Marchés, pétrole, France : la peur au ventre (E&S n°31)

L’humeur :

Non, tout n’est pas si noir !

Noir c’est noir ! Qu’ils soient Français, Américains, Européens, la plupart des investisseurs, gérants, économistes, analystes et autres acteurs des marchés apparaissent unanimes : 2008 sera une année de récession, de crise bancaire, de déprime boursière, voire pour certains de dépression au moins aussi forte qu’après le krach de 1929. Bref, à les entendre, il n’y a qu’une chose à faire : prendre neuf mois de vacances et revenir en 2009 quant tout ira mieux…

Ce qui est particulièrement intéressant réside dans le fait qu’il y a un peu plus d’un an, ce même consensus annonçait que tout allait bien et que nous étions proches de la surchauffe : la croissance devait rester forte, les banques étaient solidement ancrées sur le chemin des forts profits et les prix immobiliers n’avaient aucune raison de baisser…  Ce qui était donc encensé hier se retrouve brûlé aujourd’hui. Pis, tout est prétexte à pessimisme et les bonnes nouvelles, certes très relatives dans le sombre contexte actuel, sont occultées.

Bien entendu, il serait absurde de se voiler la face et de pas prendre la mesure des dangers qui menacent la planète économique mondiale. Oui, la croissance américaine ralentit. Oui, le baril à 100 dollars ne sera pas sans effets sur l’inflation et la croissance. Oui, les banques internationales n’ont pas fini de provisionner et de sortir des cadavres de leurs placards. Oui, les nombreuses bulles immobilières disséminées à travers le monde développé se dégonflent une à une. En d’autres termes, 2008 ne sera effectivement pas une bonne année tant en termes de croissance mondiale que de performances boursières et immobilières.

De là à imaginer que le système capitaliste va s’écrouler et que nous sommes à la veille d’une profonde dépression, il y a néanmoins un grand pas, que nous refusons de faire. Non par volonté d’optimisme obstiné, mais simplement par souci de réalisme et pour ne pas tomber dans le panurgisme habituel qui fait, il est vrai, le charme des marchés…

En effet, il ne faut pas s’arrêter aux simples profit warnings lancés par certaines banques, il n’est pas non plus opportun d’exagérer la valeur prédictive de données d’enquêtes qui sont plus des indicateurs retardés qu’avancés de l’activité économique.

Il faut, au contraire, souligner que de nombreuses évolutions réelles et pas seulement psychologiques sont loin d’être négatives, mais annoncent plutôt un rebond progressif de l’économie américaine et, par là même, une bonne résistance de la croissance mondiale, mais aussi des bourses internationales.

Ainsi, pour ne parler que de la locomotive de la croissance mondiale depuis 1992, à savoir l’économie américaine, notons qu’en dépit des craintes formulées ici ou là, y compris par Ben Bernanke, qui a décidément énormément de mal à faire oublier son prédécesseur, le cercle vertueux de croissance (investissement-emploi-consommation) est toujours présent outre-Atlantique. Et pour cause : l’investissement des entreprises est en augmentation annuelle de plus de 5 % et restera sur une telle tendance sur l’ensemble de 2008 comme en témoigne la bonne tenue des carnets de commandes de biens d’équipement.

Et ce notamment grâce aux liquidités élevées des entreprises et aux financements toujours importants en provenance des fonds de pension, deux réalités qui permettront de continuer à investir en dépit des difficultés bancaires. Dès lors, en dépit des licenciements dans les banques et dans la construction, l’emploi continuera de résister et avec lui, la consommation. Et ce d’autant que la baisse des taux directeurs de la Fed passée et à venir, ainsi que le plan de relance fiscale de plus de 160 milliards de dollars ne manqueront pas de tirer la growth machine américaine vers le haut. De l’obscurité actuelle devrait donc bien naître la lumière.

Une évolution similaire devrait également s’observer sur les marchés boursiers. En effet, de nombreuses entreprises cotées ont été massacrées en bourse alors que leurs résultats ont été bons, voire très bons. Dans ce cadre, elles deviennent des proies faciles et très rémunératrices pour des fonds en mal de rendements et qui ont un horizon de placement qui dépasse les six mois.

C’est en cela que la crise financière que nous traversons actuellement fera le tri entre le grain et l’ivraie. Car si, pour un hedge fund, il est normal d’acheter une valeur le matin et de la vendre le soir, un tel comportement ne sied pas à des investisseurs institutionnels. Dans un climat difficile pour les marchés et pour redorer le blason particulièrement terni de ces derniers, il est grand temps de montrer au monde que les marchés remplissent un double rôle économique : celui de la couverture contre le risque et surtout celui du financement de l’économie.

Il serait triste que ce soient les fameux fonds souverains des pays dits émergents qui viennent nous le rappeler en investissant massivement dans des entreprises occidentales sous-valorisées tandis que les investisseurs des pays dits développés préfèrent se focaliser sur des placements sans risque. Ne l’oublions jamais : en économie et en finance, le vrai risque est de ne pas prendre de risque. Reste à savoir si les pays occidentaux ont encore l’envie et/ou le courage de relever le défi…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

Consommation et confiance en France : de mal en pis !


Notre Premier Ministre a beau annoncer que la croissance française flirtera avec les 2 % cette année, rien n’y fait : molle, la croissance est, molle elle restera. C’est d’ailleurs ce que viennent de confirmer la nouvelle baisse de la consommation des ménages en produits manufacturés en janvier 2008 et le net repli de la confiance des industriels français en février.

Ainsi, après avoir déjà reculé de 0,1 % au quatrième trimestre, la consommation des ménages en produits manufacturés a chuté de 1,2 % en janvier. Et ce, malgré les soldes ! C’est même la première fois depuis janvier 2003 que cet agrégat enregistre une baisse en période de soldes, qu’il s’agisse des soldes d’été ou d’hiver. Autrement dit, quelque chose a bien été cassé dans la dynamique de consommation, qui, rappelons-le, est le moteur principal de la croissance française depuis 1998 !

Cette « cassure » est finalement assez simple : jusqu’à présent les ménages ont réussi à compenser la faiblesse de leur pouvoir d’achat par un recours massif à l’endettement. Aujourd’hui, ayant utilisé ce levier au maximum de leurs possibilités financières, les Français n’ont d’autres choix que de refreiner leur soif de crédits et par là même leur appétit de consommation. Et ce d’autant que les banques et autres organismes de crédit se veulent désormais plus parcimonieux en la matière.

Aggravant cette fragilisation financière, l’augmentation des prix alimentaires et énergétiques à réduit encore plus la marge de manœuvre des ménages. Si bien que, même en période de soldes, ces derniers n’ont plus les moyens et/ou l’envie de consommer massivement.

Les consommateurs lâchent prise…

Certes, il est vrai que la baisse de la consommation en janvier provient principalement de la chute de 8,7 % des dépenses dans le secteur de l’automobile, alors que les achats dans le textile ont augmenté de 2,3 %. Néanmoins, au-delà du faut que cette dernière hausse est loin d’être exceptionnelle en période de soldes, il faut noter que les achats de biens d’équipement du logement n’ont progressé que de 0,8 % en janvier. Ce qui est non seulement très faible en période de soldes, mais surtout confirme que le dégonflement de la bulle immobilière est bien en train de contaminer la réalité de la consommation.

Dans ce contexte, il ne faut pas se leurrer, la baisse de la consommation au quatrième trimestre 2007 puis en janvier 2008 ne sont pas de simples accidents sans lendemain. D’ores et déjà, l’acquis de « croissance » de cet agrégat pour le premier trimestre 2008 est de – 1,2 %. Ce qui signifie que, même si un effet de correction est observé en février et mars (hypothèse très optimiste), la consommation en produits manufacturés subira deux trimestres consécutifs de baisse. Ce qui serait du jamais vu depuis 1995 ! Il faut donc être clair : la consommation est en danger et, avec elle, l’ensemble de l’économie française.

C’est d’ailleurs également ce qui ressort de l’enquête INSEE dans l’industrie française de février. En effet, jusqu’à novembre dernier, les industriels français se déclaraient plutôt sereins. Or, depuis décembre, le climat des affaires décrit par cette enquête perd un point par mois. Avec un niveau de 107 en février, il se situe ainsi à un plus bas depuis janvier 2007. Beaucoup plus inquiétant, les perspectives générales de production ont chuté de 9 points en février, accusant un plongeon de 38 points depuis juin 2007 ! Elles atteignent ainsi un plus bas depuis août 2005, à une époque où le glissement annuel du PIB français était de 1,5 %.

En fait, à l’exception des carnets de commandes étrangers qui gagnent un petit point en février mais restent inférieurs de 9 points à leur niveau de septembre dernier, tous les indicateurs de l’enquête de février se dégradent. Y compris les carnets de commandes globaux, indiquant par là même que la demande intérieure est vraiment en train de souffrir dangereusement. En d’autres termes, ce ne sont désormais plus seulement les ménages qui ont peur de l’avenir, mais aussi les chefs d’entreprise.

Attention au plongeon !

Dans ce cadre, il faut donc être réaliste : plus les mois passent, plus la probabilité pour que la France réalise une croissance supérieure à 1,5 % se réduit.

Voilà pourquoi, après avoir été parmi les premiers (en fait depuis l’été dernier) à annoncer que la croissance française serait d’environ 1,6 % en 2008, nous sommes contraints de réviser en baisse notre prévision, pour anticiper désormais une croissance de seulement 1,4 % dans l’Hexagone en 2008.

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

Un baril à 100 dollars, est-ce bien raisonnable ?


Depuis quelques semaines et le mouvement logique de baisse des cours du baril après les 100 dollars atteints début janvier, nous nous étions mis à « rêver » qu’enfin, le marché pétrolier retrouverait ses esprits. Et bien non ! Une fois encore, par manque de visibilité ou de volonté et face à la volatilité des marchés boursiers, les investisseurs internationaux ont repris goût à la spéculation pétrolière. Si bien que le cours du baril a de nouveau dépassé les 100 dollars.

Certes, pour y parvenir, ils ont bénéficié de deux soutiens de poids, en l’occurrence les déclarations toujours aussi virulentes et presque humoristiques d’Hugo Chavez, mais aussi celles de certains pays de l’OPEP qui ont décidément très peur que le baril reparte sur une vraie tendance baissière dans les prochains mois.

Pour l’éviter, ils ont donc tout simplement annoncé qu’une fois l’hiver passé, il serait bienvenu de réduire la production de brut. Selon nous, ces déclarations sont d’ailleurs plus un aveu de faiblesse qu’un argument crédible pour un baril durablement supérieur à 100 dollars. En effet, les pays de l’OPEP sont entièrement conscients que le niveau actuel des cours pétroliers n’est pas justifié et que toute mauvaise surprise sur la croissance mondiale pourrait vraiment faire chuter le prix de l’or noir.

D’ailleurs, au contraire de ce qui est trop régulièrement diffusé, il n’y a pas de pénurie de pétrole et, comme le montre le graphique ci-dessous, l’offre mondiale de pétrole n’est absolument pas inférieure à la demande.

Il n’y a pas de pénurie de pétrole !

Parallèlement, si la forte chute des stocks de brut aux Etats-Unis fin 2007 a pu justifier une remontée des cours du baril, il est surprenant que leur augmentation depuis le début d’année ne produise pas l’effet inverse.

Pourtant, comme le montre le graphique ci-après, les stocks de brut outre-Atlantique sont au-delà de leurs niveaux de 2004 et 2005 pour la même période de l’année. En outre, si on leur ajoute les réserves stratégiques de l’Etat fédéral, il y a aujourd’hui plus d’un milliard de barils de réserves aux Etats-Unis, soit environ quatre mois de consommation, c’est-à-dire un sommet quasiment historique.

Les stocks de brut se redressent outre-Atlantique.

Bien entendu, il faut souligner que les capacités de forage et de raffinage restent tendues. Néanmoins, n’oublions pas que les investissements menés depuis 2000 en la matière en Russie, au Canada et au Brésil (pour ne citer que les principaux) commencent aujourd’hui à produire leurs fruits. Autrement dit, l’offre mondiale de pétrole et de produits raffinés restera forte.

A l’inverse, la demande mondiale de pétrole devrait nettement ralentir dans les prochains mois corrélativement au ralentissement de la croissance mondiale. D’ailleurs, le graphique ci-dessous montre bien que l’augmentation du cours du baril en 2007 est largement décorrélées par rapport à la décélération de la croissance du PIB planétaire.

Croissance-cours pétroliers : le grand écart !

Dès lors, à partir du moment où les marchés retrouveront leurs esprits et où les fondamentaux économiques reprendront le dessus sur les mouvements spéculatifs, le cours du baril n’aura de cesse de se replier.

Certes, il est clair que les tensions géopolitiques resteront fortes, maintenant ainsi une prime de risque élevée sur le cours du baril. Néanmoins, compte tenu de la simple confrontation de l’offre et de la demande prévisible pour 2008, un baril à 80 dollars dans les prochains mois paraît beaucoup plus raisonnable et surtout justifié que son niveau actuel.

Marc Touati


Les évènements à suivre du 25 au 29 février :

Le climat des affaires rechute en Allemagne.


Cette semaine économico-statistique sera principalement marquée par cinq statistiques américaines déterminantes et deux statistiques allemandes.