Au Royaume du bonheur…

En ces temps de déprime, voilà qu’on nous reparle de bonheur. Mais pas n’importe lequel, de « bonheur national brut ».

C’est une des dernières « trouvailles » de Nicolas Sarkozy qui a dépêché deux Prix Nobel –l’Américain Joseph Stiglitz et l’Indien Amartya Sen, rien que ça – pour plancher sur le concept de bien-être économique et sur un indicateur qui serait le mieux à même de révéler le sentiment économique du pays. Has been le PIB ? Pas si sûr.

En tous cas, l’Elysée n’a rien inventé. On doit le concept de « bonheur national brut » au Bhoutan. Et à son roi Kim Jigme Singye Wangchuck en 1972 ! L’idée du monarque était fort simple : bâtir une économie qui servirait la culture du Bhoutan, fondée sur des valeurs spirituelles bouddhistes.

Aujourd’hui, le « bonheur national brut » fait partie de ces « indices alternatifs » qui, aux yeux de certains, permettent de palier les lacunes des indicateurs les plus usités, tels que le PIB ou l’Indicateur de Développement Humain (IDH) dont Amartya Sen est le concepteur.

Reste que le Bhoutan est le seul pays au monde à se servir officiellement du « BNB ». L’approche est restée la même depuis les années 1970, avec quatre principes fondamentaux jugés d’égale importance : la croissance et le développement économique, la conservation et la promotion de la culture, la sauvegarde de l’environnement et l’utilisation durable des ressources et, enfin, la bonne gouvernance responsable. Des valeurs relativement universelles et atemporelles somme toute.

La recette bhoutanaise marche-t-elle ? Le pays met en avant sa réussite : la poursuite d’un développement économique qui contribue au mieux-être de la collectivité, au développement des personnes et des communautés, au respect de la culture et des traditions, le tout, dans une perspective de développement durable… Concrètement, au Bhoutan, l’essentiel de l’électricité est d’origine hydroélectrique, 60 % des terres doivent accueillir des forêts, l’écotourisme est autorisé mais le tabac prohibé …

Mais n’oublions pas que le Bhoutan est une petite contrée de 47 000 km², adossée à l’Himalaya, coincée entre deux géants – l’Inde et la Chine – et qui n’accueille que 2 millions d’âmes. Rien à voir avec nos 675 000 km² et nos 63 millions d’habitants. Nos habitudes économiques, politiques, culturelles, cultuelles… diffèrent trop pour copier ici une philosophie holiste qui certes fonctionne là-bas.

Le « bonheur national brut » est-il quantifiable ? Difficilement a priori. Depuis les années 1990, on constate floraison d’indicateurs alternatifs, portés par des nouvelles exigences sociales et environnementales. Parmi les plus connus, le GPI (Genuine Progress Indicator ou indice de progrès véritable) dans lequel les externalités sociales et écologiques – positives ou négatives – viennent s’ajouter ou se retrancher aux données économiques et créent ainsi une « comptabilité nationale élargie ».

En 2005, la Banque Mondiale, dans son rapport « D’où vient la richesse des nations ? », faisait elle aussi référence à un nouveau modèle de croissance prenant en compte les comptes nationaux, des actifs relevant de la comptabilité environnementale (sous-sol, terres agricoles, ressources forestières…) mais aussi du patrimoine institutionnel (bonne gouvernance…), social (degré de confiance des citoyens dans leur société…), humain et culturel – notions plus vagues à définir qui nous ramènent vers la philosophie. Partant de là, difficile pour ces indicateurs d’échapper à la critique et donc de reléguer le PIB – qui a le mérite de ne pas être idéologique – aux oubliettes. Ce genre d’indices a toutefois le mérite de mettre l’accent sur des données qui ne sont pas reflétées dans les taux de croissance des économies mais qui influent pourtant sur la santé de nos pays.

Enfin, laborieux, ce calcul n’est-il pas aussi superfétatoire pour qui veut savoir si un pays va ou ne va pas bien ?

De facto, la question n’est plus « comment améliorer le baromètre de notre économie ? » mais « comment améliorer notre économie pour que cela se reflète dans les baromètres ? » Ce n’est malheureusement pas la « colle » qu’a posée Nicolas Sarkozy à Joseph Stiglitz et Amartya Sen.

 

Alexandra Voinchet