Mondialisation : Saint-Valentin : au-delà de la fête…

Il y a les « pour » et les « anti ».

Les premiers s’apprêtent à savourer une douce soirée avec leur moitié. Au menu : mets fins et une tripotée de cœurs roses et rouges « marketés » avec le plus grand soin.

Les seconds, célibataires de gré ou par la force de choses, peaufinent leur argumentaire : la Saint-Valentin n’est qu’une fête purement commerciale, ré-inventée pour combler un vide économique.

Et force est de constater que cela marche ! Si l’on daigne regarder au-delà du mot doux pailleté de petits cœurs ou de la boite de chocolats enrubannée que notre cher et tendre vient de nous offrir, on y verra la mondialisation en plein travail.

Ce phénomène ne peut se définir uniquement par les échanges commerciaux, l’internationalisation de la production et des marchés financiers. La mondialisation est aussi, par les rapports de plus en plus étroits et interdépendants qu’elle induit, le véhicule de nouvelles façons de penser, de faire, de se comporter d’un groupe ou d’une société. Intrinsèquement, la mondialisation culturelle s’accompagne de métissages mais aussi de résistances.

La Saint-Valentin est en plein cœur de cette dichotomie.

Dans un sens, la fête des amoureux illustre bien le phénomène de globalisation de la culture qui élargit sans cesse notre champ intellectuel. Cette célébration – dont les racines se retrouvent dans l’Histoire du catholicisme – a même séduit des pays à la tradition cultuelle différente. Dans les monarchies arabes du Golfe, la Saint-Valentin est ainsi de plus en plus populaire.

Si cette date peut permettre de témoigner d’un peu d’amour et d’empathie à l’égard de son prochain à l’heure où l’on parle d’individualisation et de redéfinition de la notion de famille dans les sociétés occidentales, alors pourquoi pas ? Nous n’en blâmerons pas la mondialisation. Et qu’importe si, au final, les amoureux ont été les victimes de « marketeurs » et de publicitaires à l’imaginaire foisonnant. Personne ne devrait s’en porter plus mal.

Mais, dans un autre sens, reconnaissons-le, il y a tout de même quelque chose d’un peu impersonnel et de caricatural dans cette « tradition » qui n’en est pas une. De là à parler d’uniformisation des modes de vie, il n’y a qu’un pas.

Une fois de plus, Valentin est condamné – la légende veut qu’au moins deux religieux prénommés Valentin aient été martyrs et que, aux alentours de 498, le Pape Gélase Ier ait fixé leur fête au 14 février. Chaque année, les « Moutawa », les membres de la police religieuse saoudienne – dont le nom officiel est la « Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice » -, essaient d’empêcher la célébration de la Saint-Valentin, jugée contraire à l’Islam. Interdiction pour les marchands d’exposer des objets de couleur rouge en vitrine ou de vendre des roses, interdiction pour les amoureux d’acheter des présents sous peine de sanctions… L’Arabie saoudite considère la Saint-Valentin comme une « fête chrétienne païenne » en vertu d’une « fatwa » (décret religieux) lancée il y a sept ans.

Cette « rébellion » commence même à se faire sentir au Koweït voisin où les islamistes ont haussé le ton cette année et à Dubaï, de loin la ville la plus tolérante et la plus occidentalisée de la région.

En 2003, en Inde et au Pakistan, la Saint-Valentin avait été clouée au piloris : insulte à l’Islam et à l’Hindouisme, jour de honte et de luxure, tentative de corruption de la jeunesse, attraction aux fins uniquement commerciales, risque pour l’identité des nations… Les mêmes arguments que ceux utilisés pour dénoncer la mondialisation dans son ensemble.

L’Homme est « l’alpha et l’oméga » de la mondialisation. Etudier cette dynamique sous ses aspects économiques et financiers n’éclaire pas beaucoup si l’on ne perçoit pas les forces et les tensions sociologiques, culturelles, cultuelles qui la traversent, la dé-construisent et la re-construisent chaque jour.

L’anthropologue français René Girard[1] l’a bien perçu : « la mondialisation est le triomphe du désir mimétique ». Et « le désir mimétique » est « source de rivalité, de chaos et de conflit, donc de violence ». Dur constat le jour de la fête de l’Amour.

 

Alexandra Voinchet



[1] GIRARD René, Je vois tomber Satan comme l’éclair. Editions Grasset. Paris. 1999