risque de surprendre…

Dans ce cadre, les croissances italienne, française et portugaise devraient se situer dans un mouchoir de poche et avoisiner respectivement les 1,3 %, 1,4 % et 1,5 % pour 2008.

Mais si ces contre-performances sont habituelles pour ces trois pays, qui, depuis 2002, sont les lanternes rouges de la croissance eurolandaise, l’Espagne était jusqu’à présent habituée aux premières places du classement de la zone euro et ce, depuis une dizaine d’années. Or, après avoir encore atteint 3,8 % en 2007, la croissance espagnole va devoir digérer le dégonflement de sa bulle immobilière, un déficit extérieur de plus de 100 milliards d’euros et une natalité de plus en plus faible. Dès lors, elle pourrait bien dégringoler vers les 2 % cette année. A l’évidence, le réveil risque d’être douloureux pour nos amis ibères mais également pour l’ensemble des Eurolandais…

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

Fed-BCE : un découplage dangereux.


Ben Bernanke l’a une fois de plus répété cette semaine devant le Congrès américain : la Réserve fédérale fera tout pour soutenir la croissance des Etats-Unis. Elle a déjà commencé à le faire depuis l’été dernier mais ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Ainsi, si la décision d’abaisser le taux objectif des federal funds à 2,5 % dès le FOMC du 18 mars semble déjà prise, une nouvelle baisse de 50 points de base pourrait encore être décidée lors du FOMC du 30 avril. Dans ce cadre, le différentiel de taux directeurs entre la Fed et la BCE atteindra 2 points. Du jamais vu depuis la création de la zone euro.

La Fed réagit, la BCE en léthargie…

Mais la BCE n’en a cure. En effet, au contraire de la Fed qui est, elle aussi indépendante mais qui doit rendre des comptes deux fois par an (au minimum) au Congrès, la BCE n’a aucun compte à rendre à personne. Ainsi, après avoir laissé penser il y a un mois qu’il pourrait changer son fusil d’épaule, Jean-Claude Trichet n’hésite plus désormais à annoncer qu’il n’a aucunement l’intention de baisser le taux refi dans les prochains trimestres.

Certes, nous n’en sommes pas aux premiers revirements de la BCE et de son actuel Président. Mais cela commence à devenir lassant.

Et ce d’autant que si le différentiel de taux directeurs Fed-BCE devrait être de 2 points d’ici mai prochain, ce niveau est déjà atteint si l’on observe les taux réels, c’est-à-dire les taux directeurs hors inflation, qui sont finalement les seules permettant de jauger le caractère accommodant de la politique économique d’une Banque Centrale.

Aujourd’hui ce « spread » de taux directeurs réels est ainsi de – 1,1 % aux Etats-Unis et de + 0,9 % dans la zone euro. Depuis la création de l’UEM, un tel écart de 2 points n’a jamais été atteint et même si l’on élargit la période comparaison plus avant en observant le différentiel avec le taux de la Bundesbank, il faut remonter à 1993-94 pour retrouver un tel écart !

Le plus problématique pour la zone euro réside dans le fait qu’historiquement, un tel écart est un signe avant coureur de l’écart de croissance entre les Etats-Unis et l’Europe.

Un spread de taux réels au plus haut depuis 1993 !

Autrement dit, comme nous l’anticipons, la croissance américaine devrait repasser au-dessus des 2 % d’ici l’automne 2008, tandis que celle de la zone euro devrait passer sous les 1,5 % d’ici l’été prochain.

En outre, plus l’écart de taux reste élevé longtemps, plus l’écart de croissance s’éternise. Et ce d’autant que l’euro/dollar reste excessivement fort.

Dès lors, si jusqu’à présent, nous anticipions un rebond significatif de la croissance eurolandaise pour 2009, il est clair que plus l’euro reste cher et plus la BCE tarde à abaisser son étreinte, plus la croissance eurolandaise tardera à redémarrer et plus l’écart de croissance avec les Etats-Unis perdurera et surtout se creusera.

L’exemple de 2002-2006 est d’ailleurs très illustratif, puisqu’au cours de cette période l’écart de croissance entre l’Oncle Sam et l’Euroland a atteint 6,5 points, cette dernière ne reprenant le chemin de la croissance qu’à partir de 2006.

Au match de la croissance, il n’y a pas photo.

Dans la mesure où les Eurolandais refusent décidément de tirer les leçons des erreurs du passé, un triste scénario se présente donc devant nous : la croissance américaine devrait redémarrer dès 2008, puis retrouver son rythme structurel d’environ 3 % dès 2009. Dans le même temps, l’Euroland s’enlisera et réalisera une croissance de 1,7 % en moyenne jusqu’en 2010, avant de se reprendre en 2011…

Marc Touati


Les évènements à suivre du 3 au 7 mars :

Encore une semaine difficile.


Après de piètres nouvelles au cours des derniers jours, cette semaine économico-statistique devrait également s’annoncer difficile, notamment pour l’économie américaine.