L’humeur :
Boucs émissaires…
Une grande banque française perd 50 milliards d’euros ? C’est la faute à un jeune trader isolé ! La croissance française poursuit sa dégringolade ? C’est la faute à la crise des subprime !
A l’évidence, les boucs émissaires sont à la mode en ce moment dans l’Hexagone. Et ça marche ! Ou presque.
En effet, comment peut-on imaginer qu’une banque internationale qui a notamment basé sa réputation sur son excellence en matière d’activité de marchés et de maîtrise des risques sur les produits dérivés puisse se laisser abuser par un trader de 31 ans peu expérimenté qui aurait pris seul et sans l’aval de sa hiérarchie une position de 50 milliards d’euros ? Et ce, selon un stratagème qui aurait déjoué les multiples contrôles internes et externes de la banque, sans parler du compensateur ou encore des collègues dudit trader, pendant plusieurs mois ?
Passé un certain âge, il faudrait peut-être arrêter de croire aux contes de fées.
Bien entendu, une enquête est en cours et il ne nous appartient pas de « spéculer » sur ses conclusions. Néanmoins, toute personne qui a travaillé avec ou à proximité d’une salle de marché sait bien que chaque trader, aussi brillant soit-il, se voit assigner des limites de prises de position qui sont au moins dix fois inférieures aux 50 milliards d’euros annoncés. De plus, chaque « pause » qui dépasse un certain montant est signalée directement par le compensateur extérieur et par les autorités de marchés. De plus, chaque position ouverte fait l’objet d’appels de marge quotidiens.
En outre, de par leur promiscuité physique, les traders s’auto-contrôlent et ce d’autant que toutes les conversations téléphoniques sont enregistrées.
Par ailleurs, si le but du trader était de se faire remarquer positivement en réalisant de forts gains de manière à toucher de gros bonus, comment aurait-il pu imaginer qu’il réussirait à atteindre ses objectifs sans avoir à expliquer l’origine de tels gains ?
Enfin, si la banque en question est si puissante en matière de gestion du risque, comment a-t-elle pu paniquer en liquidant 50 milliards de position en moins de deux jours, sans savoir que cela aggraverait sa perte et en faisant fi des stratégies à mettre en œuvre de manière à diluer le risque, à limiter ses pertes ou au pire à faire reprendre une partie de ses positions par d’autres banques ?
Et même si tout cela était finalement possible, cela signifierait que les systèmes de contrôle et de gestion du risque de cette banque d’excellence sont inopérants, faisant craindre alors que d’autres cadavres pourraient encore sortir des placards…
Que de questions, que de doutes, que de zones d’ombre… Une chose est sûre : cette banque est désormais fragilisée et fera certainement l’objet d’une OPA dans les prochaines semaines. De quoi faire tomber de haut ses dirigeants, qui se pensaient pourtant intouchables.
Une leçon d’humilité similaire devrait également calmer la véhémence de nos dirigeants politiques. En effet, c’est désormais une évidence : en 2008, la croissance française ne sera pas de 2,5%, ni de 2 %, ni même de 1,8 %, mais comprise entre 1 et 1,6 %.
Là aussi, un bouc émissaire tout trouvé est mis en avant : la crise des subprime. Si, en ralentissant la croissance américaine, celle-ci aura forcément des impacts sur l’économie française, il ne faut cependant pas oublier que cette dernière est déjà la lanterne rouge de la croissance eurolandaise depuis cinq ans (certes avec l’Italie et le Portugal, piètre réconfort…).
Autrement dit, la faiblesse de l’économie hexagonale est avant tout due à ses propres carences, notamment en matière de pression fiscale trop élevée, d’inefficacité de plus en plus forte de sa puissance publique et de rigidités réglementaires insupportables. Sur ce, la politique irresponsable de
C’est là qu’est le problème numéro un de notre société : plutôt que de vouloir chercher des boucs-émissaires, d’annoncer que ce sont les « méchants spéculateurs » qui sont à l’origine de tous nos maux, il serait temps (enfin !) de regarder la réalité en face, de jouer la transparence et de REAGIR !
Marc Touati
L’analyse économique de la semaine :
Etats-Unis, Euroland : Attention les secousses…
Cette semaine statistique a évidemment été marquée par la croissance molle du PIB américain au quatrième trimestre 2007 (0,6 % en rythme annualisé). Néanmoins, au-delà du chiffre, il faut noter que cette moindre croissance s’explique avant tout par une contribution des stocks excessivement négative. Ainsi, hors stocks, la croissance américaine atteint 2 %. Ce qui signifie qu’une correction positive pourrait avoir lieu au premier trimestre 2008, permettant par là même d’éviter une baisse du PIB.
Par ailleurs, les comptes nationaux du quatrième trimestre ont également révélé une bonne surprise, en l’occurrence l’augmentation de l’investissement des entreprises. Mieux, l’augmentation de 5,2 % des commandes de biens durables confirme que cette bonne santé devrait perdurer dans les trimestres à venir.
En outre, il faut noter qu’en dépit de la faiblesse du quatrième trimestre, la croissance américaine a tout de même atteint 2,2 % sur l’ensemble de 2007 et surtout débute l’année 2008 avec un acquis de 1 %. Dans ce cadre, même si la croissance reste modérée au premier semestre, elle devrait avoisiner les 2,5 % en moyenne sur l’année.
Et ce, malgré les 17 000 destructions d’emplois enregistrées en janvier 2008. En effet, ces dernières doivent tout d’abord être relativisées par la révision haussière des créations d’emplois de janvier qui passent de 18 000 à 82 000. En outre, si l’on continue de détruire des emplois dans l’industrie manufacturière (28 000) et dans la construction (27 000), les services restent créateurs d’emplois, notamment dans le commerce de détail, confirmant que la consommation va continuer de résister. Et ce d’autant que les salaires horaires ont encore progressé de 0,2 %, après déjà 0,4 % en décembre.
Un chômage américain toujours loin de la récession.
Enfin, compte tenu de l’ajustement annuel des données de l’emploi opéré chaque année en février, le taux de chômage s’est replié à 4,9 %. Autrement dit, malgré la croissance molle du quatrième trimestre, le marché du travail américain est toujours loin de la catastrophe.
D’ailleurs, l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière a confirmé l’absence d’une récession, y compris dans l’industrie. En effet, après être passé sous la barre des 50 en décembre à 48,4, cet indicateur avancé de l’activité industrielle américaine l’a de nouveau dépassée en janvier, à 50,7 précisément. Il atteint ainsi un plus haut depuis août dernier. S’il n’y a évidemment pas de quoi « sauter au plafond », cette évolution confirme que l’économie américaine fait mieux que résister et qu’elle pourra profiter à plein de l’assouplissement passé et à venir de la politique monétaire de
A l’inverse, il faut observer que le ralentissement de la zone euro ne cesse de s’aggraver. Ainsi, l’indice de sentiment économique de
Croissance eurolandaise : tout droit vers 1,5 % !
Comme le montre le graphique ci-dessus, la croissance eurolandaise se dirige donc tranquillement vers la barre des 1,5 % qu’elle devrait atteindre au plus tard au deuxième trimestre 2008. Dans ce cadre, sur l’ensemble de l’année, elle devrait se situer entre 1,2 % et 1,7 % en fonction de la rapidité avec laquelle le taux refi et l’euro/dollar baisseront. En clair : plus les mois passent, plus la barre des 1,7 % de croissance s’éloigne et plus celle des 1,2 % se rapproche.
Mais, dans tous les cas et au contraire de ce que nous assènent encore les dirigeants politiques et monétaires eurolandais, la croissance de la zone euro sera bien inférieure à celle des Etats-Unis…
Marc Touati
Et les marchés dans tout ça ?
La baisse des taux longs américains : danger ou aubaine ?
5,2 % le 9 juillet 2007, 4,7 % le 16 octobre et 3,6 % aujourd’hui ! L’évolution récente des taux d’intérêt des obligations à dix ans de l’Etat américain est particulièrement détonante. Certains y verront le signe d’une récession inévitable de l’économie américaine. En effet, selon ce raisonnement classique, la baisse des taux longs préfigure la baisse des taux monétaires qui serait notamment justifiée par l’avènement d’une activité en déclin. Tel n’est pourtant pas notre scénario. Selon nous, cette baisse des taux longs américains est même plutôt bon signe.
Tout d’abord, elle confirme que les craintes d’hyperinflation ou de stagflation diffusées ici ou là sont excessives. En effet, la dernière fois qu’une stagflation a été observée outre-Atlantique remonte à la première guerre du Golfe de 1990-91. Or, à l’époque, le taux dix ans américain oscillait entre 7,8 % et 9,1 % ! Autrement dit, la baisse des taux longs actuels confirme que l’inflation américaine restera sous contrôle et montre que les investisseurs en sont conscients.
En outre et surtout, s’il est clair que la baisse des taux longs est aussi obtenue par un mouvement de flight to quality, lui-même alimenté par des craintes de fort ralentissement américain, il ne faut pas oublier que la baisse des taux obligataires est aussi un soutien de poids pour l’investissement des entreprises.
Dans ce cadre, après avoir déjà particulièrement bien résisté ces derniers trimestres malgré la tempête immobilière et boursière, le cercle vertueux de croissance investissement-emploi-consommation a encore de beaux jours devant lui.
La baisse des taux longs soutiendra la croissance.
D’ailleurs, la dernière fois qu’une telle baisse des taux longs a été enregistrée remonte à 2002-2003, lorsque l’approche de la guerre en Irak faisait craindre le pire à l’ensemble de la planète. A l’époque, la grande majorité des investisseurs et des prévisionnistes annonçaient aussi une récession massive aux Etats-Unis. Pourtant, tel ne fut pas le cas et la baisse des taux longs a été, au contraire, un indicateur avancé du rebond massif de l’investissement et de la croissance outre-Atlantique.
Comme le montre le graphique précédent, il existe bien une liaison inverse entre l’évolution des taux longs et celle de la croissance américaine avec un ou deux trimestres de décalage. Ainsi, la baisse récente des taux longs devrait permettre de soutenir la machine américaine qui, après un trou d’air fin 2007 et début 2008, devrait connaître une nette reprise à partir du printemps.
Et ce d’autant que, si elle est encore légèrement inversée sur sa partie courte, la courbe des taux américaine retrouve une pentification normale par la suite. En d’autres termes, la baisse des taux d’intérêt de
Malheureusement, de telles évolutions favorables ne sont toujours pas présentes dans la zone euro. Certes, le flight to quality étant international et le ralentissement eurolandais ne cessant de s’aggraver, les taux longs de l’Euroland sont aussi en baisse. Néanmoins, avec un niveau de 3,9 %, ils restent inférieurs aux 4 % de taux refi de
La zone euro encore en retard…
En outre et surtout, le maintien de taux courts et longs eurolandais supérieurs à leurs homologues américains maintient l’euro trop fort et alimentera le décalage de croissance entre les deux côtés de l’Atlantique. Comme en 2002, la croissance américaine va donc repartir dès cette année, tandis que celle de la zone euro s’enfoncera de plus en plus bas dans les mois à venir et ne remontera que très lentement à partir de 2009, si tout va bien…
Autrement dit, l’écart de taux d’intérêt monétaire et obligataire entre les Etats-Unis et l’Euroland ne fait que refléter l’écart de croissance qui s’imposera de nouveau dès cette année.
Marc Touati
Les évènements à suivre du 4 au 8 février :
Après la densité économico-statistique des derniers jours, cette semaine sera plutôt calme.
Les trois points d’orgue seront, par ordre chronologique, la publication des données de productivité aux Etats-Unis pour le quatrième trimestre (mercredi), la réunion de politique monétaire de
Mardi 5 février, 16h (heure de Paris) : l’indice ISM dans les services se replie légèrement.
Si, depuis septembre dernier, l’indice ISM dans les services recule, son repli reste très limité. Tel devrait rester le cas en janvier.
En effet, après avoir at
- Boucs émissaires…
- La BCE toujours obtuse.