Déficits, BCE, croissance molle, Chine (E&S n°29)

L’humeur :

La France des triples déficits…

Le secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur a beau nous avoir prévenus quelques heures avant, l’atteinte d’un déficit extérieur de plus de 39 milliards d’euros en 2007 reste une claque majeure pour l’économie française. Et ce, d’autant qu’il y a encore quelques mois, les dirigeants politiques hexagonaux annonçaient que le creusement du déficit commercial devrait progressivement se réduire…

En lieu et place de cette réduction annoncée, c’est au contraire une aggravation et surtout la succession de records historiques qui ont été observés !

Ainsi, en atteignant, 39,171 milliards d’euros l’an passé, le déficit français pulvérise ses précédents records et en particulier celui de 2006 qui était déjà de 28,238 milliards d’euros.

Imputer ce creusement au seul déficit énergétique serait évidemment pratique, mais serait surtout fallacieux. Et pour cause : entre 2006 et 2007, le déficit énergétique français a été… réduit de 1,3 milliard d’euros, à 45,2 milliards contre 46,5 en 2006 ! Il s’agit pourtant là des chiffres officiels des Douanes que M. Novelli n’a peut-être pas eu le temps de consulter avant d’annoncer que la dégradation du commerce extérieur français était principalement due à notre déficit énergétique…

A ce compte de vouloir masquer les réalités qui dérangent, il serait peut-être tout aussi opportun de regarder notre déficit « propre », c’est-à-dire hors matériel militaire et là, attention les dégâts, puisque ce déficit atteint 54,867 milliards d’euros !

De même, si l’évolution de l’euro a évidemment affecté négativement notre déficit extérieur, il faut également noter que notre déficit se dégrade dangereusement avec la plupart de nos partenaires eurolandais. A commencer par l’Allemagne, vis-à-vis de laquelle, notre déficit passe de 13,5 milliards en 2006 à 17,9 milliards en 2007. Au total, le déficit français avec l’ensemble de la zone euro atteint un nouveau sommet historique de 23,963 milliards d’euros.

Autrement dit, il ne sert à rien de vouloir trouver des boucs émissaires : le déficit extérieur français est devenu structurel et n’est pas près de se résorber.

En effet, nos exportations sont tout simplement mal spécialisées tant sectoriellement que géographiquement, c’est-à-dire trop peu tournées vers les biens d’équipement et la high tech et trop à destination de la zone euro, qui est l’une des lanternes rouges de la croissance mondiale depuis 2002.

De même, près de la moitié de nos dépenses de consommation en biens manufacturés sont absorbées par les importations, pas seulement parce que ces dernières sont moins chères, mais aussi parce que de plus en plus de produits de grande consommation (notamment dans l’électronique, l’informatique et la high tech) ne sont tout simplement plus fabriqués en France.

Pour redresser la barre, il ne servira à rien de colmater les brèches, d’ajouter des aides mal utilisées pour l’exportation ou encore de faire la TVA sociale. Pour continuer de produire en France et d’exporter depuis la France, les entreprises hexagonales ont simplement besoin d’une pression fiscale et réglementaire moins forte. Car, si nos entreprises ne trouvent pas ce qu’elles souhaitent dans l’Hexagone, elles n’hésitent plus à faire d’elles-mêmes les réformes que la France refuse de mettre en place, en allant tout simplement s’installer à l’étranger, puis exporter à travers le monde depuis l’étranger.

Voilà pourquoi les entreprises françaises continuent de vendre à l’étranger, sans augmenter les exportations de l’Hexagone. Tant que l’économie française ne sera pas modernisée, comme l’ont été l’économie allemande et l’ensemble des économies développées, il sera vain d’annoncer une réduction rapide de notre déficit extérieur. Celui-ci dépassera donc les 40 milliards d’euros dans les tous prochains mois et pourrait même atteindre les 45 milliards en 2008 !

Des contre-performances qu’il faut évidemment comparer à l’excédent commercial record enregistré par l’Allemagne en 2007, à près de 200 milliards d’euros !

Mais ce grand écart entre déficit français et excédent allemand n’est pas seulement l’apanage du commerce extérieur. On le retrouve également sur le front des comptes publics, puisque l’Allemagne a dégagé un excédent public de 70 millions d’euros, contre, de ce côté du Rhin, un déficit d’environ 47 milliards d’euros, soit 2,5 % du PIB français.

Pour 2008, compte tenu du ralentissement économique généralisé, l’Allemagne devrait certes renouer avec un déficit, mais d’environ 1,5 % du PIB, contre 3 % dans l’Hexagone, donc très loin des promesses annoncées.

Ce n’est donc pas de déficits jumeaux dont la France pâtit mais d’un triple déficit : un déficit commercial, un déficit public et surtout un déficit de crédibilité…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

La Chine en 2008 : Rat atouille ou Rat ionnement ?


La Chine affiche de remarquables performances économiques engendrant des risques importants de « surchauffe » ! Ainsi la croissance a été supérieure à 11% en 2007, la production industrielle augmente de 20% l’an, tout comme les revenus de 300 à 400 millions de Chinois de la classe moyenne. L’excédent commercial explose (262 milliards de dollars, un record historique représentant une hausse de plus de 47 ,6 % par rapport à 2006), les exportations s’envolent (+ 25,7 % par rapport à 2006) et les réserves de change franchisent le cap des 1500 milliards dollars (+ 43,22 % par rapport à 2006). Seules ombres au tableau : l’explosion de l’inflation (6,8% l’an contre 2 % en début d’année 2007) et une augmentation du panier de la ménagère de 17% en un an, tant et si bien que Pékin en a fait sa priorité absolue en renforçant son contrôle sur les prix.

Malgré ces excellents indicateurs de performance économique et face au risque de contagion dans une économie mondiale globalisée, on peut se demander si la Chine pourra continuer à jouer son rôle de locomotive de la croissance mondiale et suppléer aux défaillances de l’économie américaine ?

A cette question, de nombreux « spécialistes » répondent par la négative. Leur argument principal est basé sur le fait que la part de la consommation intérieure dans le PIB a diminué de 46 à 36 %  entre 2000 et 2006 tandis que celle des exportations chinoises a doublé, passant de 22 % à 40 %. Ainsi, comme le montre l’excédent commercial record du pays, ce ne serait pas les Chinois qui soutiendraient la croissance de leur propre pays mais les Etrangers. De fait la Chine serait excessivement dépendante des performances de ses partenaires commerciaux, eux-mêmes soumis à un fort ralentissement de leur croissance (notamment du fait de la crise aux Etats Unis). Par conséquent la Chine ne pourrait pas dynamiser la croissance mondiale. CQFD …

Nous ne partageons pas cette analyse et ce pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, il faut souligner que le moteur de la croissance Chinoise repose davantage sur ses investissements massifs (45 % du PIB) que sur ses exportations, ce qui la met à l’abri d’un ralentissement de la croissance mondiale.


De plus, il faut tordre le cou à l’idée d’une trop forte dépendance de la Chine envers la première économie mondiale. En effet si les Etats Unis représentent 25 % des exportations chinoises (en incluant celles qui transitent par Hong Kong) ils n’ont contribué qu’à 6 % de leur croissance dans les 10 premiers mois de 2007.

Ensuite, les exportations chinoises sont montées en gamme, et sont constituées d’équipements industriels de qualité dans une proportion croissante (50% en 2007 contre moins de 30 % en 1997). Ces exportations sont donc moins exposées à une baisse de la consommation des ménages qu’à un ralentissement global de l’investissement productif, qui continue d’ailleurs de résister outre-Atlantique. 

Par ailleurs, c’est grâce aux ventes vers l’Asie que l’industrie américaine compense certaines des ses difficultés sur le marché intérieur. A titre d’exemple, General Motors a enregistré un record historique de ventes alors que les immatriculations de ses modèles chutaient de 11 % sur un an en Novembre aux Etats Unis.

Quant à l’Europe, elle profite également de la locomotive chinoise. Ainsi, il faut noter que si l’on exclut les échanges entre les pays membres, la zone Euro exporte quatre fois plus vers les pays asiatiques et les pays de Golfe que vers les Etats Unis.

Tous ces éléments nous amènent à penser que la Chine (avec une croissance d’encore plus de 10 % cette année) et, avec elle, l’ensemble de l’Asie émergente permettront de limiter les dégâts en 2008 en contribuant à la croissance mondiale plus que n’importe quelle autre région du monde. C’est déjà le cas depuis plus de cinq ans, cela devrait le rester pour l’année du rat, qui, selon, la mythologie chinoise, serait d’ailleurs traditionnellement une année d’abondance.

Jérôme Boué



Et les marchés dans tout ça ?

La BCE finira par baisser ses taux, mais trop tard…


Alors que la Réserve fédérale américaine fait tout ce qui est en son pouvoir pour soutenir la croissance américaine, essayant par là même d’apaiser le pessimisme des marchés, force est de constater qu’il est loin d’en être de même du côté de la Banque d’Angleterre et de la Banque Centrale Européenne.

Certes, la BoE a bien abaissé son taux de base de 0,25 point à 5,25 %. Néanmoins, après la forte baisse des indices PMI outre-Manche et surtout le recul de 0,2 % de la production manufacturière en décembre (qui atteint ainsi un glissement annuel de 0 %), la BoE aurait pu faire un geste un peu plus fort en faveur de la croissance. Et ce d’autant que 50 % du PIB britannique dépend directement ou indirectement des activités financières. Autrement dit, la fragilisation des marchés, des banques et de nombreux investisseurs, mais aussi le dégonflement de la bulle immobilière ne vont pas manquer de peser à la baisse sur la croissance britannique.

En outre, avec une inflation de 2,1 % et de 1,4 % hors énergie et produits alimentaires, la BoE disposait de tous les arguments pour abaisser son étreinte monétaire de 50 points de base. Malheureusement, tel n’a pas été le cas et les marchés ont désormais compris que même s’il n’est pas dans la zone euro, le Royaume-Uni va lui aussi faire les frais d’une banque centrale trop obnubilée par le risque inflationniste et prête par là même à sacrifier la croissance sur l’autel du monétarisme orthodoxe.

Piètre consolation pour nos amis britanniques, la BCE reste néanmoins la plus têtue en la matière. Ainsi, non contents de maintenir le taux refi à 4 %, les dirigeants de la BCE restent imperturbables : les indicateurs conjoncturels ont beau s’effondrer (notamment les indices de sentiment économique de la Commission Européenne et ceux des directeurs d’achat et ce, dans l’ensemble de la zone euro), le dogmatisme monétariste continue de prévaloir sur le pragmatisme et l’efficacité économique. Ce qui n’a évidemment pas manquer de déplaire aux marchés.

La BoE et la BCE contre les marchés.

Certes, Jean-Claude Trichet ne parle plus de hausse des taux, comme le mois dernier, ni même de « strong vigilance ». Encore heureux ! Néanmoins, il confirme que, malgré les risques évidents sur la croissance, le principal danger demeure une forte augmentation de l’inflation.

S’il est donc possible de percevoir une très légère inflexion du discours « hawkish » des derniers mois, il apparaît également que la BCE n’a pour le moment aucunement l’intention de suivre la Fed dans sa politique de soutien à l’activité. Elle le fera certainement mais pas avant quelques mois. Selon nous, le timing très lent de la BCE serait le suivant : en mars, adoption d’un discours neutre, en avril, annonce d’un biais baissier et en mai ou juin au plus tard, première baisse de 25 centimes du taux refi.

Malheureusement, il sera trop tard, non seulement parce que toute action de politique monétaire prend six à neuf mois pour agir sur l’activité mais aussi, parce que d’ici là, la croissance de la zone euro va baisser de plus en plus, atteignant un glissement annuel de 1,5 % dès le premier trimestre 2008. D’ailleurs, dès la semaine prochaine, Eurostat devrait annoncer que la croissance de la zone euro a été d’environ 0,1 % sur le quatrième trimestre 2007…

Vers une baisse du taux refi trop tardive pour mai.

Prévisions 2008 : ACDEFI

C’est bien là qu’est tout le problème : vouloir soigner le corps est une bonne chose, mais il faut d’abord s’assurer que le cœur n’a pas cessé de battre. Autrement dit, à quoi bon vouloir limiter l’inflation, alors que la croissance est atone.

En conclusion : comme en 2002-2003, la zone euro va donc une nouvelle fois mourir guérie.

Marc Touati


Les évènements à suivre du 11 au 15 février :

Croissance presque nulle pour la zone euro.


Cette semaine économico-statistique sera particulièrement dense, avec pas moins de dix publications déterminantes et une quarantaine au total.

Il faudra notamment surveiller les comptes nationaux du quatrième trimestre des principaux pays de la zone euro (jeudi), ainsi que les ventes au détail, le déficit commercial et la production industrielle aux Etats-Unis (respectivement mercredi, jeudi, vendredi).

Lundi 11 février, 8h45 (heure de Paris) : hausse corrective de la production industrielle française.

Après avoir baissé de 1,3 % en septembre, rebondi de 2,1 % en octobre, pour rechuter de 1,5 % en novembre, la production industrielle française devrait progresser d’environ 1 % en décembre. Néanmoins, il ne s’agira que d’une pause avant une nouvelle baisse en janvier. De quoi confirmer que l’activité économique du quatrième trimestre 2007 et du premier de 2008 sera particulièrement molle.

Mardi 12 février, 11h : nouvelle baisse de l’indice ZEW outre-Rhin.

Après huit de baisse continue, l’indice ZEW du moral des investisseurs financiers allemands devrait quasiment stagner en février. Il atteindrait ainsi un niveau de – 42, contre – 41,6 en janvier, soit tout de même 64 points de baisse depuis mai dernier ! En outre, soulignons que de tels niveaux n’ont plus été atteints depuis la récession de 1993.